C'est
à l'orée du XXe siècle que trois grandes
figures de la pensée islamique (Al Afghani,
Mohammad Abdo et al Na’ini) font entrer le
concept de la réforme et de l’Etat
constitutionnel dans le mode musulmane. Al
Nahda (la "renaissance") devient le mot
magique de la vie culturelle au Proche-Orient,
avec l’arrivée de nouvelles catégories sociales,
comme les avocats, les journalistes et les
enseignants, dont beaucoup ont trouvé la liberté
en exil en France et en Egypte, produisant les
premiers écrits sur la démocratie et des
libertés fondamentales. La naissance des partis
politiques et des associations socioculturelles
renforce alors le conflit des idées ainsi que
des intérêts. Les courants nationalistes ont
ouvert une brèche dans les structures
confessionnelles et claniques, en introduisant
le pluralisme politique en leur sein et en
laissant les femmes participer à la vie
publique. Le nationalisme s’enrichi d’une
double confrontation : contre l’Etat ottoman
perçu comme entité religieuse et contre les
puissances coloniales occidentales.
En 1933 naît l'Union de la femme arabe. C'est
aussi dans capitale syrienne qu'un écrivain
libanais, Raif Khoury, publie en 1937 le
premier livre en arabe sur les droits de
l'homme. Paradoxalement, la période de la 2ème
guerre mondiale est celle d’un moment universel
dans l’élaboration de la culture arabe
contemporaine, avec des livres écrits et
traduits, des journaux et des revues distingués
à Damas, Beyrouth, Bagdad et surtout au Caire.
Ce mouvement aboutit à l’indépendance politique
en Syrie et au Liban, et une contestation
sociopolitique en Egypte en 1946.
Si l’occident célèbre cette année le 60ème
anniversaire de la naissance de l’Etat d’Israël
et de la déclaration universelle des droits de
l’Homme, le monde arabe se remémore al Nakba
"la catastrophe". Un désastre vécu non seulement
par le peuple palestinien, mais par ceux de la
région : la militarisation accrue de l’Etat
hébreu avec renforcement de la conviction que la
réponse ne peut être que dans une armée arabe
forte et puissante. A l'inverse, le discours sur
un Etat civil se trouve marginalisé.
L'étranglement du projet démocratique, au nom de
la défense nationale, sera couvert pendant les
années de la guerre froide par l’exemple
soviétique. Mais la chute du mur de Berlin a
marqué la fin de toutes les idéologies du parti
unique. Une nouvelle élite réclame une société
civile digne de ce nom dans un Etat
constitutionnel. Et depuis la fin des années 80,
la constitution des ONG dans le monde arabe, de
jure ou de facto, est multipliée par 15.
Des intellectuels, avocats, médecins,
enseignants, et journalistes forment des
associations tampons entre un Etat, de plus en
plus en perte de légitimité et de contact avec
la société, et une société à la recherche des
droits minima socio économiques, civiques et
politiques. Le monde arabe commence à vivre une
contre attaque à l’égard des pouvoirs
autoritaires.
Mais le 11 septembre 2001 met un frein à cette
démarche. Une dizaine de régime arabe décrète
des lois antiterroristes, des tribunaux
d’exception et certains les
constitutionnalisent. Le tout-sécuritaire s'abat
sur la révolution des technologies de
l'information et de la communication.
Les Occidentaux sont à l’origine de la
mondialisation d’un Etat d’exception où les
images Guantanamo et d’Abu Ghreib rappellent
celles de Tazmamart (Maroc) et de Palmyre
(Syrie). Des lois antiterroristes et des traités
rassemble dans un même sac immigration illégale,
terrorisme et criminalité transfrontalière. Le
mauvais exemple de l’Occident « démocratique »
renforce dans le monde arabe deux extrêmes: un
Etat autoritaire et un projet totalitaire à
coloration islamique.
C’est un grand défi pour la résistance civile de
tenter de survivre. Les figures de cette
résistance sont l’objet d’arrestations
arbitraires et d’accusations préfabriquées. Plus
de 500 militants et intellectuels sont privés de
passeports, des milliers sont privés d’emploi et
une centaine de personnalités sont en prison.
Aref Dalila, Fida Horani, Michel Kilo, Faiz
Sara, sont parmi une vingtaine de défenseurs de
la société civile détenus en Syrie. Des
défenseurs de la réforme constitutionnelle en
Arabie Saoudite, tels que Matrouk al Faleh,
Abdallah al Hamed et Saoud al Hashimi, sont
actuellement en prison. Des journalistes,
académiciens, défenseurs des droits humains
tunisiens, marocains, égyptiens, syriens,
iraqiens et yéménites militent dans une
situation assez difficile. Le monde arabe
totalise plus de 62000 prisonniers. Plus de 80%
d’entre eux étant détenus pour des raisons liées
à la guerre contre le terrorisme!
Aujourd'hui, les jeunes posent des nouvelles à
la classe politique traditionnelle. Les damnés
de la terre bougent sans le feu vert des partis
politiques et des syndicats. De nouvelles
structures politiques et beaucoup d'imagination
sont plus que jamais nécessaires. Seule une
renaissance politique, protégée par une
résistance civile engagée en faveur des libertés
et des droits de l'homme, peut être un rempart
contre les structures autoritaires de l'État
dans ses formes actuelles et à venir.
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Forum & débats: Des sociétés privées
d'espace, La Croix, le 6/06/2008
* Ecrivain et porte parole de la Commission
arabe des droits humains
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