Le
contexte international et arabe
Je vais
vous raconter une anecdote que j’ai eu
l’occasion de raconter, il y a cinq ans, dans
une intervention sur la situation des Droits
Humains dans notre partie du monde, avant
l’occupation de l’Irak. J’espérais alors que les
intellectuels occidentaux seraient en mesure de
se prononcer et de réagir pour tenter de
rationaliser cette situation loufoque qui
caractérise le rapport à l’Etat d’urgence et ses
conséquences sur tout ce qui a constitué
l’essence du combat des peuples du monde entier
pendant des siècles. Les cinq dernières années
n’ayant rien changé à la logique dominante ou en
passe de l’être, dans un contexte généralisé
qui transcende les frontières, cette anecdote
garde tout son sens.
On
raconte, dans un vieux récit arabe, que la
peste, personnifiée, a frappé un jour à la porte
d’un village. Un vieux sage l’accueillit et lui
tînt ces propos : « laissez ce village
tranquille, ses habitants n’ont jamais commis le
moindre péché, ni désobéi à Dieu, ni agressé
quiconque ». Et la peste de lui rétorquer :
« n’ayez aucune crainte, je ne resterai pas
longtemps dans ce village et quarante seulement
de ses habitants seront touchés par la maladie ».
Au bout
d’un mois, le vieux sage croisa la peste alors
qu’elle quittait le village et lui dit : « ne
te suffit-il pas d’avoir ramené le mal,
faudrait-il y ajouter le mensonge : tu as tué
quatre cents habitants » ! Et la peste de
répondre « ne sois pas injuste vieux sage, je
n’ai contaminé que quarante personnes, les
autres sont morts de peur et de terreur ».
Cette
anecdote résume en gros la situation arabe et
internationale après septembre 2001. L’agression
de la superpuissance mondiale a fourni
l’occasion à cette dernière de ressortir du fond
de ses entrailles le discours politique le plus
extrémiste, le plus agressif et imparable contre
lequel personne ne pourrait s’opposer (1). Je
rappelle que lorsque la Commission Arabe des
Droits Humains (ACHR/CADH) avait publié, peu
avant la guerre contre l’Afghanistan, un
communiqué dans lequel elle s’était opposée à la
guerre et avait appelé à juger équitablement les
responsables de l’attaque du 11 septembre, des
voix sionistes s’étaient élevées pour nous
accuser de connivence avec le terrorisme.
Bernard Kouchner, quant à lui, n’a pas hésité à
critiquer les ONG qui, comme la nôtre, s’étaient
opposées à la guerre. Il a soutenu même les
bombardements aveugles de l’Afghanistan et les a
considérés comme relevant de la légitime
défense, et donc parfaitement légitimes.
La
surenchère dans le soutien à la politique
américaine est devenue un des nouveaux critères
de « la légitimité internationale », et
la course effrénée pour satisfaire le géant
américain a dépassé les limites de
l’entendement. Nous citons Bernard Kouchner, non
pas parce qu’il fut la personnalité française la
plus illustre ayant soutenu l’occupation de
l’Irak, mais parce qu’il vient d’être récompensé
pour ses positions belliqueuses en se faisant
désigner à la tête du ministère des affaires
étrangères en France.
Moins
d’un mois à peine après les événements du 11
septembre, les représentants de l’administration
américaine ont présenté une liste d’exigences
dont :
1)
Présenter toutes les informations sécuritaires
concernant les organisations terroristes,
2)
Fournir la liste des chefs des organisations
terroristes,
3)
Procéder à la fermeture des locaux et des bases,
4)
Contribuer par une participation financière,
5)
Fournir une aide politique et médiatique et une
participation militaire en cas de besoin,
6)
procéder à l’arrêt de toute incitation
médiatique au terrorisme.
Ce
message a été bien reçu, non seulement au plan
arabe, mais aussi international. Juste avant les
fêtes de fin d’année, le 14/12/2001, une force
blindée franco-italienne, composée de 50
militaires et relevant de la KFOR, a fait
irruption dans les locaux du Secours
International, GR, à Jakova. Elle a enfoncé les
portes, bien qu’on lui ait remis les clés, puis
confisqué tout ce que contenait le local :
ordinateurs, dossiers, carnets de comptes et
d’adresses, documents personnels privés,
passeports des fonctionnaires et de leurs
épouses ainsi que tous les documents les
concernant, délivrés par l’UNMIK. A la fin de la
descente, cette force a arrêté toutes les
personnes qui étaient présentes.
Les
fonctionnaires ont été torturés avant même qu’on
les interroge et ce, en présence d’un agent du
FBI. Ajoutons à cela, les divers mauvais
traitements et humiliations lors du transport en
prison, notamment par l’obligation faite aux
détenus de se dévêtir et de se mettre à nu, avec
des coups sur toutes les parties du corps et
leur mise aux chaînes. Tout le personnel a été
par la suite conduit à la base américaine de
Boundstail où les interrogatoires ont continué
dans des conditions inhumaines : détention en
isolement et interrogatoires menés par un trio.
Les interrogatoires portaient sur les objectifs
de l’organisation humanitaire et les raisons du
pèlerinage des musulmans à la Mecque (3).
Ce qui
s’est passé au Kosovo sera réédité au Pakistan,
en Afghanistan, en Azerbaïdjan, au Maroc, au
Yémen, en Jordanie, au Koweït et en Arabie
Saoudite. Au cours de cette période, les
gouvernements arabes avaient cédé plus qu’on
leur avait demandé. Ils ont parfois opté pour ce
dont leurs services n’étaient point compromis.
Il devînt ainsi indispensable pour tout pouvoir
répressif de donner la preuve de son engagement
dans la guerre contre le terrorisme, étant donné
bien sûr que les USA sont une république
démocratique ayant une lecture très particulière
des droits de l’homme s’écartant de celle qui a
prévalu au plan universel. C’est une lecture
centrée principalement sur les droits
individuels, politiques et civils et qui ne
reconnaît pas les autres droits, économiques,
sociaux et culturels tels que prévus dans le
pacte y afférent. Les USA ne reconnaissent pas
non plus le droit au développement et à
l’environnement tels que tels que prévus par les
critères internationaux. Les USA refusent aussi
de se joindre aux pays qui ont ratifié la
convention internationale des droits de l’enfant
et la création de la Cour pénale internationale.
Pour ces
multiples raisons, nous allons essayer de
centrer ce papier sur les régressions connues
dans le domaine des libertés civiques,
considérées par les USA comme le fondement de
leur conception des droits de l’homme, pour
démontrer le recul et même l’effondrement de
cette conception au niveau arabe et
international. Nous mettons aussi en exergue le
prix payé par les peuples, quand les
gouvernements voyous qui les dirigent,
cautionnés par leur modèle, prennent exemple
sur ce qu’il a de plus mauvais dans tout ce qui
touche aux problèmes de la dignité et des droits
de l’homme.
A la
suite d’une déclaration du vice ministre de la
défense américain disant en substance « que la
situation est grave et que cela demande des
investigations hors du territoire américain qui
ne correspondent pas aux engagements des
services de sécurité tels que prévus par les
lois américaines et la convention internationale
contre la torture », des pays, allant du Maroc
au Yémen, ont offert de mener les
interrogatoires sur leur territoire en présence
d’officiers américains. Des informations sûres
confirment qu’un responsable sécuritaire
américain était présent lors de ces séances
d’interrogatoire, accompagnées de torture et de
traitements avilissants.
Le
Koweït :
Dans un
témoignage présenté à la Commission Arabe des
Droits Humains, le koweïtien Khaled Al Dosari,
ancien détenu dans les prisons marocaines,
énumère les méthodes de torture qu’il avait
subies du 11/06/2002 au 19/08/2002 : coups sur
toutes les parties du corps y compris la plante
des pieds, brûlures aux mégots de cigarettes,
privation de nourriture et de sommeil, fort
éclairage, coups sur la tête, bruits sonores de
klaxon dans la geôle, ingurgitation d’un liquide
ayant des effets sur la mémoire, injures,
vexations et avilissements, obligation
d’embrasser les pieds des inspecteurs,
chantages, aveux extorqués sur une prétendue
appartenance à Al Quaida, (rencontre d’un
responsable des services de sécurité irakiens et
d’un responsable du Hamas). Il confirme d’autre
part la présence d’officiers des renseignements
américains et saoudiens tout au long de
l’interrogatoire. Il lui a été demandé par
ailleurs de déclarer qu’il y avait des relations
entre Al Quaida et le régime irakien, en
contrepartie de sa libération (4).
Tout de
suite après son témoignage à la CADH/ACHR, à
Aljazeera et au journal Al Quds alarabi, Khaled
Al Dosari a été l’objet de poursuites ; et le
journaliste auquel il avait donné cet interview
au Koweït a été arrêté. Son frère et son père
furent aussi arrêtés afin de le contraindre à se
rendre, ce qu’il a fait quelque temps plus tard.
La CADH a entrepris alors une campagne en sa
faveur et Khaled Al Dosari a été libéré juste
avant la fête de l’Aïd Al Fitr.
Les
poursuites contre tous ces témoins gênants
s’expliquent par le désir des gouvernements de
les faire taire, les empêchant de s’engager
davantage. Khaled a essayé de nous accompagner
dans notre action en faveur des victimes
innocentes de « la guerre contre le terrorisme »
et a fondé une organisation Koweïtienne contre
la torture. Ainsi, il a réuni, avec d’autres
amis, 54 témoignages de Koweïtiens ayant subi la
torture, que la CADH a présentés au rapporteur
spécial sur la torture du Haut Comité des
droits de l’homme.
Les
services de sécurité koweïtiens ont organisé,
avec nombre de journalistes, une campagne de
diffamation contre Khaled, le présentant comme
le responsable, au Koweït, d’une organisation
spécialisée dans l’envoi de combattants
volontaires en Irak. Notre ami a dû se cacher,
mais il a été jugé et condamné par contumace à
10 ans de prison.
Le cas
des quatre koweïtiens de Guantanamo est à part.
Ils ont été innocentés de l’accusation de «
combattants ennemis », et malgré la demande
réitérée du parlement, du gouvernement et de la
société civile de les libérer et en dépit de la
demande présentée par l’Emir du Koweït au
président Bush pour leur libération, rien n’a
été fait. L’administration américaine est
demeurée sourde aux appels d’un pays où les
services de sécurité de l’Etat exécutent
fidèlement et même avec zèle les demandes des
Américains.
Le
Maroc
Le Royaume Marocain ne s’est pas
contenté de consacrer la torture comme partie
intégrante de l’interrogatoire. Il a ratifié la
convention arabe de « lutte contre le
terrorisme » et a rejoint ainsi la liste des
pays qui lui consacrent une loi. C’est ainsi que
fut promulguée la loi contre le terrorisme, dont
Abderrahim Saber dit « qu’elle comporte de
nombreuses analogies avec le Patriot Act, voté
par le Congrès américain. Ainsi dans l’article
218, alinéa 1, nous avons une définition du
terrorisme des plus vagues et des plus vastes.
L’alinéa 5 du même article traite des sanctions
réservées aux terroristes en les aggravant et en
y ajoutant la peine de mort, chère à Bush ».
L’alinéa 6 quant à lui, incite
les citoyens « à la délation et à dénoncer
aux autorités toute personne ou comportement
douteux». L’article 108/3 autorise « la
surveillance des communications téléphoniques,
etc...
Ceci avait précédé les
explosions de Casablanca qui ont été suivies par
l’arrestation de 3000 personnes, dont près de
2000 ont été libérés par vagues successives.
Mais si la loi est mauvaise, la
réalité est encore pire : on assiste à des
vagues quasi régulières d’arrestations, à
l’interdiction de réunions du mouvement Aladl
wal Ihsan, à des interpellations par
anticipation dans les rangs des divers
mouvements islamistes et enfin à
l’interpellation de près de 80 activistes
politiques dont le secrétaire général du parti
Al Badil Al Hadhari, Mustafa Mou’tassim,
Mohamed Amine Rakkala, président du Conseil
national et Mohamed Merouane, secrétaire général
du parti du mouvement de l’Oumma, pour
motif de terrorisme, accompagnée de
l’interdiction des dits partis.
Le pouvoir marocain ne s’est pas
empêché de reluire son image en
instrumentalisant les Comités de réconciliation
qui ont certes ouvert audacieusement des
dossiers importants, mais oublié que les droits
de l’homme ce n’est pas uniquement le passé,
mais aussi le présent et l’avenir.
Syrie :
Dès le
premier jour où les Etats-Unis avaient commencé
la publication les listes des terroristes d’Al
Quaida, les services secrets syriens ont pris
l’initiative de diffuser les listes de tous ceux
qui proclament « Il n’y a de Dieu que Dieu »
dans le mouvement islamiste syrien, en Syrie et
en exil. Evidemment, tous ceux qui ont été cités
ont été considérés comme liés à Al Quaida qui
devînt par miracle le plus grand mouvement
politique syrien de l’opposition.
De
nombreuses personnalités se sont engagées dans
cette logique, tel le procureur espagnol Garzon
qui avait poursuivi Pinochet, ainsi que de
nombreuses autres personnalités judiciaires
européennes. Le journal londonien Al Hayat lui
aussi s’est engagé dans la brèche et son
correspondant à Damas a écrit de nombreux
reportages se fondant sur des informations des
services syriens. Par un curieux retournement du
balancier, le même correspondant a été
interpellé par la suite et s’est transformé en
prisonnier d’opinion à Damas.
Cette
politique qui vise à satisfaire les Américains,
ne commença à s’estomper que lorsque le régime
syrien lui-même s’est retrouvé en difficulté
dans le dossier libanais, après l’invasion de
l’Irak. Les arrestations n’ont pas pris fin pour
autant. Elles se font simplement pour des motifs
à connotation locale, sans volonté de rendre
service aux Américains dont les exigences,
devenues tout simplement folles, font fi de tous
les mécanismes nationaux et
internationaux.
La
répression non plus ne s’est pas arrêtée. Les
autorités syriennes avaient en effet jugé 8
activistes de la société civile et 2 députés à
l’assemblée du peuple, au cours d’une vague de
répression qui avait débuté le 1er août et s’est
terminée le 9 septembre 2001, juste avant les
événements du 11 septembre. Ces arrestations
furent pour des considérations locales, afin de
mettre fin à ce qui fut appelé le printemps de
Damas. Parmi les condamnés, Aref Dalila, qui a
écopé 10 ans de prison, est toujours incarcéré.
Le gouvernement a tergiversé pendant une année
avant qu’il ne se décide à libérer 36 détenus,
jugés de santé fragile et rassemblés à la prison
de Sydania, Il reprît son action répressive et
ses arrestations à l’encontre de journalistes et
d’activistes, hommes et femmes, dans le domaine
de l’information, pour terroriser les esprits
libres ainsi que les jeunes, islamistes et
démocrates, rassemblés dans des groupuscules
restreints, sans grande influence.
Mais les
services de sécurité, qui poursuivent depuis
1970 une stratégie consistant « à casser
l’œuf avant qu’il n’éclose », ont continué à
appliquer une politique sécuritaire préventive.
Ils continuent présentement à suivre la même
politique de terreur et de répression des hommes
politiques et des activistes des droits de
l’homme. Ainsi, ils interdisent aux symboles de
l’activisme des droits de l’homme de voyager à
l’étranger ou conditionnent ces voyages par
l’accord préalable des autorités sécuritaires.
Ils arrêtent aussi des activistes kurdes pour
des motifs inconsistants et les jugent pour
affaiblir et atomiser le mouvement politique
kurde syrien. Il y a deux ans, ils ont entrepris
une vaste opération d’arrestations dans les
rangs du groupe de la Déclaration de Damas-
Beyrouth, embastillant l’écrivain Michel Kilo,
l’avocat Anouar Al Bunni, ainsi que sept autres
de leurs camarades. Tout cela se passe après la
fermeture des muntadas indépendants dont
le dernier fut celui de Jamal Atassi.
Les
arrestations touchèrent des activistes dans la
presse et des internautes. Il faut rappeler que
des dossiers importants des droits de l’homme
sont toujours gelés, tels que la privation de
200.000 kurdes de la nationalité syrienne, de
nombreux cadres politiques de leurs droits
civiques et des milliers de politiques et de
leurs proches de voyager. Les expatriés qui
reviennent au pays ne sont pas épargnés non
plus. Les autorités ont par ailleurs promulgué
une loi sur les publications qui normalise les
lois d’exception en vigueur.
Le
tableau se complète enfin avec l’arrestation des
membres de « la direction de la déclaration
de Damas pour le changement démocratique » à
l’issue de leur réunion du 1er décembre 2007.
Certains d’entre eux, tels que Fida Al Horani,
Fayez Sara, Akram Al Bunni, Ali Abdallah, Ahmed
Tâamia, Walid Al Bunni, Mohamed Hajji Darouiche,
Jabr Echoufi, Marwan Al Ich, Riad Seif et Talal
Abou Dane sont toujours incarcérés. Espérons
enfin, qu’aujourd’hui, qui correspond au 45 ème
anniversaire de la promulgation de l’Etat
d’urgence, ne soit pas une occasion pour
allonger la liste des internés politiques. (2
semaines après, trois kurdes syriens sont tués
la nuit de Nawrouz à Qamishli par les forces de
sécurité).
Tunisie
Le
président tunisien est aussi de ceux qui ont
bien accueilli les événements du 11 septembre.
Il rappela qu’il fut le premier à avoir fait
voter une loi pour lutter contre le terrorisme
(1993) et une loi sur la presse, susceptible de
faire juger tout citoyen qui parle de la chose
publique. Il proposa ses services pour tout et
n’importe quoi et rend plus difficile les
conditions de détention des prisonniers du
Nahdha, dont 25 membres demeurent toujours en
prison, depuis bientôt deux décennies. Le
président tunisien arrêta plusieurs symboles de
la lutte pour les droits de l’homme et des
journalistes dont le dernier est Sélim Boukhdir.
L’arrogance des autorités et leur défi de
l’opinion publique, arabe, tunisienne et
internationale sont apparus au grand jour quand
elles osèrent s’attaquer à maître Béchir Essid,
doyen des avocats tunisiens et membre fondateur
de la Commission arabe des droits humains (CADH),
en violant son cabinet, en mobilisant des
avocats contre lui et en le poursuivant devant
la justice. Il s’agissait d’une vaine tentative
de démanteler une organisation indépendante de
la société civile tunisienne, à travers son
représentant élu. Cette tentative n’a pas
seulement échoué, mais après une éclipse de 5
ans, maître Essid est revenu sur la scène et a
été réélu doyen des avocats tunisiens.
Pour
services rendus, les autorités tunisiennes ont
eu un communiqué officiel des autorités
américaines affirmant que « le président
tunisien actuel est le mieux qui représente
l’ordre et la stabilité en Tunisie, et qu’il
suffisait de quelques changements mineurs pour
que la situation tunisienne des droits de
l’homme s’améliore ». Ainsi, ces conseils au
président tunisien ont eu pour conséquence, une
réforme constitutionnelle et des élections aux
résultats connus d’avance. Les autorités
tunisiennes ont tenu leurs promesses vis-à-vis
de l’administration Bush et interpellé toutes
les personnes qui lui ont été remises par les
européens, la Syrie et Guantanamo. Elles les ont
jugées et condamnées à des peines très dures et
continuent de procéder à des arrestations
périodiques sous prétexte de combattre le
terrorisme.
Par
ailleurs, les autorités tunisiennes ont renforcé
les entraves aux activités publiques et empêché
la tenue de congrès ordinaires, tels que celui
de la LTDH. Elles imposèrent une surveillance
rapprochée à certains militants et provoqué
l’agression de militants par des inconnus (des
agents de police accusant les militants d’être à
la solde de l’occident !!!), comme cela s’est
passé avec notre collègue Moncef Marzouki lors
de son retour en Tunisie, puis récemment avec
Omar Mestiri et Sihème Ben Sedrine.
La liste
des anciens prisonniers politiques du Nahdha,
interdits de voyager à l’étranger, de se
déplacer à l’intérieur du pays, de poursuivre
des études ou de travailler, est très longue.
Après la prison et la coupure du monde, vient la
grande prison face au monde. Ainsi des
universitaires, des académiciens et des
journalistes de la meilleure élite tunisienne,
sont assiégés par tous les moyens sans la
moindre charge, ni motif légal ou couverture
judiciaire. Nous pouvons citer à titre
d’exemple, le cas de Ali Ben Salem (76 ans) : un
symbole de la lutte contre la colonisation qui
continue à militer aux plans syndical et des
droits de l’homme et qui est tout simplement
assiégé chez lui. Il ne peut recevoir des
visiteurs et ne peut même pas se faire soigner à
l’étranger, au seul motif qu’il milite en faveur
des droits de l’homme et de la liberté dans son
pays. Aujourd’hui, alors que nous sommes ici à
fêter la journée internationale de la femme, il
y a des femmes en Tunisie qui marquent leur
solidarité avec l’étudiante emprisonnée Karima
Boucetta.
Algérie
En
Algérie, les événements du 11 septembre ont eu
pour conséquence d’anéantir le projet du
président Bouteflika de réaliser la
réconciliation nationale, à son arrivée au
pouvoir. Depuis, le gouvernement algérien ne se
gêne nullement dans tout ce qu’il entreprend. Il
tape successivement sur les arabes et les
berbères, se moque de l’action revendicative et
du combat démocratique et reçoit les délégations
arabes, officielles et officieuses pour les
entretenir de ses succès en matière de lutte
contre le terrorisme. L’Algérie compte le plus
grand nombre de détenus politiques et de
disparus dans le monde arabe au cours des années
mille neuf cents quatre vingt dix. L’exemple du
militant algérien des droits humains, le Docteur
Salah Eddine Sidhoum, illustre parfaitement la
situation de tous ceux qui se sont opposés à la
solution sécuritaire prônée par les généraux
algériens. Ce militant a été poursuivi par la
hargne des groupes islamiques armés en même
temps que par la haine de la sécurité militaire
depuis 1994. Malgré cette situation très dure,
ce militant a réussi tout au long de nombreuses
années, à fournir aux ONG des droits de l’homme,
des informations de la plus haute valeur sur les
violations flagrantes qui se sont produites
depuis le début de la solution sécuritaire
(1992). Des pressions arabes et internationales
ayant mis fin à sa poursuite, il se décida à
sortir en plein jour et à se livrer à la
justice. Après une courte grève de la faim il a
été acquitté.
Vous avez
entre les mains un dossier de la Commission
Arabe des Droits Humains (CADH), sur la torture
en Algérie. Je dois vous faire remarquer que les
détenus qui nous ont fourni ces informations ont
été changés de cellule et coupés du monde, et
que la personne qui suit avec nous ce dossier,
est le journaliste Anouar Malek qui vient d’être
mis par les autorités algériennes sur la liste
d’Interpol.
La
Mauritanie
En
Mauritanie, le Colonel Mouaouia Ould Taya n’a
pas réussi à se maintenir au pouvoir malgré sa
normalisation avec Israël et sa guerre contre le
terrorisme, au cours de laquelle il n’a pas
hésité à livrer un de ses compatriotes à
Guantanamo. Le Conseil militaire issu du coup
d’Etat a respecté les engagements fondamentaux
qu’il a tenus pour la période transitoire. Les
élections présidentielles qui se sont déroulées
depuis, ont drainé toutes les accumulations
historiques dans une opération aux perspectives
peu claires, au cours de laquelle des alliances
disparates se sont nouées pour un objectif
strictement électoral : formations tribales,
vieilles forces traditionnelles et services de
sécurité.
La
Mauritanie vit actuellement un état d’équilibre
entre forces d’égale faiblesse dans lequel
opposition et pouvoir se trouvent
interdépendantes, la pauvreté étant le plus
grand ennemi des libertés. La corruption est
aussi un cancer en héritage de la dictature. La
Mauritanie qui vit une période de transition
pacifique et difficile à la fois, est confrontée
aussi à des grands dossiers tels que ceux des
déplacés, de l’esclavage, des détenus islamistes
et du retour des militaires à leurs fonctions.
Tous nécessitent des solutions nationales, sages
et rapides.
Ce pays,
qui a vécu sous une dictature d'un autre temps,
commence à se libérer tant bien que mal de ce
cauchemar. La nouvelle Constitution
mauritanienne est certainement plus avancée que
celle de l’Irak toujours sous occupation.
En tant
que Commission Arabe des Droits Humains, nous
demeurons en contact avec l’expérience
mauritanienne afin de consolider le rôle de la
société civile et pour appuyer l’indépendance de
la justice et encourager toute politique de
développement soutenant des avancées au plan des
libertés d’association, d’organisation et
d’expression.
Le
Soudan
Le Soudan
représente l’exemple par excellence des
retombées catastrophiques des guerres civiles
sur les pays du sud. Malgré l’accord entre le
mouvement populaire et le parti au pouvoir, pour
entreprendre des réformes et des changements
dans la voie de l’ouverture politique, le chemin
parcouru est encore en deçà de ce qui est requis
pour asseoir la cohésion sociale et nationale.
Le drame
du Darfour, dans lequel la responsabilité du
gouvernement est patente, constitue un poignard
dans le dos des gouvernants et des gouvernés. Ce
drame est sorti de son cadre national pour une
internationalisation où l’instrumentalisation
est déjà permanente. Notre organisation a
sollicité de visiter le Darfour, et après un
refus qui a duré deux ans, nous comptons envoyer
au mois de juin prochain une mission
d’investigation.
L’Arabie Saoudite
Le dossier Saoudien des droits
de l’homme est des plus exécrables que nous
ayons entre les mains. Il suffit pour s’en
convaincre de feuilleter le rapport de la CADH
au chapitre de la liste non exhaustive des
détenus et qui comporte quelques 600 détenus
politiques, sans jugement et privés de leurs
droits élémentaires, en plus des détenus
irakiens, yéménites (près de 50) et bien
d’autres.
Les Renseignements généraux ont
arrêté quatre membres de la CADH, Matrouk El
Faleh, Abderrahman Allahem, Ali Demini, Abdallah
Al Hamed le 16 mars 2004. Ils ont été jugés et
lourdement condamnés, mais libérés le jour de
l’intronisation du Roi Abdullah. Cette grâce
nous a tous comblés de joie et avait auguré
d’une ère nouvelle, avons-nous cru, puisqu’elle
a englobé le Cheikh Saïd Zaïter. Mais les mêmes
services ont interpellé de nouveau ce dernier à
la première occasion, alors qu’il était en
mauvaise santé. D’autre part, les mêmes services
ont arrêté, le vendredi 2 et le samedi 3 février
2007, une dizaine de personnalités de la société
civile, à la suite d’une réunion tenue à Jeddah.
Huit d’entre elles se trouvent toujours en
prison au prétexte fallacieux de soutenir « la
lutte contre le terrorisme, son financement par
des collectes illégales, des transferts de fonds
à l’ordre de correspondants douteux dans le but
de mobiliser des citoyens à s’engager dans des
régions troubles ».
Les personnes actuellement en
prison sont : Séoud Mokhtar Al Hachemi,
Abderrahman Achemiri, Souleiman Errouchoudi,
Abdel Aziz Al Kheriji, Moussa Al Karni, Chérif
Seif Eddine Faycal El Cherif et Mohamed Hassen
Al Korchi.
Et comme si la présence dans les
prisons de quelque centaines de détenus non
encore jugés ne suffisait pas, un tribunal
Saoudien a confirmé la condamnation du docteur
Abdallah Al Hamed, un intellectuel musulman et
activiste de droits humains, à 6 mois de prison
et son frère à 4 mois de prison, pour avoir
soutenu les familles de certains personnalités
incarcérées elles-mêmes pour avoir réclamé la
libération des prisonniers politiques.
Mentionnons enfin que l’internaute Fouad Al
Ferhane est toujours en prison depuis la
célébration de la journée internationale des
droits de l’homme en 2007.
Par ailleurs, en Arabie
Saoudite, l'on se trouve face à une grave
atteinte au droit de la société à la création de
ses propres associations de bénévolat, avec la
libre définition de leurs objectifs et conseils
de direction qui y assument les résultats de
leurs exercices devant la loi et leurs membres.
La décision de la mise en place de
«l’Organisme national saoudien de secours et
d’œuvres caritatives pour l’étranger», ainsi
que l’annulation de l’ensemble d’organismes,
institutions, associations caritatives et
commissions non autorisées par ordre royal, sous
l’autorité de la présidence du conseil des
ministres, signifie la mise à mort, en plein
jour, des initiatives sociétales et de la
participation des individus aux affaires
publiques. Il est, en partie, constitutif d’une
politique d’édification d’un Etat absolutiste
contemporain, dont la seule raison d’être est la
satisfaction de l’actuelle administration
américaine. Signalons enfin que les méthodes de
fonctionnement interne de cet organisme, sont en
complète contradiction avec l’esprit de notre
époque et les impératifs des réformes
politiques, sociales et économiques.
L’ACHR
a publié, en mai 2004, un rapport accablant sur
la détention arbitraire en Arabie Saoudite où
plus de 600 détenus se trouvaient à la prison
d'al-Haer. 4 grands symboles de la réforme
constitutionnelle pacifique et membres de la
Commission arabe des droits humains : Dr.
Abdellah Al Hamed, Dr. Matrouk Al Faleh, le
poète Ali Demmini et leur avocat
Abderrahmane Al Lahem ont été détenus et
condamnés dans un procès inique. C’était aussi
le cas du Dr Saïd Ibn Mobarak Al-Zair et
de ses deux fils Mobarak et Saad. Il a
suffi de 3 minutes sur Al-Jazeera pour que
l’ancien détenu, qui a fait plus de 7 ans de
prison sans jugement ni procès, regagne la
prison. Dès son accession au trône, le Roi
Abdallah a amnistié les prisonniers cités
ci-dessus. Mais il n'en reste pas moins de 600
prisonniers en détention arbitraire, parmi
lesquels des Ismaélites, des Shiites et surtout
des jeunes accusés d’appartenir aux
salafistes djihadistes (fondamentalistes
islamistes).
A son
arrivée à l’aéroport du Roi Khaled le
15/09/2004, le citoyen yamanite Mohammad Jobran
n’avait à l’esprit que « comment expliquer à sa
première femme qu’il s’est marié avec une
deuxième femme à Damas ». Mais pour le service
de sécurité saoudien la question est tout
autre : Pourquoi ce professeur d’éducation
islamique demeure à Damas aussi longtemps si ce
n’est pour participer aux opérations de
transfert de volontaires arabes vers l’Iraq
(cette même accusation a été utilisée à un
moment donné contre l’auteur de ce livre par un
parti politique préfabriqué par le Pentagon pour
les besoins de la campagne d’inquisition contre
le terrorisme). Jobran est toujours en prison
sans procès ni jugement. Il est l'un des
centaines de prisonniers politiques arabes sans
frontières. Comme lui, il y a au moins une
soixantaine de Yéménites dans les prisons
saoudiennes. Combien y-a-il d'Iraqiens ou
d’autres nationalités? Et en revanche, combien y
a-t-il de détenus séoudiens dans les prisons
syriennes et iraqiennes ?
Qatar
Avant septembre 2001, le ministre des affaires
étrangères du Qatar parlait de prochaines
élections en 2002, d’une sérieuse volonté
d’édifier un Etat avec des institutions solides,
d’un élargissement du champ des libertés et d’un
contrôle international du processus de
démocratisation du pays. Non seulement ces
promesses ont été oubliées, mais de nombreuses
dispositions ont été prises pour limiter les
libertés et contrôler les droits des citoyens.
Ainsi,
l’Etat du Qatar, qui
n’a pas été confronté à des actes de terrorisme,
hormis un seul incident perpétré par des non
Qataris et des non résidents, a promulgué des
lois arbitraires sous prétexte de protection
contre le terrorisme. La loi n° 3, promulguée en
2004, concernant la lutte contre le terrorisme,
est parmi les plus mauvaises des pays arabes. A
la lecture de son texte, on constate
l’élargissement de son champ d’application à
tout acte d’opposition et non seulement de
violence.
Le
premier article définit ainsi le terrorisme :
« Il s’agit d’une entreprise terroriste si le
mobile du recours à la force, la
violence, la menace ou la peur, est de paralyser
les dispositions du Basic Law provisoire
et révisé, ou la loi, ou de menacer l’ordre
général, d’exposer la paix et la sécurité de la
société au danger, de saper l’unité nationale ;
et si les conséquences « de l’acte » étant ou
pouvant nuire aux gens ; leur faire peur ;
exposer leur vie, leurs libertés ou leur
sécurité au danger ; causer des nuisances à
l’environnement, à la santé publique et à
l’économie nationale ; porter atteinte aux
institutions, établissements et biens, publics
et privés, ou les occuper ou dégrader leur
fonctionnement ou encore empêcher ou retarder
les pouvoirs publics de mener à bien leurs
actions ».
L’article 2, quant à lui, est d’une plus grande
sévérité que la loi pénale à cet égard. Comme
par exemple une sentence de mort à la place
d’une condamnation à perpétuité et « dans tous
les cas une condamnation à mort lorsque l’acte
perpétré par le condamné a causé la mort d’une
personne ou nécessité l’usage d’une arme pour
commettre le crime ».
L’article
3 prévoit « la condamnation à mort ou à la
prison à perpétuité de toute personne qui
constitue, organise ou dirige un groupe ou une
organisation non autorisée et ce, quelque soit
son appellation dans le but de commettre un acte
terroriste ».
L’article 6 stipule quant à lui « la
condamnation à mort ou à perpétuité de toute
personne qui dirige une organisation ou une
association privée, ayant été constituées
conformément à la loi, et qui en a profité pour
pousser à commettre un acte terroriste ».
Cette loi comporte des situations de cas
d’urgence avec l’interdiction de séjour,
l’assignation à résidence ou l’interdiction de
se rendre dans des endroits spécifiés (article
13) ; ainsi que la saisie du courrier, des
publications, des colis et des télex ; la
surveillance des communications sous toutes
leurs formes et l’enregistrement des mouvements
dans les lieux publics et privés (article 19).
Et ce qui est plus grave encore, c’est que pour
ordonner une enquête ou engager un procès dans
les crimes terroristes, le procureur général
n’est pas soumis à la condition de dépôt de
plainte ou de demande, comme c’est le cas dans
les procédures pénales (article 17). En outre,
la procédure judiciaire ne dévient pas caduque
avec l’écoulement du temps (article 16), et la
détention préventive peut atteindre six mois,
renouvelables par le tribunal compétent (article
18).
La loi 17, promulguée par le cabinet de l’Emir,
en date du 02/07/2002, dans le but de « protéger
la société », préconise l’arrestation arbitraire
de tout citoyen ; et ce dans une logique qui
nous rappelle la loi de « protection du front
intérieur et de la paix sociale »,
promulguée par Anouar El Sadate en 1978, en
Egypte, et qui relève le plafond des
arrestations administratives au gré du pouvoir.
Article 1 : par dérogation aux dispositions du
code de procédure pénal, susmentionné, le
ministre de l’intérieur peut, dans les cas de
crimes contre l’Etat, l’honneur, les bonnes
moeurs et les usages, décider la garde à vue
d’un prévenu s’il se confirme qu’il existe de
sérieuses justifications à cela et ce, sur la
base d’un procès verbal établi par le directeur
général de la sécurité publique.
Article 2: la durée de la garde à vue est de
deux semaines susceptibles de prolongation, une
ou plusieurs fois pour la même période et pour
un maximum de six mois. Une prolongation de six
mois est encore possible avec l’accord du
président du conseil des ministres. La durée de
la garde à vue est doublée dans le cas d’un
crime touchant à la sécurité de l’Etat ». La
durée de la garde à vue----détention
provisoire---La détention provisoire peut
donc durer deux ans et le ministre de
l’intérieur a toute latitude de fermer le local
en rapport avec le délit.
D’autre part et selon une politique sans la
moindre rationalité, le gouvernement Qatari a
privé 5266 citoyens et citoyennes de la
nationalité Qatarie au mois d’octobre 2004.
Malgré les interventions conjointes d’organismes
internationaux et de la commission nationale des
droits de l’homme, la moitié des intéressés n’a
pas encore trouvé de solution ou n’a pas eu
entièrement gain de cause.
Jordanie
Pour la
vérité et l’histoire, nous pouvons dire que le
royaume de Jordanie détient le record absolu des
lois provisoires et exceptionnelles depuis que
l’Etat d’urgence a été proclamé à l’échelle
internationale. Le Royaume de Jordanie s’est
empressé de promulguer des lois provisoires pour
venir à bout du peu de liberté que le pays a
connu aux lendemains de la révolte du pain de la
fin des années quatre vingt et de l’accord de
Wadi Araba entre la Jordanie et Israël.
Le nombre
de ces lois provisoires a atteint la centaine,
soit le tiers des lois et juridictions du même
genre, promulguées au cours de la même période
dans les pays musulmans. Il n’est pas étonnant
qu’à la suite de l’offensive enragée de Sharon
et la détermination américaine à garder le
royaume dans la dépendance totale, le jeune roi
sacrifie tout ce qui a trait aux libertés
fondamentales.
Egypte
L’Egypte
est l’un des premiers pays à avoir promulgué une
loi relative à la lutte contre le terrorisme
(loi 97 de 1992). Cette loi donne à la police
plus de pouvoir que n’en disposent la justice et
le parquet, et ce en contradiction flagrante
avec les dispositions de la Constitution, les
usages et les engagements internationaux de
l’Egypte.
Ce pays n’avait nul besoin des campagnes
d’arrestations cycliques dans les rangs des
Frères musulmans et autres courants islamistes,
comme gage de bonne volonté vis à vis du
gouvernement américain, d’autant que ces
arrestations, avec ou sans motif, touchent
particulièrement des éléments modérés (5). La
décision de déférer devant la justice militaire
des universitaires et opposants pacifiques, a
constitué un tournant très grave dans les
atteintes au respect des compétences et
prérogatives des pouvoirs en Egypte.
Toutes les organisations des droits de l’homme
crédibles sont unanimes à considérer que le
gouvernement egyptien persiste à ignorer les
principes constitutionnels et juridiques,
fondateurs de la législation et qui prônent la
plus haute considération pour l’homme et pour
tous les hommes, sans aucune exclusive ni
distinction entre eux. Et qui définissent le
rôle de l’Etat dans la direction des affaires de
la société et la protection de ses citoyens,
sans atteinte aux droits fondamentaux reconnus
par les conventions internationales.
La constitution et les lois sont tenues
d’élargir les conditions et les perspectives de
participation des citoyens à l’action publique
dans le respect des libertés d’opinion et
d’expression et des droits fondamentaux de
chacun. Or les nouveaux amendements
constitutionnels et notamment les articles 37,
56, 76 ainsi que l’article 179, (stipulant que
le Président de la République est habilité à
déférer tout crime de terrorisme à n’importe
quelle juridiction), sont en contradiction avec
la Constitution et notamment ses articles 41, 44
et 45, ainsi qu’avec quatre conventions
internationales auxquelles l’Egypte a adhéré et
qu’elle est tenue de respecter.
Cette situation a conduit à
déférer devant la justice militaire près de
quarante universitaires, des médecins et des
hommes d’affaires pour des charges contraires à
toute logique et qu’aucun esprit saint ne
pourrait accepter. Quoique les prévenus aient
été innocentés par la justice civile, ils ont
été poursuivis par la justice militaire près
d’une année et demie. Cette dernière, se
livrant à des tentatives mesquines de chantage
politique qui la discréditent et lui dénient
toute indépendance et toute constitutionnalité,
avait procédé à chaque audience au renvoi de la
prononciation du verdict à l’audience suivante.
Nous avons assisté ces dernières
années à l’aggravation du phénomène de
falsification de la volonté des électeurs et des
résultats des élections et des référendums. Ce
qui a pour conséquence de développer la
suspicion sur la légitimité des législations qui
en sortent. De même qu’on assiste à une
aggravation des pressions sur la justice, le
dédain de ses représentants et le mépris de leur
indépendance par le pouvoir exécutif.
D’autre part, nombre
d’agressions physiques perpétrées contre des
juges pour leur indépendance et leurs positions
hostiles à la politique du gouvernement, n’ont
jamais été réglées. Tout cela se passe alors que
le pays continue à subir depuis 1981 l’Etat
d’urgence et que les lois contraignantes, contre
les libertés d’opinion et de diffusion
continuent à sévir et à faire des victimes.
C’est à ce titre que la journaliste
Howeida Taha a été condamnée à la prison pour
avoir réalisé une émission télévisée sur la
torture en Egypte et que le blogueur Abdel Krim
Nabil Souleyman a été condamné à 4 ans de
prison, au motif qu’il a manqué de respect pour
les religions et offensé le président de la
République.
Enfin, quatre rédacteurs en chef
de journaux non gouvernementaux ont été
condamnés à une année de prison pour diffamation
du chef de l’Etat. Mentionnons les contraintes à
la formation de partis politiques et
d’associations, ainsi que les tentatives
permanentes pour domestiquer certaines d’entre
elles par les méthodes les plus diverses, de
marginaliser l’opinion publique internationale
en instituant un conseil national pour les
droits de l’homme, aux prérogatives limitées et
plafonnées.
Nous n’avons pas vu ce conseil
réagir à la légalisation et à la
constitutionnalisation de l’Etat d’urgence. Au
contraire, la CADH et les ONG ont été empêchées
d’assister aux procès devant la justice
militaire. Des centaines de personnes ont été
incarcérées ces derniers mois, accusées
d’appartenir aux frères musulmans ou pour
d’autres motifs. L’un d’entre eux, Khaled Hamza,
rédacteur en chef du site Internet des frères
musulmans, a été l’interlocuteur de la mission
de la CADH. C’est ainsi que cette dernière a
décidé de lui conférer le statut de membre
d’honneur pour ses efforts et son action
discrète et grandiose pour la défense des droits
de l’homme et des libertés en Egypte.
Yémen
L’exemple
yéménite est une illustration parfaite de la
soumission, en temps de mondialisation de l’Etat
d’urgence, comme si c’était pour s’amender de
ses positions au cours de la seconde guerre du
Golfe. Les responsables yéménites expliquent la
position de leur gouvernement par le fait que
leur pays a été partie prenante dans plusieurs
attentats ayant visé les intérêts occidentaux,
et de ce fait susceptible d’être victime des
réactions américaines au cas où il ne
collaborerait pas d’une manière complète avec
leur administration. Mais que signifie la
coopération totale : est-ce à dire que le
gouvernement yéménite demande de
l’administration américaine de liquider ses
propres citoyens sur le sol yéménite ? Ou bien
que le Yémen devienne le pays qui compte le plus
de détenus (100 sur 275) à Guantanamo ?
Cette
politique de dépendance conduit à notre sens à
des réactions incalculables en matière
d’hostilité à l’Occident en général, avec son
bien et son mal. Le meurtre des médecins
américains nous donne une idée sur les réactions
extrémistes à des politiques extrêmes dans leur
suivisme.
Selon les
chiffres qui nous sont parvenus le mois dernier,
il y a au Yémen plus de 900 détenus hors du
contrôle de la justice. Parmi les spécificités
tragiques yéménites, l’existence de prisons
privées à l’intérieur des prisons officielles,
dont l’exemple des Jaâchen sûrement difficile à
comprendre pour un citoyen tunisien. Il existe
au Yémen, en dehors de l’Etat mais aussi à son
ombre, l’exemple du Cheikh et de ses agents qui
pratiquent de nombreuses méthodes de répression
et de terreur, comparables à celles pratiquées
par des services officiels dans d’autres pays.
Ces « autorités » à l’intérieur d’autorités
officielles, un Etat dans l’Etat, constituent un
handicap sérieux devant les droits du citoyen.
Ainsi les esclaves d’un chef de tribu
mauritanien ou l’armement des Janjaouids au
Darfour ne constituent pas des exceptions. Dans
de nombreux pays arabes, nous vivons toujours à
l’ombre des potentats sociaux qui assistent et
soutiennent les potentats des services de
sécurité dans la réduction des droits
fondamentaux des citoyens.
Le
règlement des problèmes avec la mentalité
sécuritaire et militaire fausse, malgré la
présence d’institutions civiles, le rôle de ces
institutions et en fait « un faux témoin » des
violations des droits humains, économiques,
politiques ou tribaux. Cette logique a été
flagrante au cours des événements qui ont
ensanglanté Saâda et dans lesquels la société
civile yéménite a été marginalisée, avec
préméditation et détermination. Ceci empêcha
l’exercice de toute tentative interne de bons
offices et obligea à recourir aux services d’un
pays arabe du golfe. Comme si le clapet de
sécurité intérieur n’était pas reconnu et ne
pourrait être autorisé qu’à manifester
pacifiquement pour demander l’arrêt de la
guerre. Les violations enregistrées au cours de
ces événements demandent à constituer une
commission d’enquête, nationale et civile, afin
que les responsabilités soient déterminées et
afin aussi d’alléger les souffrances des
victimes.
Irak
Les
forces américaines et alliées ont occupé l’Irak
sans aucune couverture des Nations Unies. Je
m’étais immédiatement déplacé en Irak en ma
qualité d’observateur de la situation des droits
de l’homme dans ce pays sous occupation, tout
comme l’a fait la Commission Arabe des Droits
Humains auparavant en y envoyant une mission
pour s’enquérir de la situation du peuple
irakien soumis à un embargo inique. J’avais
écrit à l’époque : « les forces d’occupation
ont garanti toutes les conditions objectives de
la destruction et du désordre ».
Actuellement, il y a plus de quatre millions
d’irakiens déplacés et émigrés, plus de 700.000
morts, plus d’un million d’invalides et de
blessés depuis le début de l’occupation et
quelques 26.600 prisonniers et détenus dans les
prisons américaines et irakiennes. Les richesses
pétrolières irakiennes sont en passe d’échapper
à leurs propriétaires légitimes à travers un
projet de loi qui risque de les livrer pour des
générations aux compagnies multinationales,
privant ainsi le peuple irakien d’un
développement économique durable, seule
alternative à sa misère actuelle et unique moyen
de le rétablir dans sa santé perdue. L’Irak est
confronté actuellement à une
confessionnalisation de ses institutions et du
discours politique, un chauvinisme dans le
discours national du gouvernement et de
l’opposition, l’assassinat des scientifiques,
des cadres et des journalistes, et à une
corruption jamais égalée dans le monde en 5 ans
d’occupation. L’administration américaine a
donné aux démocrates du monde l’exemple de ce
qu’on ne doit jamais entreprendre ou s’y
impliquer.
Palestine
Le peuple
Palestinien a été sacrifié sur l’autel de la
guerre contre le terrorisme et ses sacrifices
ont permis de freiner l’agression américaine
contre les pays de la région. L’Europe, qui a
respecté 3 minutes de silence à la mémoire des
victimes américaines, n’a pas suivi le
simplisme stupide de l’administration américaine
qui a associé le combat des palestiniens au
terrorisme international et
habillé
Ariel Sharon des
oripeaux de l’homme de paix.
C’est à
cet autel qu’on a assassiné le droit
international humanitaire en plein jour, à
travers le crime d’une guerre systématique menée
par l’armée d’occupation depuis le début de
l’Intifada. Les forces d’occupation israéliennes
entreprennent la destruction de maisons, les
assassinats ciblés et prémédités
extrajudiciaires, exercent un blocage sanitaire
et sur les denrées alimentaires à l’encontre des
individus, la spoliation des terres, l’attaque
de terres agricoles, l’assassinat des enfants et
des civils d’une manière tout à fait normale,
sans la moindre dénonciation ou condamnation de
quiconque, et ce avec la complicité américaine.
Il y a actuellement quelques 12.000 prisonniers
et détenus palestiniens et arabes dans les
prisons israéliennes. Un mur d’apartheid et un
encerclement de la bande de Gaza privent la
population de nourriture, de médicaments et de
tout moyen de survie.
Israël a,
au cours des huit dernières années, commis tous
les crimes graves listés dans la convention de
Rome. Sans aucun doute, l’administration
américaine et ses alliés assument une lourde
responsabilité dans l’impunité actuelle et la
poursuite de ce lent génocide contre le peuple
palestinien.
L’entité
sioniste a fait tout ce qu’elle pouvait et
mobilisé toutes ses forces pour anéantir
définitivement la cause palestinienne. Des
responsables de la communauté juive à l’étranger
ont tout entrepris pour lier lutte contre le
sionisme et antisémitisme et pour couvrir
l’extrémisme américano sioniste, même dans les
milieux des organisations non gouvernementales.
Pourtant, des crimes de guerre et des crimes
contre l’humanité ont été prouvés et attestés
contre les principaux responsables de l’Etat
Hébreu. Il y a toujours une volonté farouche
pour protéger l’enfant chéri de la domination
occidentale sur le monde arabe. Il nous faut
imaginer chaque jour de nouveaux moyens de lutte
et de poursuite, afin de créer un équilibre
minimum entre le crime et le châtiment. Il y va
non seulement du crédit du mouvement
international pour les droits de l’homme, mais
aussi des fondements de la conception
occidentale du droit international.
Bahreïn
De ce
sombre tableau, nous avons cru pouvoir excepter
le Bahreïn, d’autant que les mesures d’amnistie,
qui ont créé une dynamique sociale très avancée,
ont mis fin à la peur et à la méfiance et ouvert
de nouvelles perspectives pour l’avenir. D’un
autre côté, les conservateurs ont su profiter
des événements de septembre. Ils ont réclamé
l’arrêt des réformes, la prudence dans la
reconstitution de l’institution législative et
la nécessité pour que l’amnistie recouvre aussi
les crimes graves, imprescriptibles, tels que la
torture et le meurtre extrajudiciaire. Ainsi,
selon le décret 56 de l’année 2002, qui explique
certaines dispositions de la loi 10 de l’année
2001, l’amnistie concerne les crimes commis par
un fonctionnaire public, civil ou militaire,
quelque soit le niveau de sa participation dans
le crime, principal ou secondaire, et quelque
soit la nature du crime.
La loi
organisant la presse, l’impression et l’édition,
promulguée un jour avant les élections
législatives, stipule dans son article 6 et 77,
des choses contradictoires avec le principe de
la transparence démocratique et comprend des
contraintes injustifiées aux journalistes les
exposant à de durs châtiments.
Le
Bahreïn a connu de nombreuses vagues
d’arrestations ces dernières années et après
avoir vidé ses prisons. J’ai vu personnellement,
il y a deux ans, comment les services de
sécurité se sont comportés avec un rassemblement
pacifique. Ils ne se sont pas contentés
d’utiliser des bombes lacrymogènes, de recourir
aux bastonnades, aux coups de feu et aux
arrestations, mais nous ont mis sous le contrôle
d’hélicoptères et un siège policier étranglant
durant des heures.
Libye
La
pénitence de Kadhafi constitue le nouveau modèle
« du rapport de l’administration américaine et
la plupart des gouvernements occidentaux » aux
droits de l’homme. Depuis que le Colonel libyen
a rejoint l’orchestre du chantage de « la guerre
contre le terrorisme » et obtenu un certificat
de bonne conduite, il n’est plus tenu d’apporter
le moindre changement à sa gestion des droits de
l’homme dans son pays. Nous en avons une bonne
illustration à travers l’arrestation de 14
militants pour les droits civiques en date du
16/02/2007. Au cours du procès de ces derniers,
nous avons constaté, le mois dernier, pour la
septième fois consécutive, que deux des
prévenus, Jomâa Boufaied et Abderrahman Al
Ketioui, n’ont pas été présentés au procès, ce
dont nous nous inquiétons beaucoup.
Mondialisation de l’Etat d’urgence
Ce rapport n’est pas exhaustif.
Nous n’avons pas tout dit sur les violations
dans les pays cités et nous n’avons pas cité
certains autres, par manque de temps. Mais il
convient, à ce niveau, de mentionner « la
traduction arabe de la mondialisation de l’Etat
d’urgence », et ce sur tous les plans. Ainsi,
nous avons aujourd’hui ce qu’on peut appeler « les
prisonniers arabes sans frontières », un
phénomène qui intéresse quelques 10.000
personnes, allant du Pakistan à la Californie,
présentes dans tous ces pays et chez leurs
voisins immédiats. En Syrie, il y a des
prisonniers irakiens et saoudites, alors qu’en
Irak, il existe des prisonniers arabes de
toutes nationalités.
Au Koweït, il y a des
prisonniers irakiens et d’autres nationalités ;
en Arabie Saoudite des prisonniers yéménites,
irakiens, des pays du golfe et autres. En
Egypte, des prisonniers soudanais, comme il y a
des prisonniers arabes en dehors des pays arabes
en grand nombre.
Il y a
aussi un phénomène qu’on peut appeler « prisons
sans frontières », tel que le camp de
Guantanamo ou les prisons secrètes existant en
Jordanie, Roumanie, Pologne et de nombreux
autres pays du monde.
Mais
le chiffre le plus important des ‘prisonniers
arabes sans frontières’ reste celui de
Guantanamo :
25
Algériens, 108 Yéménites, 8 Syriens, 11
Tunisiens, 132 Saoudiens, 9 Soudanais, 6
Bahreïnis, 2 Somaliens, 4 Egyptiens, 2 des
Emirats arabes unis, 6 Iraquiens, 5 Jordaniens,
12 Koweitiens, un Libanais, 11 Libyens, 3
Palestiniens, 9 Marocains, 3 Mauritaniens, et un
Qatari de la tribu d'Al Marri, ayant entre temps
perdu sa nationalité avec 5700 Qatari de sa
tribu déchus de leur nationalité.
Il existe
aussi ce que l’on peut appeler « interrogatoires
sans frontières » et selon lequel des agents
du FBI peuvent venir dans nombre de pays arabes,
nous en avons connus cinq, pour participer aux
interrogatoires avec les agents locaux. Ainsi,
nous sommes passés de la mondialisation sous la
férule unique de l’Amérique à ce que l’on peut
appeler « les violations graves et sans
frontières des droits de l’homme », la
mondialisation de l’Etat d’urgence, de la
torture, des arrestations arbitraires et des
prisons extrajudiciaires et enfin au meurtre
extrajudiciaire.
Il existe
actuellement dans le seul Irak, huit foyers ou
centres pouvant tuer et causer ainsi la mort
extrajudiciaire. Il n’est pas étonnant que les
forces d’occupation y soient comprises, en même
temps que le ministère de l’intérieur, à côté
d’autres organisations terroristes. Le crime
organisé a sa part dans les enlèvements et les
demandes de rançon et dans l’assassinat des
victimes, au cas où leurs familles ou des
parties politiques ne paient pas la rançon.
Aperçu
géopolitique
Après ce
bref aperçu des conséquences immédiates sur les
droits de l’homme dans le monde arabe, nous
allons essayer de dessiner les grandes lignes de
la situation géopolitique par rapport aux
libertés fondamentales et des droits de l’homme.
Le besoin
qu’a l’administration américaine des services de
sécurité arabes dans ses guerres étrangères, a
permis la réhabilitation de ces services et
rendu le discours américain sur la démocratie
une risée pour tout le monde et discrédité par
les gens les plus simplistes.
Il est
clair que le résultat fondamental, aux plans
psychologique et politique, de l’échec du modèle
occidental des droits de l’homme a permis de
libérer les petites dictatures de leurs chaînes.
Celui qui institue le Camp X Ray n’est pas
capable de réclamer la fermeture des prisons
arabes et israéliennes de triste réputation.
Tout comme celui qui promulgue le Patriot Act ne
peut s’opposer aux lois d’exception dans le
monde arabe. Les droits de l’homme ne sont plus
dans le discours officiel américain que des mots
creux, vides de sens, utilisés pour faire
chanter ses ennemis politiques à travers le
monde.
Le
système politique arabe, après avoir échoué dans
son combat pour le développement et l’unité
arabe- le vote syrien, en faveur de la
résolution 1441, au nom de l’ensemble arabe-
n’a plus rien à dire en matière de souveraineté,
d’indépendance et d’autonomie de décision. Les
bases américaines se multiplient dans les pays
du golfe et la presqu’île arabique. Les services
secrets américains sont présents dans les
centres d’interrogatoire dans le monde arabe.
Leurs collègues arabes sont au petit soin avec
eux et ne leur refusent rien, bien qu’ils
sachent pertinemment le haut degré de la
collaboration israélo- américaine.
Le refus
de la plupart des régimes arabes de compter sur
leurs peuples et leur choix de privilégier la
coopération avec l’administration américaine
dans ses projets régionaux, a fait d’eux, non
seulement des pouvoirs qui violent les droits de
leurs citoyens et refusent toute réforme ou
amélioration, mais aussi des producteurs de la
violence sociale, avec toutes les conséquences
sur la paix civile et internationale.
Que
faire ?
Dans cet
état général de ruines, est-il possible de faire
quelque chose aux plans arabe et international,
ou bien sommes-nous, tous, gouvernements et
gouvernés, sortis de la dynamique de
l’histoire ?
Il est
certain que l’effondrement de l’ordre arabe va
laisser des traces sur les sociétés, mais sans
aller jusqu’à déterminer l’avenir des peuples.
Certes, ces peuples ont perdu beaucoup de leur
dignité, de leur conscience et de leur capacité
à réagir et à prendre des initiatives, sous le
coup de la tyrannie, de la corruption et de la
mainmise des services de sécurité. Malgré cela,
il faut croire que le suicide collectif n’est
pas un trait de caractère arabe et n’appartient
pas à la culture orientale qui interdit toute
forme de suicide sous quelque prétexte.
C’est ce
qui nous rend confiants et nous permet de penser
que la situation actuelle, aussi dégradée
soit-elle et même accompagnée d’un certain
racisme parfois et d’un repli sur soi, avec en
réaction, un extrémisme aveugle, constitue le
creuset et l’alchimie de la vie ; et peut de ce
fait constituer les semences de l’avenir pour
nos enfants.
Il y a
néanmoins cette question: pouvons-nous y jouer
un rôle ou bien notre génération a-t-elle déjà
joué le sien ?
J’ai eu
l’occasion de répéter au cours de mes dernières
interventions, qu’il serait difficile pour les
petites chapelles de défense des droits de
l’homme, pour les groupuscules politiques et les
syndicats taillés sur mesure, de répondre aux
défis de l’étape. Une telle mission exige que
l’on reconsidère les programmes et les
stratégies d’action des Organisations non
gouvernementales au plan arabe et international.
L’obéissance du pouvoir politique à la loi du
plus fort, la capacité à annihiler la résistance
des gouvernements, l’illégitimité de la plupart
des pouvoirs exécutifs arabes et les tentatives
d’intervention directe des Etats-Unis dans les
politiques des pays de l’OTAN, ont donné aux
représentants de la société civile un rôle
central dans la résistance civique pour la
défense des droits et des libertés. Ce contre
pouvoir qui ne se limite plus au rôle
traditionnel d’intermédiaire entre l’Etat et la
société et le clapet de sécurité contre la
violence intérieure et le lien entre les
peuples, les cultures, ainsi que la dernière
citadelle pour la défense de la solidarité
internationale. C’est devenu même, selon
l’expression de Mahmoud Mohamed Salah et Morot
Doufargues, porte parole officiel d’une éthique
universelle agressée par l’ordre mondial actuel
dans ses constituants fondamentaux, économiques,
politiques et militaires.
L’agression de l’Irak fut le début d’une
nouvelle étape dans laquelle la loi de la force
a écrasé la force de la loi. La réponse à
l’arrogance de la force exige le passage à un
rassemblement politique et associatif des voix
hostiles à la domination américaine et qui
défendent leur droit à la différence : les
syndicats progressistes, les agents des
organisations humanitaires et de bienfaisance,
les intellectuels critiques et l’homme de
religion résistant, tout comme le parti
politique et l’Organisation non gouvernementale.
Toutes ces forces doivent assumer la
responsabilité de reconstituer les réseaux de
lutte et de défense de la dignité humaine. Et ce
à un moment crucial de déliquescence politique
et de délitement institutionnel accompagné de
tentatives d’exploiter une situation arabe très
détériorée, pour consolider l’exploitation et la
tyrannie à l’échelle mondiale.
Pour
répondre aux défis réels de « la mondialisation
de l’Etat d’urgence », c'est-à-dire la tragique
victoire de la barbarie dans les esprits, les
comportements et les institutions, il nous faut
avant toute chose procéder à la construction
d’un vaste front démocratique à l’échelle
mondiale (6).
Traduit de l’arabe par Ahmed Manai
1-
Haytham Manna : les conséquences de la politique
américaine des droits de l’homme sur la
situation arabe. Conférence à Manama, à
l’invitation de l’association Bahreini des
droits de l’homme.
Voir
aussi du même auteur, le livre : Les Etats-Unis
et les droits de l’homme.
2- Talal
Khaldi : une heure et demi qui ont bouleversé le
monde : l’automne de Damas et les nouveautés
internationales, Revue Moukarabat,
numéros 4 et 5, 2002 ;
3-
Témoignage de Ahmed Hamid Saïd : 31/01/2002,
archives de l'ACHR.
4- Du
témoignage de Khaled Al Dosari, 22/09/2002,
archives de l'ACHR. Le dossier de k. Al dosari
n’était pas encore clos quand les autorités
jordaniennes avaient arrêté le 24 Ramadhan
l’ingénieur informaticien Yasser Fethi Ibrahim
Ferihat le déférant devant la cour de sûreté de
l’Etat. Le ministère de l’information jordanien
avait évoqué à l’époque son rôle dans
l’assassinat du diplomate américain Foli.
Des aveux
ont été arrachés à la victime sous la torture et
ont conduit à son inculpation pour un usage
strictement de désinformation médiatique. La
victime a été déférée devant la cour de la
sûreté de l’Etat et condamnée avec Salem Sâad
Salem (ressortissant libyen) à mort, le
11/03/2002.
5- Voir
aussi sur le même sujet : Maha Youssef, Imed
Moubarek et Mustafa Al Hassan : les lois
d’exception et le droit à l’association en
Egypte : ACHR, publications Eurabe, Paris, 2002.
6- Voir :
Haytham Manna : La justice ou la barbarie, Al
Ahali et ACHR, Eurabe, paris, 2006.
*Conférence prononcée à Taez (Yémen) le 8 mars
2008, à l’occasion de la journée de la femme et
à l’invitation de
Women's
Forum for Research and Training - WFRT- Yemen.
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