Droits
de l'homme en Tunisie
Qu'en
est-il aujourd'hui? *
Violette Daguerre
Lundi dernier, le tout nouveau Conseil des droits de
l'homme a été inauguré au Palais des Nations Unies à Genève. Son secrétaire
général a appelé les 47 pays membres de cette nouvelle instance à ne pas
décevoir les attentes et à reprendre la lutte pour les droits de l'Homme avec
une vigueur renouvelée.
L'on
sait que la Commission des droits de l’Homme, qui l'a précédée pendant soixante
ans, avait été discréditée par la présence en son sein de plusieurs pays connus
pour leur non-respect des droits de l'Homme.
Malgré la promesse qu'une revue systématique et régulière
de la situation des droits de l'Homme dans chacun des pays membres de l'Onu
devait permettre d'éviter l'accusation de sélectivité dont souffrait la
Commission, on est en droit d'affirmer que le Conseil des droits de l'homme est
discrédité avec des pays comme la Tunisie, l'Algérie, l'Arabie saoudite,
l'Azerbaïdjan, le Bangladesh, la Chine, Cuba, le Nigeria, le Pakistan, et la
Russie parmi ses membres.
la Tunisie a été élue le 9 mai dernier sans compétition
dans un groupe (Afrique) ayant présenté 13 candidats pour 13 sièges à pourvoir,
alors que l'élection des membres du Conseil devait obéir à une représentation
géographique équilibrée, chaque candidat devant recevoir au moins 96 voix, à
bulletin secret.
Personne n’ignorait le bilan désastreux du régime de Ben
Ali en matière de droits humains. Kofi Anan, le secrétaire général de l'ONU, avait lui même
adressé de sévères reproches au président tunisien lors de leur rencontre en
novembre 2005, à l’occasion de la tenue du Sommet mondial sur la société de
l'information en Tunisie.
D'autres personnalités qui se sont rendues à Tunis pour
la même occasion ont de même dénoncé les violations du régime incessantes des
droits de l'homme, et le président de la Confédération suisse a lui-même
adressé ses critiques du haut de la tribune pendant l'inauguration du sommet.
Ayant moi-même participé au SMSI,
J'ai été témoin de violences de la part des autorités tunisiennes à l'encontre
des journalistes et des défenseurs des droits de l'homme durant la tenue du
sommet pour essayer de les réduire au silence. Depuis cette date ces
agissements n'ont fait qu'empirer avec leur lot quotidien de violences et de
violations massives des droits de l'homme. Harcèlements, violences physiques,
campagnes calomnieuses, emprisonnements, interdictions de réunions, censures de
l'information avec suppression de sites Web, bref une politique d'usure et de
harcèlement contre les opposants a été systématiquement appliquée.
En dépit de toutes les condamnations officielles et
officieuses de cette situation, il manque de véritables pressions extérieures
de la part des principaux partenaires économiques de la Tunisie, (France,
Espagne l'Italie). Ceci pourrait expliquer en partie le sentiment d'impunité
chez les tenants du pouvoir tunisien.
Pourtant, la résolution (A/RES/60/251),
instituant ce Conseil, précise dans son article 9 que: «les Etats
élus au Conseil observeront les normes les plus strictes en matière de
promotion et de défense des droits de l’homme, coopéreront pleinement avec le
Conseil et seront soumis à la procédure d’examen périodique universel au cours
de leur mandat.»
L'article 8 précise: « qu’elle pourra, à la majorité des
deux tiers des membres présents et votants, suspendre le droit de siéger au
Conseil d'un membre qui aurait commis des violations flagrantes et
systématiques des droits de l’homme.»
Pour répondre à ses engagements, la Tunisie dit avoir mis
en œuvre un cadre juridique complet de nature à "éviter toute violation
des droits de l'homme".
Jusqu'à présent la réalité sur le terrain est très
différente. A-t-on le droit tout de même d'espérer, à moyen terme, une
amélioration de la situation en raison des engagements que ce pays a donné pour
son élection?
On ne peut que le souhaiter, même si l'expérience nous a
appris que méfiance et vigilance s'imposent vis-à-vis de ce genre de pouvoir. Un
pouvoir qui s'approprie l'Etat, usurpe sa
souveraineté et celle de son peuple, en entravant le fonctionnement
normal des institutions (en particulier les systèmes judiciaire et
parlementaire, l'information, les syndicats...), en instrumentalisant les
appareils de l'Etat et en faisant tout ce qui le
rassure sur sa toute-puissance, de crainte de perdre son pouvoir.
L'utilisation illégitime du pouvoir finit par faire peur
à son détenteur qui cherche
à
se protéger par
tous les moyens de ses victimes, et combattre tout ce qui semble menacer sa
stabilité ou lui faire subir ce qu'il fait endurer aux autres. Son attitude
paranoïaque force le citoyen à agir contre ses propres intérêts
en lui interdisant de manifester sa douleur.
La victime peut être celle qu'on emprisonne ou torture
pour l'exemple, mais c'est aussi celle qu'on attente
à sa dignité, en l'obligeant à
se taire ou
même à jouer l'avocat du diable. Ce type de pouvoir, en broyant ou en écartant toute personne de valeur, finit par ne s'entourer que de
flatteurs, qui suivent la direction du vent. Leur destin devient étroitement
lié à la pérennité du système, ils ne peuvent que se
sentir obligés de le défendre par tous les moyens, même les plus
répréhensibles.
Qui peut croire qu'on peut asservir indéfiniment le
citoyen, manipuler ses sentiments et sa conscience? Lorsqu'on perd sa dignité
et le respect
de soi-même, la vie n'a plus aucun sens. La répression et les frustrations
conduisent au désespoir et celui-ci à la violence.
Il me semble toutefois que la crise n'est pas
seulement dans le camp du citoyen, elle est au sein du pouvoir lui-même. Il
s'aperçoit que le compte à
rebours a
commencé, que la réalité change et qu'il devient possible de
demander des comptes aux tyrans où qu'ils se trouvent, pour les crimes qu'ils
ont commis contre leurs peuples. Ce n'est qu'une question de temps!
Alors chers amis, si votre exil, aussi douloureux
soit-il, peut servir à apporter un soutien à vos compatriotes exilés dans leur
propre pays, il n'aura pas été inutile.
La souffrance d'être arraché à sa terre natale nous
réunira tous dans l'action salvatrice pour un monde meilleur. Nous oeuvrerons
ensemble à travers une identité transculturelle franchissant les frontières et les identités-prison, pour un exil
qui ne sera pas placé sous le signe de la perte et du deuil du pays perdu.
Nous conjuguerons nos efforts pour mieux combattre
l'oppression et lutter pour la liberté et les droits de la personne, mais aussi
pour ne pas nous transformer en objet-perdu pour les
nôtres, nos racines.
Nous avons une dette envers eux. En les aidant à changer la
réalité qui les opprime on s'aide soi-même aussi à supporter les affres du
temps qui passe, et ce sentiment d'étrangeté et de culpabilité d'être là où on
se trouve.
Cette réunion, nos idéaux et nos actions nous rapprochent
de ce que nous avons quitté contraints et forcés, dans l'attente d'un probable
retour, où l'absent sera de nouveau réinvesti dans la réalité et non plus dans
le désir.
Je vous remercie de m'avoir invitée parmi vous.
*Intervention donnée à la soirée
culturelle et de débat sur la situation des prisonniers politiques et des
droits de l'Homme en Tunisie, organisée par l'association Ez-Zeitouna
à Genève le 24-06-2006.