COMMISSION ARABE DES DROITS HUMAINS

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2016-02-08

Ce qui motive l’engagement des Professionnels de la psychiatrie pour la Palestine

 

 

Samah Jabr et Elizabeth Berger

 

L’OCCUPATION ISRAÉLIENNE DE LA PALESTINE :

Dans une période de désarroi mondial entourant les crises de réfugiés dans de nombreuses régions, il est aisé de perdre de vue le fait que les Palestiniens composent l’une des plus importantes populations de réfugiés, et la population de réfugiés la plus ancienne du monde. Sur les 11,6 millions de Palestiniens dispersés à travers le monde, 4,5 millions vivent aujourd’hui dans une insécurité apatride à l’intérieur du territoire palestinien occupé sous domination israélienne, une zone géographiquement discontinue, de plus en plus fragmentée, et allant toujours en se rétrécissant, une zone qui inclut la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza. Le déplacement des Palestiniens hors de leurs foyers par les forces israéliennes, commençant en 1948 et se poursuivant jusqu’à ce jour, est fondamentalement une conséquence d’un unique facteur : l’ambition israélienne de débarrasser le pays de la population palestinienne aux fins de son usage exclusif pour la population juive israélienne. L’impact catastrophique de cette ambition a été enduré par des générations de Palestiniens qui ont souffert d’une agression dévastatrice et constante, militaire, politique, économique, sociale et idéologique, une agression nécessaire pour sécuriser leur projet sur cette terre. Les conditions historiques et actuelles pour les Palestiniens, impliquant près de 70 années d’une purification ethnique systématique et d’un contrôle d’apartheid au nom du sionisme politique, posent donc un énorme défi moral.

La liste des violations des droits humains perpétrées par le gouvernement d’Israël dans son occupation actuelle de la Palestine constitue un catalogue de la terreur : meurtres et fractures des os de manifestants sans défense, armement des colons israéliens afin qu’ils commettent des actes de violence contre les Palestiniens, bombardements d’hôpitaux et d’écoles, irruptions dans les domiciles et démolitions de maisons, usages de gaz toxiques, arrestations en masse, mises en détention, et tortures – y compris les tortures sur des enfants. On estime que depuis 1967, le tiers de tous les hommes palestiniens ont été mis en détention par les forces israéliennes, souvent sans qu’il ne soit porté d’accusations contre eux, et il n’est pas rare que ces détentions durent des décennies. Presque tous ces détenus ont subi des mauvais traitements, et la torture y est si fréquente que les conséquences physiques et psychologiques de la torture par les Israéliens constituent un problème de santé publique en Palestine. D’autres formes plus insidieuses de représailles contre la communauté sont imposées par les Israéliens, avec la destruction délibérée, méthodique et massive des systèmes économique, agricole, éducatif et juridique en Palestine, de même qu’avec le maintien d’une maîtrise totale de son réseau routier, de son eau, de son espace aérien, des mouvements de sa population, et de ses ressources naturelles. Les efforts délibérés pour décimer la direction de la société palestinienne grâce à un ciblage spécifique de journalistes, avocats, défenseurs des droits humains, organisateurs de la communauté, et législateurs – et notamment de professionnels de premier plan de la psychiatrie et de leurs familles -, ces efforts ont représenté un aspect particulièrement malfaisant de la politique israélienne.

Le déplacement violent, la politique visant à stopper l'extension démographique et le développement économique de la société palestinienne, et la dévastation du peuple de Palestine n’auraient jamais pu se faire sans l’astronomique et toujours croissante masse de soutiens militaires accordés au gouvernement d’Israël par les États-Unis – une aide militaire cumulée, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, plus importante que pour aucun autre pays, et estimée à près de 100 milliards de dollars – des soutiens militaires motivés par leurs propres intérêts géopolitiques au Moyen-Orient. Et cette guerre de chars d’assaut et d’avions de combat a été justifiée à travers une guerre de mots, une campagne de propagande très bien financée, présentant les Israéliens comme de braves victimes qui défendent la démocratie, et les Palestiniens comme de dangereux fanatiques déshumanisés.

Les déformations de la réalité à la base de la propagande pro-israélienne et les détails des crimes israéliens contre l’humanité ont été documentés dans une succession de rapports, des Nations-Unies, d'organisations de défense des droits de l’homme comme Amnesty International et d'organisations internationales contre la torture, de même que par des universitaires et des journalistes internationaux ; de plus en plus d’organisations israéliennes et d’individus courageux qui se font entendre en Israël s’expriment contre l’oppression du peuple palestinien par leur propre gouvernement et ses effets pernicieux sur la société israélienne, comme sur la société palestinienne. Des mouvements de solidarité avec la communauté palestinienne pour instruire et convaincre l’opinion publique mondiale ont émergé en de nombreux endroits, ils se consacrent à mettre au grand jour l’agression violente, le racisme, et la violation des règles internationales des droits de l'homme commises par l’État d’Israël.

LE RÔLE DES PROFESSIONNELS DE LA PSYCHIATRIE :

Les professionnels de la psychiatrie, qualifiés de par leur formation et leur expérience pour écouter les intentions cachées sous les apparences, ont la capacité de désamorcer la puissance du récit propagandiste pro-israélien en distinguant le fantasme de la réalité, et en identifiant les motivations du déni, l’intérêt personnel et l’aveuglement derrière ses affirmations. Une telle position propagandiste, fondamentale pour la vision du monde sur le sionisme politique, affirme la « spécificité » inhérente à la population juive : spécifique de par son passé de victimisation en Europe, la population juive exige un État ethnocentrique militarisé à l’abri de toute critique et exempté du droit international. Tout en jouant sur la culpabilité de l’Occident pour sa passivité et sa collaboration avec l’Holocauste de la Deuxième Guerre mondiale, l’affirmation contestable de la spécificité israélienne offre une apparence à première vue innocente, tout en masquant la responsabilité morale d’une avidité colonialiste voilée, d'un sentiment de légitimité permanente et de la violence impitoyable du gouvernement israélien en assimilant toute critique à de l’antisémitisme.

Une autre position propagandiste est l’opinion « libérale » souvent entendue que la violence israélienne – bien que regrettable – se reflète et se justifie par la menace de la violence palestinienne ; l’affirmation, elle aussi contestable, d’une symétrie offre une apparence d’inévitabilité tragique avec un partage apparemment impartial de la responsabilité et de l’empathie entre les deux parties, tout en normalisant et en soutenant secrètement le statu quo. Dans l’ensemble, le professionnel de la psychiatrie reconnaîtra dans les mauvais traitements israéliens du peuple palestinien les contours caractéristiques de la dynamique de l’abus : l’abus lui-même et la campagne implacable qui s’ensuit pour saper la crédibilité de la victime, pour détruire chez la victime le respect d’elle-même, et pour délégitimer et réduire au silence le récit de la victime. En identifiant les manipulations propagandistes, notamment en dénonçant ces prétendues vérités coulant de source comme des distorsions de la réalité, motivées politiquement, les professionnels de la psychiatrie peuvent élever le niveau de perception de la réalité au sein du débat sur Israël et la Palestine occupée.

En plus d’apporter un éclairage pour le débat sur l’occupation, la communauté de la psychiatrie se trouve dans une position unique pour évaluer sans erreur la gravité de l’immense dommage psychologique et social infligé par l’occupation, grâce à une compréhension professionnelle des conséquences émotionnelles d’une guerre, d’une occupation, et d’une insécurité omniprésente, et spécialement à travers le point de vue du développement de l’enfant. Sous cet angle, les atrocités manifestes, qui maintenant revêtent une importance dans l’opinion grâce aux clips de vidéos virales Internet (comme pour ces soldats israéliens en train de frapper un enfant palestinien), peuvent être placées dans le contexte plus large de la violence généralisée, du racisme, de la fragmentation sociale, de la détention sans procès, du chômage, de l’appauvrissement, de la malnutrition, du dysfonctionnement familial, de l’humiliation et de la misère humaine, et de l’impact dévastateur quotidien de tous ces facteurs sur le bien-être psychologique. L’agression psychologique de 1948, de conception simple, visait à instiller la peur avec l’objectif de persuader les Palestiniens d’abandonner leurs maisons ; mais l’agression psychologique d’aujourd’hui, de conception très élaborée, vise à détruire la morale palestinienne afin de pousser vers un état de désespoir passif, et de miner les origines de l’individu, de la famille et la cohésion sociale. L’objectif aujourd’hui est de parvenir à un isolement psychologique général et à la capitulation de toute une population prisonnière qui n’a plus où aller, et d’écraser une résistance palestinienne à ses racines dans l’esprit humain.

Les effets de l’occupation dans tous les domaines de la société palestinienne sont donc la force agissante d'un fardeau important, d’une détresse psychiatrique qui frappe des millions de personnes, une détresse dans laquelle ont été relevés de très hauts taux de troubles psychiatriques courants tels que la dépression, l’anxiété et le trouble de stress post-traumatique. Mais, contrairement aux dommages causés à une communauté par un tremblement de terre ou une inondation, le préjudice pour le peuple palestinien inclut et dépasse le domaine d’une lésion aiguë ; le peuple palestinien a souffert d’une blessure chronique provoquée par une injustice chronique. Sous l’occupation, le peuple palestinien est confronté à une dégradation résolument infligée à tout le système de valeurs qui lui a donné son identité en tant que peuple. Ce n’est pas seulement le moi individuel qui a été abîmé, c’est aussi le moi collectif. Nous sommes placés devant un défi, en tant que professionnels ayant mission de guérir, le défi de devoir penser à de nouvelles façons de développer des théories et des pratiques globales appropriées à ce contexte.

De notre point de vue, la communauté de la psychiatrie est particulièrement bien préparée pour être active et dynamique pour affronter ces défis cliniques et – dans le même temps – moraux dans notre pratique quotidienne si ces questions surviennent, et au-delà, à travers nos organisations et activités professionnelles. Nos compétences professionnelles en tant que praticiens exercés à une écoute active, à clarifier les contradictions, à se confronter à des pensées confuses, à convaincre de la souffrance dans la communauté et chez les soignants, et en tant que défenseurs de la justice pour les personnes vulnérables et les victimes, ces compétences préparent les professionnels de la psychiatrie à se rendre utiles de multiples façons dans la lutte contre l’occupation. 

Nous encourageons les professionnels de la psychiatrie en premier lieu à ne pas nuire : par exemple, il faut s’exprimer contre toute participation de confrères dans des rôles qui améliorent les pratiques de l’occupation, tel qu’aider au développement des techniques d’ « interrogatoire ». En plus, nous encourageons les professionnels de la psychiatrie à s’associer à des projets pour amplifier la portée du débat, à témoigner, à documenter, et à s’engager dans une recherche qui traite de l’occupation, et à rechercher des partenariats avec les Palestiniens pour révéler toute l’ampleur des conséquences de cette occupation. Il existe un grand besoin de soutien aux initiatives palestiniennes qui fournissent des services psychiatriques directs pour les patients, et de promouvoir des formes de vie communautaire qui soient véritablement thérapeutiques pour le public palestinien. En tant que professionnels de la psychiatrie, nous avons des compétences, comme praticiens et formateurs, qui peuvent être d’une utilité pratique sur le terrain.

Mais de la même manière qu'aucun professionnel de la psychiatrie ne saurait traiter une victime d’inceste ou de torture en cours sans « en appeler aux autorités », aucun professionnel de la psychiatrie ne peut traiter une victime d’une occupation à huis clos. Le devoir qui est le nôtre de signaler les mauvais traitements fait partie de notre professionnalisme et dans de nombreux cas, il est codifié dans la loi en tant qu’obligation juridique qui nous incombe. Les mauvais traitements doivent cesser ou alors tous nos efforts thérapeutiques deviennent dénués de sens, ou peut-être même nocifs, parce que les victimes de ces traitements ont besoin de justice dans le monde, autant que de thérapie. Le traitement des victimes de violences est donc multidisciplinaire dans son essence parce que des forces extérieures, comme la police et le système judiciaire, sont requises pour restaurer les droits fondamentaux des victimes, des forces qui agissent en coordination avec la psychiatrie en tant que discipline. C’est être cohérent avec notre mandat de professionnels ayant mission de guérir que d’intégrer des agendas de santé publique qui examinent et agissent pour s’attaquer aux causes profondes de la souffrance humaine. Par conséquent, les droits humains doivent être une question importante pour les professionnels de la psychiatrie, ce qui exige de militer en réponse à leurs violations et à leurs mépris.

Les conséquences psychologiques et psychiatriques de l’occupation israélienne ne relèvent pas seulement du domaine psychiatrique, mais aussi des domaines juridiques et géopolitiques ; rétablir le bien-être mental exige que nous fassions appel à l’intervention d’autorités morales et juridiques de stature internationale. Tout comme les organisations professionnelles en psychiatrie ont coopéré avec les législateurs et les juges pour élaborer et faire respecter les lois protectrices des victimes d’inceste, de viol, et de violence familiale, de la même manière la communauté de la psychiatrie doit travailler dans un soutien mutuel avec les organisations juridiques, politiques et de défense des droits humains, pour demander justice pour le peuple palestinien et lui rendre sa dignité humaine.

Ainsi, en tant que professionnels concernés, nous pourrions être amenés à aller au-delà du cadre de nos rôles professionnels habituels et à agir comme un groupe à l’appui de mouvements afin de parvenir à une véritable mutation en Israël et en Palestine occupée, qui respecte les besoins humains et les droits humains de toutes celles et tous ceux qui y vivent. Nous devons nous engager non seulement à agir en tant que praticiens pour la libération de l’individu, mais aussi pour la libération de la communauté. Nous appelons les professionnels de la psychiatrie à s’engager dans une solidarité socio-politique avec le peuple de Palestine, en une position thérapeutique. De nous consacrer à cette tâche alors que l’occupation se poursuit nous apportera la compréhension dont nous aurons besoin dans l’avenir, en tant qu’acteurs positifs impliqués dans le processus de réconciliation. Poser la base d’une implication au moment d’une crise nous prépare à participer à une résolution de cette crise qui assurera une réparation authentique, la justice, et la plénitude des droits civils pour le peuple de Palestine.

Source: Assawra, 7/11/2015

 

 

 

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