Les informations en provenance de mes contacts
en Syrie et au Liban confirment mes analyses de
géopolitique : le monde bascule dans un nouvel
ordre, les pôles de puissance changent
entraînant de nouveaux rapports de forces qui
s’exercent sur de nouveaux points d’appui.
Le « pivotement » américain vers l’Asie, s’il
est exagéré par certains n’en est pas moins
réel. Il implique l’apaisement des tensions au
Proche et Moyen-Orient en réglant les crises
syrienne et iranienne et en mettant un terme aux
affrontements chiites-sunnites instrumentés à
des fins stratégiques.
L’Iran retrouvera prochainement sa place
géostratégique essentielle dans la région, avec
la « modération » dans les relations
internationales prônée par le Président Rohani
dans son discours aux Nations Unies fin
septembre. Plusieurs pays l’ont compris qui
cherchent à se rapprocher de Téhéran, comme la
Turquie et même le Qatar et l’Arabie.
L’islam politique vit son chant du cygne : ce
sont des musulmans sincères qui ont renversé
Morsi en Egypte le 30 juin dernier. Les Frères
Musulmans, organisation longtemps souterraine
dans les états arabes, qui a remporté toutes les
élections car elle était la seule structurée
depuis longtemps et a disposé de puissants
moyens financiers des pays du Golfe, est
l’expression politique de cette idéologie qui
proposait de gouverner au nom de la charia. Ils
ont prouvé leur incompétence et leur incapacité
à répondre aux aspirations des peuples et à
gérer des états modernes: la Tunisie les
rejette, de même que l’Egypte et le chaos libyen
finira par en faire de même. Les musulmans
veulent vivre selon leur foi mais entendent être
en harmonie avec le « village mondial ».
(Expression de René Girard)
Dans les bouleversements politiques et sociaux
du monde arabe, les chrétiens qui étaient
présents sur ces terres six siècles avant
l’islam, ont un rôle essentiel à jouer pour la
cohésion sociale des populations et seront un
facteur important des réconciliations nationales
partout où des drames ont eu lieu. Les
rapprochements entre Patriarches orientaux et
Imams dans les pays en crise montrent que les
appels du Pape François à l’union des fidèles
chrétiens et musulmans répondent à un besoin
vital et sont entendus par les populations comme
par les dirigeants. Par leurs positions en
dehors des rivalités internes aux musulmans,
mais profondément patriotes et ancrés dans la
vie des pays arabes, ils sont un catalyseur
d’harmonie entre les différentes ethnies et
confessions de ces pays souvent très composites,
notamment la Syrie.
Les islamistes takfiristes restent nombreux,
encore soutenus par l’Arabie Saoudite pour les
détourner de menacer le royaume des Saoud
désormais menacé dans son existence même. Ce
sera la tâche la plus ardue d’en finir avec eux
après la solution négociée de la crise syrienne.
Avec le revirement du Qatar qui cherche à se
rapprocher de la Syrie de Bachar el Assad, on
assiste à l’isolement des positions saoudiennes
et israéliennes. Les deux pays ont d’ailleurs
compris qu’ils n’étaient plus les alliés
indéfectibles des Etats-Unis qui attendent d’eux
des changements de position.
La destruction du stock d’armes chimiques
syriennes, constitué pour répondre aux armes de
destructions massives israéliennes, notamment
nucléaires, biologiques et chimiques, met Tel
Aviv en position délicate face aux initiatives
pour un PO débarrassé de ces menaces.
L’Arabie est menacée par des dissensions
internes à la famille régnante et des
irrédentismes qui déboucheraient en une
partition possible en trois parties, le nord
avec la Jordanie et les Palestiniens, le centre
avec le sud du Yémen de l’Hadramaout à la mer,
et l’est chiite et pétrolier.
Le terrorisme islamiste international pourra
être éradiqué quand il aura perdu ses
commanditaires et soutiens, d’autant plus qu’il
représente aux yeux des musulmans sincères un
véritable blasphème de l’interprétation du
Coran. Simultanément au changement de stratégie
américaine dans la région, l’Arabie Saoudite va
devoir mettre un terme à sa croisade sunnite
contre un axe chiite centré sur l’Iran et appuyé
sur l’Iraq, la Syrie et le Liban. Il semble
d’ailleurs que la brouille avec les Etats-Unis
sur la question syrienne amène la monarchie à
revoir ses fondamentaux, comme en attestent des
visites récentes en Iran. Son refus d’occuper le
siège où elle avait été élue à l’AG de l’ONU est
à la fois un signe de son irritation et de sa
prise de conscience des nouveaux rapports de
force dans la région.
En réalité les Etats-Unis ne font qu’accompagner
l’évolution du monde comme Chuck Hagel l’avait
annoncé avant même sa prise de fonction de
Secrétaire d’état à la Défense (voir PJ).
L’Occident dirigé par l’Amérique a fait croire,
grâce à un énorme budget de communication, qu’il
représentait le bien et la justice et qu’il
avait le soutien de la majorité des peuples pour
ses aventures guerrières. Mais lors des menaces
de frappes occidentales contre la Syrie fin
août-début septembre derniers, qu’en réalité
Obama n’avait proférées que pour lâcher du lest
aux groupes de pression américains, alors qu’il
y était hostile au fond de lui en raison des
conséquences catastrophiques qu’elles auraient
entraînées, et que son Etat-Major connaissait,
cette coalition guerrière « occidentale » ne
représentait que 800 millions d’habitants, non
consultés d’ailleurs sauf les Britanniques qui
s’y étaient opposés, contre les quelques 6
milliards du reste du monde soutenant la Russie
et la Chine. On sait les artifices qu’il a
utilisés pour retarder la décision et ensuite
s’engouffrer dans la proposition russe de
destruction du stock d’armes chimiques de la
Syrie. Simultanément, cette proposition acceptée
avec soulagement entérinait la reconnaissance de
Bachar el Assad comme Président d’une Syrie
chargée de la faire appliquer jusqu’à son terme.
La réunion de la conférence de Genève II pour
régler la crise est désormais inéluctable,
quelles que soient les manœuvres de ceux qui y
sont hostiles comme l’Arabie, et le plus
intelligent est de s’en accommoder.
Les organisations rebelles civiles qui s’y
opposent ne représentent que quelques poignées
de Syriens déracinés et les militaires, comme
les brigades Liwa’ al Tawhid, Ahrar al Cham,
Souqour al Cham sont des organisations
terroristes composées majoritairement
d’étrangers qui combattent pour un état
islamique mondial et n’ont aucune identité
syrienne. Les forces de l’Armée Syrienne Libre
sont devenues insignifiantes ou ont fait
allégeance aux djihadistes, quand elles n’ont
pas déposé les armes ou rejoint les forces
régulières syriennes.
Quant aux Kurdes, l’Armée syrienne leur a donné
la responsabilité de tenir leurs régions et ils
s’en acquittent au prix de pertes sévères contre
les djihadistes mais ils prennent le dessus de
plus en plus.
Simultanément le dossier iranien sera également
bouclé, peut-être même avant le syrien qui
demande du temps pour régler le sort des
takfiristes fanatiques qui sévissent sur le
terrain. La reconstruction de la Syrie demandera
du temps et beaucoup d’argent, de nombreuses
infrastructures ayant été détruites. Mais il n’y
a pas de solution sans Bachar et les Américains
le savent, même si John Kerry est obligé, lui
aussi, de lâcher du lest par des déclarations
hostiles ou ambiguës.
Le Liban multiconfessionnel, fragilisé par son
voisinage de la Syrie d’où il reçoit plus d’un
million de réfugiés de toutes confessions n’a
toujours pas de gouvernement pérenne du fait des
désaccords attisés par les appuis étrangers des
parties prenantes. Cependant les structures
étatiques comme l’Armée et la police restent
cohérentes et accomplissent leur tâche malgré
les difficultés. L’alliance, sans doute
majoritaire dans le pays, entre les chrétiens du
CPL du général Aoun, le Hezbollah composé
principalement de chiites mais pas
exclusivement, et le parti Amal de Nabih Berri
reste la force politique dominante qui a soutenu
le régime en place à Damas. Habitués des
discussions de diwan pour trouver des compromis,
les dirigeants des grandes familles analysent
les situations au regard de leurs alliances
extérieures et, fins observateurs, ils semblent
avoir admis que le régime syrien sortirait
vainqueur de la crise et en tirent les
conséquences ; le chef druze Walid Joumblatt a
récemment apporté son soutien à Nabih Berri pour
la formation d’un gouvernement, signe qu’une
issue pourrait s’ouvrir, d’autant plus que
l’Arabie pourrait la souhaiter aussi et le faire
savoir à ses alliés locaux, le chrétien Samir
Geagea et le sunnite Saad Hariri.
En l’absence d’état solide, la fragilité du
Liban tient à la présence armée forte du
Hezbollah, au nom de la résistance à Israël,
simultanément avec celle des milices sunnites
présentes officiellement pour certaines ou dans
les camps palestiniens, qui en sortent pour
combattre en Syrie voisine ou dans la région de
Tripoli au Nord, faisant déjà plusieurs dizaines
de morts, soldats et civils. Ce mélange est
dangereux et pourrait exploser dramatiquement si
les djihadistes venaient à quitter la Syrie pour
attaquer le Hezbollah au Liban. Des menaces
sérieuses sont d’ailleurs annoncées sur la FINUL
au Sud contre les soldats occidentaux, dont les
Français.
La France a tout intérêt à reprendre langue
diplomatiquement avec un régime qui sortira
vainqueur d’une crise tragique et à utiliser les
liens d’amitié qui demeurent malgré tout entre
Syriens et Français, ancrés dans des échanges
culturels anciens, en dépit des affrontements
qui les ont aussi émaillés.
Elle aurait aussi tout intérêt à se rapprocher
de la Russie dont la diplomatie toute en finesse
a montré son efficacité. La Russie va marquer
des points dans le règlement de ce conflit parce
qu’elle a su offrir une porte de sortie
honorable à la grande Amérique dans une crise où
elle s’était embourbée. Elle défend ses
intérêts stratégiques mais aussi tactiques car
de nombreux djihadistes sont des combattants
tchétchènes qui se retourneront contre elle
s’ils le peuvent.
La Turquie, la Jordanie, l’Arabie Saoudite
seront les perdants à divers égards du règlement
de la crise, de même qu’Israël. Sans doute ces
états sauront-ils trouver une nouvelle posture
pour limiter les dégâts avec opportunisme et
s’adapter aux nouveaux équilibres du monde. Il
faut s’attendre que la Chine nouera ou
développera des liens avec les pays de la
région, elle qui propose des investissements en
échange de la fourniture de l’énergie dont elle
a besoin pour sa croissance toujours forte.
Comité Valmy/ mercredi 30 octobre 2013
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