Soufiane BEN FARHAT
Plus le remaniement ministériel escompté traîne
en longueur, plus les tiraillements et les
craquelures imprègnent la place politique.
Un peu partout, les clivages profonds se
manifestent. La Troïka gouvernante n’est plus
que l’ombre d’elle-même. Le CPR et Ennahdha en
sont à deux doigts de la rupture définitive. Les
dirigeants se contentent jusqu’ici de petites
phrases assassines. Les bases, elles, en sont
déjà à la mêlée âpre et sans pardon.
Pas plus tard qu’hier, M.
Mohamed Abbou, secrétaire général du
CPR, a tenu des propos nettement en démarcation
avec ses alliés d’Ennahdha. Il a vivement
critiqué M. Rafik Abdesslam, ministre des
Affaires étrangères, au centre de la série de
révélations qui fondent ce qu’il est convenu de
baptiser le Sheratongate. Et il a soutenu la
presse d’investigation, dès lors qu’elle est
fondée sur des données objectives et
argumentées. Un clin d’œil à la blogueuse Olfa
Riahi qui a mis à jour lesdites révélations. En
même temps, M. Abbou a mis en garde les bases d’Ennahdha
contre le colportage de rumeurs et l’atteinte à
la réputation d’autrui
Côté opposition, là aussi, le bal des
redéploiements commence. On murmure que le parti
Al-Joumhouri serait tout près de céder au chant
des sirènes d’Ennahdha, qui lui propose des
portefeuilles ministériels. Du coup, la vaste
coalition que s’apprête à former le parti Nida
Tounès autour de lui connaîtrait de sérieuses
lézardes dans l’édifice.
Et l’on se demande si l’attentisme dans le
remaniement n’est précisément pas délibéré.
Ainsi, Ennahdha et consorts auraient le temps de
réorganiser le ban et l’arrière ban du jeu
d’alliances.
Idem pour les révélations qui ciblent certains
ministres dans les entrelacs des feux croisés
amis. Certains n’hésitent pas à parler de fuites
savamment orchestrées. Ce qui en dit long sur
les empoignades de coulisses qui secouent la
Troïka.
Il faut reconnaître que, de guerre lasse, les
gens ne semblent plus emballés par les détails
du remaniement ministériel. La classe politique
donne l’impression de faire du surplace. Les
plus enthousiastes de tous bords trouvent que la
politique y a perdu de son jus. Quant aux plus
amers des commentateurs, les évolutions, à les
en croire, corroborent leurs prévisions
maussades sur fond de sinistrose.
En fait, il faut reconnaître que l’establishment
traverse une grave crise. La situation
sociopolitique n’est pas près de donner un
quelconque répit. En même temps, les attentes
des citoyens enflent. A la mesure des incuries
constatées au fil du vécu. La poursuite du
chômage massif et la hausse vertigineuse des
prix n’en finissent pas d’exaspérer. Les plus
pauvres ne trinquent plus seuls. La classe
moyenne est en nette régression. Son pouvoir
d’achat et son standard de vie s’érodent à vue
d’œil.
Ici comme ailleurs, la crise de légitimité prend
le relais de la crise tout court. Les
justifications officielles sont inopérantes.
Saignés à blanc, les gens sont d’autant plus
déçus qu’on leur a promis monts et merveilles.
L’argumentaire électoraliste circonstanciel
s’avère, à la longue, contreproductif.
Entre-temps, le gouvernement donne l’impression
de caler dans un état intermédiaire. D’un côté,
un état de fait désavoué par la force des choses
; de l’autre, des promesses et des espérances
toujours en suspens. D’où cette impression
d’inachevé qui caractérise la politique depuis
quelques semaines.
Il faut le reconnaître. La classe politique aux
commandes est tétanisée par ses propres blocages
et fixations. Les frictions de faux frères en
rajoutent aux pièges d’un pouvoir qui gouverne
sans régner. A défaut d’une légitimité
solidement charpentée. D’où les jacqueries
récurrentes, les soulèvements régionaux, l’état
de guerre froide et de paix tiède qui oppose la
société civile à la société politique.
On en est réduit à attendre le remaniement comme
on attend Godot.
La Presse
: 04-01-2013
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