Rapport rédigé par
Violette Daguerre
1 mai 2011
C.A. DROITS
HUMAINS
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Introduction
Deux semaines après le déclenchement en Égypte
des protestations ayant débuté le 25 janvier
2011, la Commission Arabe des Droits Humains (ACHR)
a dépêché entre le 7 et le 12 février une
délégation de six personnes (Violette Daguerre,
Nasser Ghazali, Philippe Favart, Georges
Beauthier, Yvonne Ridley et Warren Biggs,
rejoints sur place par Muriel Juramie). Leur
mission consistait à enquêter sur les violations
des droits de l’homme commises lors des derniers
événements et les exactions qui ont touché
indistinctement manifestants, journalistes,
militants politiques ou associatifs (dont un
membre d’ACHR) et toute personne ayant eu la
malchance de croiser des agents de police et des
voyous ou ‘baltaguias’ ayant reçu l’ordre de
sévir contre la population. La mission a pu
rassembler des informations et des témoignages
de victimes, parents, médecins, avocats,
journalistes, défenseurs des droits de l’homme,
responsables de partis politiques de
l’opposition, au Caire comme à Alexandrie.
C’était pour la délégation un moment crucial de
l’histoire de l’Égypte qu’elle a eu à partager
avec le peuple égyptien lorsque, à l’issue de 18
jours de contestations et de manifestations, un
président omnipotent tout au long de trois
décennies s’est trouve acculé à remettre son
pouvoir. Puis un vice-président fraichement
nommé s’est vu rapidement éclipser par un Haut
Conseil Militaire devant assurer la gestion du
pays pendant une période transitoire jusqu’à
l’organisation d’élections législatives et
présidentielles libres. C’était une phase
inoubliable à vivre aux côtés de jeunes et moins
jeunes décidés à prendre leur destinée en main
et recouvrer leurs droits légitimes longtemps
spoliés. Nous avons été sur la place Tahrir en
fin de cet après-midi mémorable du vendredi 11
février, pour assister au début du basculement
de l'Égypte dans une nouvelle ère et voir les
mouvements de liesse générale, fêtant du coup le
grand événement et l’écroulement d’un régime
présenté jusqu’alors comme «la clé de voûte» de
l’édifice proche-oriental.
Tout a commencé à partir des manifestations
planifiées le 25 janvier, à l’occasion du jour
de la fête de la police, pour marquer la colère
de la population contre les forces de l’ordre
après la mort de Khaled Saïd. C’était un jeune
homme de 28 ans d’Alexandrie, arrêté par deux
policiers en civil et battu à mort dans un
cybercafé en juin 2010. Son corps sera retrouvé
à la morgue avec le visage totalement tuméfié.
Son tort est d’avoir diffusé sur Internet une
vidéo montrant plusieurs policiers se partageant
une saisie de drogue. Devenu un symbole, une
page Facebook lui a été consacrée sous le nom :
« Nous sommes tous des Khaled Saïd ».
Cette page, impulsée par Wael Ghoneim (un jeune
Égyptien, responsable marketing Google pour le
Moyen-Orient et l’Afrique du Nord), a connu un
grand succès jusqu’à devenir un lieu
d’expression majeur des dissidents, et jusqu’au
jour où un appel à manifester le 25 janvier a
été lancé sur le site 6th April et 37 000
manifestants sont descendus dans la rue.
L’histoire va s’accélérer par la suite : le 2
février, les interventions de gangs de voyous
payés ("baltaguias") et d’ agents de sécurité en
civil vont faire régner la terreur et mater les
protestations. Montés sur des chameaux et des
chevaux, ils se sont livrés, à coup de pierres,
de cocktails Molotov, de barres de fer et autres
armes blanches à des affrontements contre des
manifestants pris pour cible. Ceux-ci ont été
lynchés, emmenés dans les locaux de la police
militaire et emprisonnés plusieurs jours durant.
Mais il y a eu surtout plusieurs dizaines de
personnes qui sont mortes, quelques milliers de
blessés et des centaines de disparus.
Il est à rappeler que les Égyptiens n’ont pas,
lors des années précédentes, arrêté de faire les
frais de ces méthodes, notamment lorsqu’il
s’agissait de disperser des manifestations et de
dissuader les opposants de poursuivre leurs
mouvements. Ce fut aussi le cas pour mettre en
œuvre des fraudes, exercer de l’intimidation et
du racket, sous un régime d’État d’urgence en
place depuis 1981. Dernièrement, les
‘baltaguias’ se sont montrés lors des élections
législatives de novembre 2010, à l’appel du
parti au pouvoir, Parti national démocratique
(PND), et des hommes d’affaires qui ont eu
recours à leurs services. Sur une population de
78 millions d’habitants, il y a près de deux
millions d’hommes – y compris les informateurs
de la police – prêts à intervenir à tout moment
pour étouffer toute forme d’opposition ou de
dissidence.
Mais pour les étrangers venus en touristes en
Égypte ou pour s’y établir, ce pays leur
semblait un endroit sûr parce que la population
y est durement réprimée. Que dire lorsqu’on
entend des diplomates (français en l’occurrence)
déclarer : “On nous a dit que le peuple
égyptien était dangereux et on a donc placé nos
ambassades dans des cages ! En fait, au nom de
la lutte contre le terrorisme, nos mouvements
sont très limités. Notre gouvernement et le
gouvernement égyptien nous empêchent de
rencontrer les gens du peuple.”
Ce qui s’est passé durant ces journées de début
de la Révolution n’était donc qu’une expression
de ce qui a été perpétré depuis de dizaines
d’années, où torture et toute forme d’exactions
ont été tolérées et où poursuivre les
tortionnaires et les responsables des violations
abjectes des droits humains était mission
impossible. Ce sont ces années d’impunité qui
ont rendu possible les événements de ces
dernières semaines dans les rues du Caire et
d’autres villes égyptiennes en insurrection.
Malheureusement, ces violences, couramment
pratiquées par les forces de l’ordre
égyptiennes, n’ont rencontré que peu d’échos au
sein de la communauté internationale.
Témoignages
Nous avons débuté nos entretiens au Caire par la
rencontre de membres du Hisham Moubarak Law
Center, et notamment M. Mustapha Al Hassan,
aussi membre de la Commission Arabe des Droits
Humains, qui a été emprisonné quelques jours
auparavant. L’entretien s’est déroulé en
présence entre autres de MM. Khaled Ali et Nadim
Mansour, représentants du Centre égyptien des
droits économiques et sociaux. En fait, le
Centre Hisham Moubarak et le Centre égyptien des
droits économiques et sociaux (ci-après Centre
égyptien des DES) occupent le même bâtiment. Le
premier s'intéresse à tous les droits, alors que
le deuxième s'occupe essentiellement des droits
économiques et sociaux. Les deux centres avaient
dès le début des événements uni leurs efforts
pour rassembler de la nourriture et l'apporter
aux manifestants sur la Place Tahrir (Place de
la Libération en arabe et épicentre des
manifestations au Caire). Ils leur fournissaient
également de l'aide judiciaire et des
médicaments.
C’est ainsi que le 3 février, les membres du
Centre Moubarak furent arrêtés par des policiers
qui s'étaient rassemblés en bas de l'immeuble.
Lorsque les activistes entendirent des coups de
feu, ils décidèrent d'enfermer tout leur
matériel au Centre égyptien des DES et de se
rassembler au centre Hisham Moubarak. Peu de
temps après, des ‘baltaguias’ armés avec des
armes blanches entrèrent dans le bâtiment
accompagnés de trois policiers. Ils étaient
aussi accompagnés par la police militaire.
Ceux-ci leur dirent qu'ils avaient reçu l'ordre
de tirer s'ils essayaient de s'enfuir. Ils
fouillèrent et regardèrent partout, accusant les
activistes d'avoir reçu de l'argent des
Israéliens et du Hezbollah. (Cette accusation
était en vogue durant la période où nous étions
sur place).
La police entra dans les locaux, décrocha les
téléphones en les accusant de recevoir des coups
de fils de Téhéran. Ils prirent 9000 LE, ainsi
que tous les ordinateurs portables et les
disques durs. Ils demandèrent aux 30 activistes
présents de descendre au 1er étage en les
accusant d'espionnage et de trahison. Les
ordinateurs qui ne furent pas confisqués ont été
détruits (nous en avons pris des photos), mais
ils ne savent pas si ce fut par la police, la
police militaire ou les ‘baltaguias’. Plusieurs
activistes furent transportés en voiture au
siège de la Sûreté de l'État à Nasr City,
ensuite vers un centre de renseignements
militaires inconnu. Durant leurs entretiens, ils
avaient tous les yeux bandés et leurs téléphones
portables furent confisqués, avant d’être
relâchés 2 jours plus tard, sans néanmoins avoir
été torturés. Les personnes qui les ont arrêtés
étaient des officiers de la Sûreté d’État. Les
militants ont dû par la suite envoyer un
télégramme au Procureur Général pour relater les
faits.
Dans un autre entretien en présence de Mme Mouna
Mina, médecin des sans droits, Mme Shaima ,
médecin, M. Ahmed Faouzi , militant de
l'Association égyptienne pour l'entraide
sociale, et M. Taher Abdul Nasser, avocat, on
apprend que le 2 Février, jour où ils étaient
présents sur la place Tahrir, 6 personnes ont
été tuées, beaucoup de personnes ayant été
étouffées par les gaz lacrymogènes, d’autres ont
été blessées avec des couteaux et des pierres.
Dans la nuit du 28 au 29 janvier, ils ont évacué
50 patients vers un hôpital, parfois avec l’aide
de soldats présents sur place. De nombreuses
personnes ont par contre refusé d'être évacuées,
car le mardi 25 janvier, plusieurs activistes
transférés à l'hôpital ont été arrêtés et
frappés par les forces de l'ordre.
Le samedi 29 janvier, l'armée contrôlait toute
la place. Des francs-tireurs ont tiré sur des
manifestants en visant la poitrine, la tête et
le cou. Des balles réelles ont été utilisées.
Les hôpitaux de campagne, dont ceux dressés sur
la place Tahrir, ont rapporté le décès d’au
moins 139 personnes. Les tirs étaient très
précis avec comme objectif, semble-t-il, de
tuer.
Le mercredi suivant, du matin jusqu’à 5 heure de
l'après midi, des manifestants furent blessés
par des cocktails Molotov et des pierres lancées
des toits par les manifestants "pro-Moubarak",
armés de sabres et chevauchant des chameaux et
des chevaux. De 16 heures (jusqu'a 1 heure du
matin du jeudi, 2 à 4 personnes furent tuées par
balles. Le jeudi de 3 à 6 heures du matin, il y
avait encore des tirs par armes à feu. Les
médecins présents portaient, tout le temps où
ils soignaient les blessés, leurs blouses
blanches. Malgré cela, certains d’entre eux ont
été blessés par des tirs.
Le Dr Mona était présente dès le 25 Janvier sur
la place, et ce à la demande du syndicat des
médecins, après avoir entendu qu'il y avait eu
de nombreux blessés. Pour le vendredi 28, ils
avaient rassemblé des médicaments et du matériel
médical dans une mosquée faisant office
d’hôpital de campagne. Ce jour-là, il y eut
plusieurs vagues de blessés, causés d'abord par
pierres à la suite des échauffourées entre les
manifestants et la police. Ensuite entre 6 et
7h, par balles en caoutchouc ; la garde
présidentielle a apporté à la police des armes
et des balles, ce qui a intensifié les tirs.
Les membres de la mission ont été à plusieurs
reprises sur la place Tahrir, se mêlant à la
foule, discutant avec des activistes sur la
place ou sous forme de réunions. Aussi
il y a
eu des rencontres avec des personnalités
politiques, dont le Dr Aboulfoutouh, du
mouvement des Frères musulmans et représentant
de l’Union des médecins arabes, et Dr Mostafa
Abdeljalil, représentant du mouvement Kefaya.
Par
ailleurs, le Dr Hiba Raouf, militante de la
société civile, et l’une des habitants des
appartements qui surplombent la Place Tahrir,
nous a expliqué que dès les premiers jours, elle
s’est lancée dans l’action, pensant qu’il
fallait assez vite s’atteler au nettoyage de
cette place. Elle s’est occupée de la
distribution de sacs plastiques et de la
fourniture de couvertures de toilettes pour les
boites installées à cet usage. L’association des
ramasseurs d’ordures se chargeait d’ailleurs du
nettoyage, ainsi que d’autres voisins et de
personnes venues d’autres quartiers, prêtant
main forte aux besoins de nettoyage, de
ramassage et d’évacuation des ordures et des
eaux usées, etc. Le Dr Raouf s’est chargée aussi
de la distribution d’eau et de sandwichs aux
manifestants. Et alors qu’il n’y avait aucun
service émanant de l’État qui subvenait aux
besoins en sang, elle a veillé à l’organisation
de dons de sang.
À
Alexandrie, la mission a rencontré MM. Haytham
Abu Khalil, Centre des victimes des DH, Moheb
Abboud, Association Baladi pour le développement
de la démocratie, Omar Sbakhi, Association des
partisans des droits humains et Mahmoud Jaber du
Centre Chehab des droits de l’homme.
Ces
militants nous ont fait part de témoignages de
violations graves des DH rassemblés durant les
manifestations à Alexandrie, où il y a eu 84
tués dont 34 identifiés jusqu’au moment de
l’interview, grâce à leur reconnaissance par
leurs familles. Au nom de ces familles, ils ont
présenté une requête au Procureur général au
sujet du directeur de la sûreté d’Alexandrie
accusé, ainsi que les responsables de l’appareil
de sécurité centrale et de la sécurité du
Ministère de l’Intérieur, de se livrer à une
tuerie et à l’usage de balles réelles. Ils ont
mis la main sur un document envoyé sous forme de
fax secret au centre de la police et ses annexes
et signé par Hassan Abdelrahman, responsable de
l’appareil de sûreté d’État. Ce document
explique la manière de procéder face aux
manifestations et comment faire évacuer les
policiers des centres, laissant la place aux
voyous pour effectuer le nettoyage et sévir
contre les manifestants.
Ce qui
implique d’intenter des procès contre ces
personnes, demandant leur inculpation et un
dédommagement des victimes. Et si cela échoue,
le recours à une justice internationale sera
envisagé. Mais auparavant, des enquêtes doivent
être mises en route. À ce stade, les militants
étaient encore en train d’identifier les
familles des autres victimes. Quant aux disparus
par dizaines, ils n’étaient pas encore
identifiés. L’un d’eux, Nour Ali Nour, a été
retrouvé dans un hôpital, mort d’une balle
réelle tirée au front par un franc-tireur.
Comme
responsables des morts préméditées dans les
manifestations, nos interlocuteurs nomment des
personnes qui ont un passé lourd d’actes de
torture. Leurs noms sont connus, mais ils n’ont
jamais été inquiétés. Ils donnent l’exemple de
la petite Amira qui a été tuée par Wael Koumi,
un responsable de la police dont on dit qu’il a
déjà tué des dizaines de personnes. Il se peut
que ces tueurs aient repris leur travail comme
si de rien n’était. En tout cas la Commission
contre la torture possède les noms des
responsables d’exactions, et des procès ont été
intentés contre certaines personnes. L’appareil
de sûreté d’État, de loin le plus grand, a
commis de grandes exactions, sans qu’aucun agent
ne soit présenté en justice, hormis
quelques-uns, pour mettre de la poudre aux yeux.
En tout
cas, les meurtres recensés demeurent moins bien
nombreux que ceux réels, car les responsables
menacent les familles des victimes pour ne pas
en parler. Afin d’étouffer dans l’œuf tout envie
de parler, ils les faisaient chanter en disant
qu’ils peuvent leur coller des crimes ou couper
leurs sources de subsistance. Nos interlocuteurs
donnent l’exemple de l’affaire de l’église
al-Kiddisine, lorsque Said Bilal a été
interpellé par la police, comme coupable de
l’avoir incendiée, et retrouvé décédé deux jours
après. Lorsque ses parents ont été interrogés,
ils ont refusé de dire quoi que ce soit. De peur
des menaces, nos interlocuteurs ont échoué à
obtenir leur aval pour faire une déposition.
Chez
des gens de bas niveau socio-économique, on
considère que la mort est une fatalité et aucune
poursuite n’est réclamée par eux, malgré l’usage
systématique de la torture. C’est évidemment le
meilleur moyen pour museler le peuple. Il y a
aussi, d’après leurs dires, une méfiance chez
certaines personnes vis-à-vis des associations
internationales des droits de l’homme. Bien que
l’agenda des petites associations égyptiennes
soit national, pensent-ils, les grandes
associations travaillent pour le compte de ceux
qui les financent. Ce qui, du coup, donne
également une bonne image d’un régime qui tolère
des associations des DH. Ce régime, qui a commis
des exactions lors des récents événements
faisant plus de 400 morts et 3000 blessés, les
pays occidentaux n’ont pas trouvé bon de le
condamner, surtout lorsqu’il a ouvert les
prisons et libéré les criminels ou lorsqu’il a
tué. « Nous leur disons à ce propos d’arrêter
des jouer avec les destins des peuples et faire
passer leurs intérêts à leur détriment ».
« Le
8/06/2010, il y a eu six cas d’exactions de sang
froid à Kléopatra et la médecine légale
rattachée au Ministère de la justice dit dans
son rapport que la mort résulte d’une baisse
aigue de la circulation sanguine. C’est ainsi
que tout le monde profère des mensonges».
Les
manifestations ont débuté partout en Alexandrie
depuis le 25 janvier, et alors que les
manifestants n’ont commis aucun acte de
malveillance et étaient sans armes, les agents
de sûreté d’État à Sidi Gaber les ont, selon nos
interlocuteurs, attaqués, tuant, rien qu’en ce
jour de vendredi, 84 personnes. La police
préparait un plan pour infiltrer les
manifestants par les hors-la-loi rassemblés dans
les commissariats. Ceci parce que la police a
échoué à interdire les manifestations, malgré
l’usage des balles réelles.
Ainsi,
« suite au différend qui a opposé Moubarak à
son ministre de l’Intérieur Al-Adeli, ce dernier
a, semble-t-il, ordonné à ses hommes de se
retirer et de laisser vides les commissariats où
étaient amassés les hors-la-loi. Ce qui a donné
lieu à des actes de vandalisme dans ces lieux et
dont sont responsables les « baltaguias » et non
pas les manifestants.»
Les 400
tués l’ont été non pas par des balles réelles
seulement, mais aussi écrasés sous les roues des
voitures de police. L’une de ces voitures
roulait près de la gare Alram, lorsqu’elle a
foncé sur cinq personnes, tuant l’une d’elles.
Il semble qu’ils avaient des ordres pour écraser
les manifestants. « Ce même vendredi 28
janvier de l’après midi, il y a eu, comme par
hasard, des commissariats (une centaine dont 16
à Alexandrie) incendiés en même temps. D’autres
ont été épargnés, et cela semble en rapport avec
la bonne conduite de leurs responsables, comme à
Mahram Bey.» Encore une fois, le régime
politique a démontré que la fonction de la
police est de bafouer la dignité des citoyens.
Et ce jour du 28 en a donné une preuve
éclatante.
Pendant
les 15 ans de règne d’Al Adly à la tête du
ministère de l’Intérieur, la police n’était pas
au service du peuple. L’un de nos interlocuteurs
a été convoqué au commissariat et menacé de
représailles “le jour où tout redeviendra comme
avant”. Quant au responsable du centre des DH,
il fut emprisonné plusieurs jours à Bab Charki ,
car il est l’avocat de l’un des députés
indépendants interdit de se présenter aux
élections de 2010. Il a évoqué la situation
inhumaine des cellules sous terre, sans lumière
et sans circulation d’air. C’est grâce à l’air
conditionné que les détenus comprimés dans ces
lieux respirent. Ceci sans parler de
l’interdiction de contacter la famille ou
l’avocat ou même de se nourrir. Auparavant les
activistes étaient menacés au cas où ils
participaient à des manifestations, et des
pressions ont été exercées sur leurs familles
pour les en dissuader. Mais vu qu’ils étaient
dépassés par les événements, les policiers
n’avaient pas eu le temps de régler des comptes.
Selon
nos interlocuteurs défenseurs des DH et
journalistes d’Alexandrie, la manifestation du
25 janvier n’avait pas l’air au départ d’être
violente. Mais un peu plus tard, les 50 000
manifestants arrivés à Sidi Gaber se sont
trouvés pris en étau par les forces de l’ordre.
Ceux-ci ont fait usage de bombes lacrymogènes et
de matraques électriques, dispersant les
manifestants, procédant à des arrestations et à
des ratissages des rues, et provoquant de
nombreux évanouissements En revanche, le 28
janvier, malgré la grande mobilisation des
forces de l’ordre, le nombre des manifestants
sortis de toutes parts, s’élevant à environ 200
000 personnes, a empêché les agents de sécurité
de sévir. Les morts sont tombés lorsque les
ordres ont été donnés à la police d’user de la
violence. Aussi, les caméras des journalistes et
leurs papiers d’identité ont été confisqués ; et
lorsqu’ils ont été libérés, rien ne leur a été
restitué.
Qu’en est-il depuis ?
Après la chute de Moubarak, la Constitution de
1971 a été suspendue et l’armée a désigné un
comité d’experts juridiques ayant pour objectif
d’amender certains articles de la Constitution.
La partie qui était plutôt favorable à cette
mesure est essentiellement composée des Frères
musulmans et du parti de l’ancien régime. Les
jeunes de la Révolution, les principaux futurs
candidats aux élections présidentielles et
d’autres intellectuels et partis politiques
avaient, de leur côté, réclamé une modification
complète de la Constitution.
Lors du referendum de 19 mars 2011, les
Égyptiens ont voté à 77,2 % en faveur de ces
amendements.
Le referendum sur les modifications apportées à
la Constitution n’a tout de même pas apaisé
beaucoup les sceptiques. Et le Conseil suprême
des forces armées, qui avait promis d'associer
la société civile à la révision de la
constitution, ne l’a fait ni avant ni après le
référendum. Il
a fait savoir que les élections législatives se
tiendront en septembre prochain, que l’état
d’urgence devrait être levé dans les jours qui
précèdent celles-ci, et les élections
présidentielles se feront un à deux mois plus
tard, sans annoncer une date précise.
En tout
cas, si le dictateur est désormais parti, le
système, lui, reste encore en place. Les maîtres
d’œuvre du printemps arabe en Égypte savent tout
de même que la chute du régime ne signifie pas
la fin de la dictature et que leur révolution se
joue en plusieurs actes. Malgré les signes de
dissensions dans leurs rangs, leur mobilisation
n’a pas fléchi
En
dépit des mesures prises contre les célèbres
figures du régime Moubarak, il n’en reste pas
moins que beaucoup d’autres sont bien là. De
nombreuses poursuites judiciaires pour meurtres
de manifestants ont été entamées contre entre
autres : le Ministre de l'intérieur, le chef de
la sûreté de l'État, des CRS, de la police
d'investigation, les préfets de police des
différents gouvernorats et des officiers de
police. En outre, les manifestants, qui ont
incendié la plupart des bâtiments de la sûreté
de l'État, ont remis au pouvoir judiciaire les
documents qui y restaient. Cette instance,
légalement démantelée, sera remplacée par une
nouvelle structure censée protéger les
Égyptiens.
Depuis
le retour de la mission, il y a aussi eu
nomination d’un nouveau gouvernement, avec à sa
tête une personne plutôt bien appréciée.
Pourtant, ce gouvernement, et surtout le Conseil
suprême des forces armées qui préside aux
destinées de l'Égypte depuis la chute de
Moubarak, n'ont pas vraiment réussi à lancer à
la population un message clair de rupture avec
l’ancien système. Malgré la pression de l’armée
au tout début de la révolution sur Moubarak pour
qu'il quitte le pouvoir, elle a été accusée de
laxisme vis-à-vis des services de sécurité et de
la bureaucratie instaurée par l’ancien régime.
Les slogans des manifestants sur la
«préservation de la révolution» et le «nettoyage
de l’État» n’ont fait que traduire leurs
inquiétudes sur le devenir de cette révolution
égyptienne et sur l’organisation de la
transition démocratique jusqu'aux élections.
Un sentiment de confusion et une peur du
lendemain sont donc des signes tangibles d’une
contre-révolution opérée par le rassemblement
des intérêts menacés, à l’intérieur comme à
l’extérieur de l’Égypte, et par ceux qui
craignent d’être dépossédés de leurs acquis et
anciens appuis et alliés. Le risque semble aussi
grand de voir freiner la marche en cours par
l'éparpillement des luttes et les tentatives de
remettre la main sur les revendications
populaires. Aller vers la démocratie, cela veut
dire de toute manière prendre le risque de voir
tous les dossiers s'ouvrir d’un coup, alors que
devoir gérer le présent est déjà une tâche
énorme. C’est découvrir surtout les crimes
commis par le pouvoir déchu, la nature de ses
relations avec les États-Unis et Israël
notamment et la manière dont le système a
fonctionné tout au long de ces décennies.
Certains pensent que l'ancien régime cherche à
accentuer les dissensions entre l'armée et le
peuple, en brandissant la menace que l'armée
reste aux commandes du pays, alors qu’elle a
réitéré à plusieurs reprises son souhait de
retourner dans les casernes. Et il n'est pas
anodin que la première apparition télévisuelle
de Moubarak ait lieu sur la chaine Alarabia,
juste après les tragiques événements qui se sont
déroulés sur la place Tahrir, vendredi 8 avril,
faisant officiellement un mort et 71 blessés.
Auparavant, il y a eu d’autres heurts, dont
l’intrusion de l’armée dans l'université du
Caire pour faire avorter une manifestation de
professeurs.
Sous
les menaces d’être arrêtés s'ils y restaient,
les artisans de la Révolution égyptienne qui
avaient évacué la Place Tahrir après la chute de
Moubarak, y étaient revenus à plusieurs
reprises. Il fallait rappeler l’exigence d’une
alternative démocratique crédible pour leur pays
et que c'est surtout la rue qui détient le vrai
pouvoir. Malgré les nouveaux décrets
restrictifs, les rassemblements se tiennent
presque de manière continue au Caire.
Plusieurs organisations non gouvernementales
égyptiennes ont de leur côté dénoncé,
pêle-mêle : arrestations abusives, détentions
arbitraires, falsifications de preuves, et
surtout des séances de tortures pratiquées
contre des manifestants de la place Tahrir,
emmenés à l'autre côté de la rue dans le vaste
hall du musée égyptien. Amnesty International a
même parlé de «tests
de virginité» pratiqués sur les
jeunes filles arrêtées. Plusieurs dizaines des
manifestants ont été, à l’issue de procès
expéditifs, condamnés par des tribunaux
militaires à des peines de 1 à 5 ans de prison.
Ainsi, les Égyptiens, qui ont comparu ou
seraient en attente de comparution devant les
tribunaux militaires depuis le 11 février et le
départ de Moubarak, se comptent par milliers,
inculpés pour la plupart en tant que «casseurs».
L’armée
s’appuie pour ce faire, en dehors du maintien de
l'état d'urgence en vigueur depuis 1981, sur des
amendements votés début 2010, élargissant les
motifs de condamnations des civils par un
tribunal militaire. Et depuis le 22 mars, une
loi interdit aux Égyptiens de manifester ou de
se mettre en grève, sous peine de prison ou
d'amendes de plus en plus sévères. Ce qui fait
dire aux activistes de la société civile que la
place prise par le Conseil suprême des forces
armées dans la justice du pays est devenue très
préoccupante.
Ainsi,
à l’issue du rassemblement organisé le 27 mars à
la maison des journalistes, les manifestants ont
réclamé le départ du chef de l'armée. Le
maréchal Tantaoui est devenu la première cible
de ceux qui ont fait partir Moubarak. Ils
estiment que les acquis de la révolution sont
directement menacés par le Haut Conseil, dont
les dérives dans la gestion du pays inquiètent.
Ses arrestations, décrets et condamnations font
à nouveau régner un climat de défiance que rien
ne justifie. Et le risque de ramener l'Égypte à
l’obscure époque d'avant le départ de Moubarak
est bien réel. Mais certains continuent tout de
même à vouloir faire la différence entre le gros
de l'armée d’un côté, auquel ils ne veulent pas
toucher et le Conseil suprême des forces armées,
auquel on impute la responsabilité de la
détérioration des rapports avec le peuple.
Toutefois, pour apaiser les tensions avec les
manifestants, une promesse de passer en revue
leurs dossiers se voulait un geste de la part
des militaires. On a beaucoup parlé à ce propos
«des cadeaux du jeudi» où à la veille de chaque
manifestation (ayant lieu d’habitude le vendredi
car jour de congé), le Conseil suprême des
forces armées faisait des concessions aux
révolutionnaires. La promesse du maréchal
Tantaoui de «reconsidérer tous les jugements
rendus contre les manifestants égyptiens» en est
une.
Si les
revendications sociales, longtemps réprimées,
fusent de tous côtés, elles sont surtout
attisées par la situation économique et les
révélations quotidiennes des médias sur
l'ampleur des détournements de fonds opérés par
la famille Moubarak, ses proches et son clan. Un
travail d’un collectif qui s’organise contre
cette hémorragie des avoirs égyptiens et leur
atterrissage dans des pays étrangers commence à
donner des résultats. Et contre la fuite des
responsables des violations des droits
socio-économiques et politiques, cherchant à
prolonger leur impunité et à échapper à la
justice de leur pays sous d’autres cieux, il y a
eu la mise en examen de certaines grosses
pointures.
Le
processus de changement qui semblait très lent
s’est vu donc s’accélérer dernièrement, avec la
précipitation des dispositions prises pour
calmer les esprits. La famille Moubarak a été
interpellée, et l'ancien président a, malgré
toutes les pressions exercées sur le Conseil des
forces armées par les monarchies du Golfe pour
ne pas céder aux revendications des Égyptiens,
été placé en détention provisoire pendant 15
jours. Ce fut dans le cadre d'une enquête
portant sur des accusations de détournement de
fonds publics et de corruption, ainsi que sur
les violences commises pendant le soulèvement
qui a entraîné sa chute. Ses fils Gamal et Alaa
ont de leur côté été interpellés et transférés
vers la prison de Torah, au Caire. Il y a eu
également l’arrestation de l’ancien Premier
ministre, du secrétaire général du Parti
national de Moubarak et de quelques hommes
d’affaires et responsables. La justice
égyptienne a annoncé aussi la dissolution de
l’ex-parti au pouvoir, le PND (Parti national
démocrate).
C’est que pour piller ce pays, on a veillé à y
installer des dirigeants qui manquaient
d’honnêteté et de vision politique et qui
étaient prêts à faire du commerce avec ses
ressources, quitte à appauvrir son peuple et
devenir, eux et leur clan, multimilliardaires.
Un document publié récemment par une banque
suisse montre que le président déchu Hosni
Moubarak y a déposé, rien qu’en 1982, juste
après son arrivée au pouvoir, une énorme
quantité de platine d’une valeur de 15 milliards
de dollars. Alors, combien a-t-il accumulé de
milliards par la suite ?
La famille Moubarak possèderait, selon le
journal algérien Al Khabar, des propriétés aux
États-Unis, en Grande-Bretagne, en France, en
Suisse, en Allemagne, en Espagne et à Dubaï. Le
Conseil fédéral suisse a fait savoir que les
avoirs de Moubarak et de son entourage ont été
bloqués «avec effet immédiat» et que
l'ordonnance est «valable trois ans». «En outre,
la vente et l'aliénation de biens - notamment
immobiliers - appartenant à ces personnes sont
interdites. Le Conseil fédéral veut prendre
toutes les mesures nécessaires pour prévenir
tout risque de détournement de fonds publics.»
De son côté, le ministre britannique du Commerce
parle de la nécessité d’une «action
internationale concertée», et que «cela dépend
aussi de la manière dont ont été acquis ces
avoirs». Il a averti les banques britanniques
que le gouvernement prendrait des mesures contre
tout établissement qui aiderait l'ancien
président égyptien à transférer des fonds. Mais
est-ce suffisant pour rendre l’argent dérobé au
peuple égyptien, surtout que les pistes sont
brouillées par des démentis ?
Tout récemment, le Procureur général égyptien a
adressé, sous forme de demande d’aide
judiciaire, douze pages écrites en arabe aux
autorités américaines. Le document présente des
accusations contre Moubarak et ses fils et porte
sur leur violation des lois qui interdisent le
vol d’argent public et l’utilisation de son
pouvoir pour effectuer des détournements de
fonds à travers des sociétés inscrites à
l’étranger, notamment aux États-Unis. Jamal
Moubarak, qui a siégé au Conseil administratif
de la banque centrale égyptienne a, selon le
document, usé de sa fonction pour retirer 75
tonnes d’or placés aux USA.
Ce qui n’est qu’un exemple parmi tant d’autres
cités dans ce document qui estime à plus de 700
milliards de dollars les fonds détournés par la
famille Moubarak et placés à l’étranger. Des
rentes du pétrole, du gaz vendu à Israël et du
Canal de Suez font partie de ses sources de
financement.
Mais, s’agissant de récupérer cet argent au
profit du peuple égyptien, rien ne semble sûr.
Surtout que certaines des autorités étrangères
concernées ont montré peu d’entrain pour aider
dans cette opération qui parait assez difficile
à réaliser. Des économistes pensent que ces
fonds déposés à l’étranger ne reviendront plus,
et si jamais on arrive à récupérer une petite
parcelle, elle ne dépassera pas les 20% -
contrairement à d’autres qui visent plus haut et
donnent un chiffre de 50%. Cela va dépendre
beaucoup de l’attitude des décideurs politiques
et économiques dans les pays ayant reçu ces
milliards, et leur volonté de coopérer pèsera
dans la balance. Quant aux sanctions prévues
pour ces détournements, elles peuvent atteindre
la perpétuité. Tandis que la responsabilité
pénale concernant les événements tragiques
survenus lors de la révolution et ayant fait
cinq milles blessés et 800 morts, elle peut
aller jusqu’à la peine de mort.
En outre, Hosni Moubarak était, de son temps, le
garant d’un statu quo appelé «processus de
paix». Mais ce processus s’est avéré teinté
d’immobilisme et surtout destructeur pour les
peuples de la région. Moubarak a participé
activement à l’étranglement de Gaza, alors que
la majorité des Égyptiens reste solidaire des
Palestiniens. La paix conclue entre l’Égypte et
Israël a liquidé la question palestinienne et
brisé l’unité des pays arabes. Un gouvernement
démocratique représentant un tant soit peu les
aspirations du peuple égyptien ne doit pas
reconduire la même relation avec Israël. Une
réunion vient d’avoir lieu à ce sujet au Caire
jette les bases d’une nouvelle relation avec les
Palestiniens et notamment les Gazaouis. Le
Vice-premier ministre israélien Silvan Shalom
n’a-t-il pas déclaré que le développement de la
démocratie dans les pays arabes menacerait la
sécurité d’Israël ? En plus, ce pays a profité
énormément des importantes réserves de gaz
égyptiennes, le payant bien moins cher que le
prix du marché. Eh bien, l’alliance
israélo-américaine n’a épargné aucun moyen pour
maintenir les peuples de la région dans l’état
où ils se trouvent.
D’un autre côté, on continue, surtout après le
referendum du mois de mars, d’agiter le spectre
d'une prise de pouvoir par les Frères musulmans,
alors que ceux-ci font tout de même partie
intégrante de ce peuple. C’est surtout eux qui
ont payé le prix le plus cher durant les longues
années du régime Moubarak, comme pendant les
derniers événements où plusieurs dizaines de
morts tombés sous les assauts des ‘baltaguias’ à
Alexandrie sont presque tous issus de leur rang.
Non seulement ils n’occupent pas le devant de la
scène, mais ils n’ont pas arrêté de rassurer
qu’ils ne présenteraient pas de candidats à
l'élection présidentielle et que pour les
législatives ils présenteront des candidats pour
seulement la moitié des sièges. Aussi, ils
entendent
s'adapter à la nouvelle loi qui interdit la
formation de partis politiques fondés sur la
religion, et ce en créant un nouveau parti
appelé “Liberté et justice” et en invitant même
les coptes à y adhérer.
Sur la Place
Tahrir et ailleurs, ils étaient avec tous les
partis confondus, unis et travaillant main dans
la main pour une autre Égypte et ils continuent
d’ailleurs à le faire.
Il n’empêche que des campagnes politiques et
médiatiques aient été lancées en faveur de la
formation d’un front de mouvements non religieux
pour protéger la philosophie civile de l’État.
Les débats qui agitent le monde politique
égyptien et les révolutionnaires demandent à
clarifier les positions sur la nature de l’État
à construire. Ce sera un «État civil» (Dawla
madaniyya) garantissant : pluralité politique,
séparation des pouvoirs, alternance électorale
entre autres, ou bien un État religieux inspiré
de la «Charia», même si les frères musulmans ont
déclaré être en faveur d’un État civil ?
Certains craignent qu’une grande victoire des
islamistes aux législatives ou même leur soutien
à un candidat à la présidentielle ne
représentent une menace pour le principe de
l’État civil.
Des thèses mal intentionnées visaient, à des
moments passés, à préparer le terrain à des
guerres civiles confessionnelles. Ceci à l’image
de ce qui s’est passé à l’église d’Alexandrie et
fomenté par le ministère de l’Intérieur de
Moubarak, ou en Irak, au Liban et ailleurs.
C’est d’ailleurs avec ces objectifs de lutte
contre l’islamisme que les puissances
occidentales justifient leur stratégie de
domination du monde arabo-musulman. L’Occident,
qui cherche sans cesse à s’inventer des ennemis
pour justifier ses visées hégémoniques et ses
dépenses militaires, n’a-t-il pas vite remplacé
l’Union soviétique et le communisme
par
l’islamisme et Al-Qaïda, comme certains ne
cessent de l’affirmer ?
Un
document émanant du Congrès américain révèle,
sans grande surprise d’ailleurs, les demandes
faites aux USA par des groupes de pression
israéliens (notamment un centre d’études proche
de l’AIPAC) sur la direction américaine, afin
d’empêcher le Conseil militaire égyptien de
promulguer des lois électorales permettant
l’arrivée d’islamistes, dont les Frères
musulmans, au pouvoir. Ce lobby encourage une
prise de contact avec ce Conseil, mais en
catimini, pour qu’il leur barre l’accès avant
les prochaines élections. Il demande aussi la
mise à sa disposition de renseignements sur
leurs sources de financement. En revanche, il
est pour l’annonce du positionnement de la
direction américaine quant aux élections et la
description de la nature du gouvernement qu’elle
est apte à tolérer et la politique que celui-ci
est censé mener. La politique pratiquée en
direction d’Israël, concernant notamment les
accords de paix, la vente du gaz, les zones de
libre-échange commercial ou le dossier de Gaza,
est de haute importance pour ce lobby.
Conclusion
Si la tragédie du monde arabe est l’absence d’un
réel pluralisme politique et d'une gauche forte
et laïque, c’est que celle-ci a été laminée par
les choix politiques opérés par les dirigeants
de la région et la mainmise sur sa destinée des
forces étrangères qui ne voyaient que deux
options possibles : l'islam fondamentaliste ou
la démocratie libérale. Mais ce qui s'est passé
et continue encore à l’heure actuelle en
Tunisie, en Égypte, en Libye, au Yémen, au
Bahreïn, en Algérie et ailleurs, c'est justement
la révolution universelle pour la dignité et les
droits de l'homme, pour la justice sociale et
économique.
Il est temps d’arrêter de voir dans les peuples
arabes des mineurs incapables de devenir
adultes. Nous avons la preuve, par l’exemple
donné par ces populations qui se soulèvent,
qu’elles sont capables de construire des régimes
démocratiques si on les laisse maîtres de leur
destinée. Surtout si on ne leur importe pas
cette démocratie à la mode de l’Irak, utilisée
contre leur gré et leurs intérêts, dans
l’optique de diviser pour régner. Au Liban, qui
est malheureusement un autre cas de figure, on
voit au fil des jours les méfaits d’une
commission d'enquête internationale sur
l'assassinat de
Rafic Hariri,
et de la constitution du Tribunal international
spécial. Des manœuvres qui ne font que
compliquer les rapports entre les deux
communautés musulmanes du pays (sunnite et
chiite) et aggraver les dissensions internes
dans l’objectif de se débarrasser de la
résistance contre Israël.
En tout cas, si le temps qui passait avant le 25
janvier était pesant et vide, offrant une
inlassable répétition de l’uniforme et de
l’homogène, aujourd’hui, une rupture dans
l’ordre des choses est apparue avec ce
surgissement de l'inattendu et du possible en
Égypte. Le rêve de liberté politique et de
justice sociale enflamme le monde arabe depuis
que le vent démocratique s'est levé en décembre
2010 en Tunisie, et peut-être dessine-t-il
l’avenir du monde. C’est un moment rare qu’il
nous faut accompagner et non seulement observer,
surtout que toute la partition n’est pas encore
jouée.
Il faut appuyer les poursuites judiciaires
contre les responsables de l'ancien régime qui
ont commis des crimes politiques et économiques,
tout autant que contre l'appareil policier, avec
la mise en place d’un véritable système de
contrôle pour que cela ne recommence plus. Il
est indispensable d’encourager à plus de
collaboration entre la société civile et l'armée
et à l’implication de ceux qui ont fait cette
révolution dans les mécanismes de prise de
décision. Pour cela, la société civile devrait
urgemment s'organiser et unifier ses rangs. La
pluralité est signe de démocratie, mais la
dispersion des efforts et des dénominations et
les luttes intestines ne font que le jeu des
plus forts. Si les élections parlementaires sont
prévues pour le mois de septembre prochain, à ce
jour, le travail de sensibilisation à la
révolution et ses implications n'est fait,
semble-t-il, en dehors du Caire et une élite
urbaine, que par le PND et les Frères musulmans.
Et alors que la chute du despote n’a pris que
quelques jours, le changement de système vers
une démocratie est un processus qui reste assez
lent et semé d'embuches.
Par ailleurs, ceux qui soutiennent les pouvoirs
en place et dominent la scène médiatique et
culturelle, au sud comme au nord de la
Méditerranée, doivent, après être passés maîtres
du marché de l’information et avoir déversé leur
propagande au reste de la planète, non seulement
se poser des questions sur l’objectivité du
métier, mais aussi repenser le devenir des deux
rives de la Méditerranée. Des liens multiformes,
justes et équitables, doivent s’imposer pour le
bien de tous et non au détriment des mal-lotis.
Pour un meilleur avenir en commun, il est plus
qu’urgent de s’armer d’une autre manière de
penser.
La société civile internationale doit unir ses
forces pour contrer ceux qui gouvernent en son
nom à ne plus commettre des crimes contre
l’humanité, en obéissant à des courtes vues et
en privilégiant les intérêts qui se font au
détriment des plus faibles. Les peuples arabes,
dont 70% ont moins de trente ans n’ayant connu
que corruption, chômage et répression policière,
n’aspirent qu’au changement de leurs conditions
de vie. Nombre d’Égyptiens estiment qu’il serait
possible d’élever le niveau de vie de la
population en récupérant les centaines de
milliards de dollars détournés par la famille
Moubarak et les fonctionnaires et hommes
d’affaires corrompus sous son règne. Et si le
salaire minimum mensuel est actuellement de 400
livres égyptiennes, soit 67 dollars, les
manifestants de ce 1er mai ont réclamé un
salaire minimum à 1.500 livres. Va-t-on leur
permettre de devenir maitres de leur destinée ou
de nouveau trouver le moyen de les assujettir
aux intérêts des puissances hégémoniques ?
Combien de temps faut-il attendre et compter de
vies brisées pour comprendre que c’est dans le
respect de l’autre et de ses droits qu’on peut
garantir sa propre sécurité ?
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