Est-il nécessaire de rappeler, alors que la
journée de la femme s'est tenue tout récemment,
qu'en France comme dans de nombreux autres pays
dans le monde, il reste de nombreux droits à
acquérir et à défendre pour les femmes? Les
enjeux liés aux droits des femmes sont en outre
réactualisés à travers les mouvements
révolutionnaires actuels au Maghreb et au
Machrek: faut-il rappeler que bon nombre de
femmes qui se battent dans ces pays entendent
inscrire le principe de laïcité et des droits
des femmes comme un enjeu central pour le combat
démocratique?
Dans le même temps, ici en France, on voudrait
porter un débat sur l'islam en utilisant, encore
une fois, les arguments de la place des femmes
et de la laïcité pour le justifier. Qui peut
être dupe de cette énième instrumentalisation?
Voilà qu'après avoir pris pour cible l'été
dernier les Roms et les gens du voyage, après
avoir voulu créer, de fait, deux catégories de
citoyens en souhaitant déchoir de la nationalité
des Français d'origine étrangère, après nous
avoir imposé un débat sur l'«identité
nationale», prétexte à tous les amalgames et
tous les dérapages, ce pouvoir s'apprête encore
à jeter nos compatriotes les uns contre les
autres. Nous n'avons pas besoin de ce débat qui
risque de stigmatiser une partie de nos
compatriotes, mais d'une véritable action
politique qui favorise le respect de nos valeurs
républicaines et de nos lois, au premier rang
desquelles le principe constitutionnel de
l'Egalité entre les femmes et les hommes.
Si l'une des préoccupations de ce gouvernement
était réellement la promotion de cette égalité,
alors pourquoi ne compte-t-il ni ministère dédié
ni même un secrétariat d'Etat aux droits des
femmes?
Ce que demandent les femmes, c'est une égalité
salariale garante de leur autonomie alors
qu'aujourd'hui encore leur salaire moyen est
inférieur de 20% à celui des hommes.
Revendication très ancienne... puisque la
première loi évoquant la parité salariale date
de1972! Elles veulent pouvoir vivre décemment
alors qu'elles sont six fois plus nombreuses que
les hommes à travailler à temps partiel, deux
fois plus nombreuses à occuper des emplois
précaires et que leur pension de retraite est
inférieure de 42% à celle des hommes.
Ce qu'elles demandent à nos gouvernants, c'est
qu'ils agissent concrètement pour que, dans nos
quartiers, l'égalité entre femmes et hommes soit
une réalité tangible, pour que les droits des
femmes ne soient pas niés au nom de la tradition
ou de l'obscurantisme comme cela est trop
souvent le cas.
Ce qu'elles demandent, c'est que sur tout le
territoire national, il soit possible pour une
jeune fille, quelle que soit son origine ou sa
religion, de faire les études qu'elle souhaite
et de fréquenter qui elle désire.
Ce qu'elles demandent, c'est de pouvoir, sans
entraves, disposer librement de leur corps.
C'est que la loi sur l'IVG soit vraiment
appliquée, alors même que la récente réforme
hospitalière, guidée par la seule rentabilité
économique, impose des restructurations et des
coupes budgétaires qui mettent gravement en
cause ce droit chèrement acquis.
Ce qu'elles demandent c'est la possibilité
d'accéder aux responsabilités, tant dans
l'entreprise que dans la vie politique, alors
qu'aujourd'hui, en France, seulement un député
sur cinq est une femme.
Ce qu'elles demandent, c'est une action
déterminée pour que cessent les violences faites
aux femmes. Celles-ci étaient censées être la
«grande cause nationale de 2010», mais force est
de constater que les structures d'information,
de prévention et d'accueil sont sous-dotées par
l'Etat et qu'aujourd'hui, en France, une femme
meurt encore tous les 2 jours ½ sous les coups
de son compagnon.
Certains me rétorqueront que ce débat sur
l'islam a surtout pour but de rappeler
l'importance du principe de laïcité dans notre
pays et de dénoncer l'intégrisme musulman qui
s'attaque systématiquement aux femmes et
défigure le vrai visage de l'islam. Qui peut
croire que ce débat résoudrait ces problèmes?
Le combat pour un islam républicain mérite mieux
que cette volonté de désigner une sorte
d'«ennemi» de l'intérieur. Il faut rappeler
qu'il existe un islam de la République,
compatible et respectueux de celle-ci, qu'il
faut protéger et défendre tout en étant d'une
extrême fermeté contre toutes les tentations
communautaristes qui sont autant de sources de
morcellement pour notre société.
Je ne peux m'empêcher de mettre en parallèle la
velléité répétée de ce gouvernement et du parti
présidentiel à inscrire des débats qui ciblent
les musulmans et leur attitude pour le moins
très distanciée face aux mouvements
révolutionnaires qui ont secoués les sociétés
tunisiennes, algériennes, égyptiennes et
libyennes.
Comment peuvent-ils rester aveugles face à ces
femmes qui, loin de vouloir être considérées
comme des victimes, se sont battues et
continuent à se battre pour leurs droits et
leurs libertés en refusant d'êtres condamnées à
la sphère intime? Comment ne pas voir combien
les femmes tunisiennes luttent actuellement pour
sauvegarder leurs acquis, réclamer de nouveaux
droits et instaurer la séparation du religieux
et du politique dans leur pays? Comment ne pas
voir le combat des femmes algériennes luttant
pour leur liberté et demandant à cor et à cri
l'abolition du Code de la famille inspiré de la
charia? Ces femmes qui luttent pour la
démocratie sont les premières à être vigilantes
et à refuser de se voir dépossédées des
révolutions qu'elles ont contribué à mener.
Actrices de l'effondrement des régimes de Ben
Ali ou de Moubarak, elles ne laisseront pas
l'avenir de leurs pays se faire sans elles.
Il faut cesser de vouloir à tout prix
instrumentaliser les combats des femmes. A
contrario, il est urgent et fondamental pour
notre République de répondre à leurs aspirations
et à leurs revendications légitimes.
http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/210311/islam-laicite-les-femmes-instrumentalisees
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