Mon général, je veux vous signifier par la
présente que votre règne mortifère est à bout de
souffle. Que le monde a changé, que la situation
politique et sociale de l’Algérie a changé, que
les Algériens ont changé depuis 1992. Les
Algériens n’ont plus peur de l’épouvantail
islamiste que vous brandissez à chaque occasion
pour soumettre le peuple. Au cours des vingt ans
que vous avez passés à la tête du Département du
renseignement et de la sécurité (DRS), l’Algérie
a payé le prix fort du sang et des crimes
économiques et sociaux. Vous êtes le principal
responsable des maux de notre pays.
Votre régime de terreur doit prendre fin. Vos
jours ont été déjà comptés et vous appartenez
désormais au passé. C’est ce qui me permet de
vous suggérer de vous rendre à l’évidence et de
préparer en douceur votre départ pour éviter un
autre bain de sang. Aujourd’hui, vous êtes vieux
et malade, vous appartenez à un monde révolu qui
n’est plus celui de l’Algérie réelle, celle
d’une jeunesse majoritaire et en révolte. C’est
pourquoi votre tentative actuelle d’opérer un
ravalement de façade de votre système de
pouvoir, avec l’aide de pseudo-démocrates,
serait un autre crime contre le peuple algérien.
Il est trop tard pour un « ravalement de
façade » de votre régime
Pour accaparer à votre profit et à celui de vos
obligés les richesses du pays, les revenus de
son gaz et de son pétrole, vous avez utilisé
votre police politique afin de maintenir notre
peuple dans la misère et la hogra. Et vous avez
fait torturer et tuer des dizaines de milliers
d’hommes et de femmes. La gégène et le chiffon
sont devenus vos instruments ordinaires de
pouvoir, faisant de vos agents autant de
criminels – souvent devenus des psychopathes et
des névrosés.
Votre gestion du pays est devenue si désastreuse
qu’on peut se demander s’il pourra retrouver un
jour ses lettres de noblesse, le respect et sa
place éminente dans la sphère des nations. Et si
le sort que vous lui préparez n’est pas celui de
la Somalie. Vous avez, paraît-il, déclaré à
Bouteflika, à Saïd Sadi et à l’ex-Premier
ministre Mouloud Hamrouche que « l’Algérie va
mal », le DRS ayant fait un sondage auprès du
peuple algérien pour mesurer le mécontentement
de la rue. Mais les Algériens n’ont pas besoin
de sondages du DRS ou de tout autre organe du
pouvoir pour connaître leur désarroi. La misère
sociale et le sentiment d’injustice s’étalent
dans les rues depuis des années. C’est pourquoi
les émeutes de janvier 2011 vous ont fait
paniquer : plus violentes et massives que celles
qui secouent presque quotidiennement le pays
depuis dix ans, elles vous ont amené à tenter de
« prendre les devants », parce que, en effet,
vous risquez gros.
Il y a trois sortes de généraux dans le monde
arabe, selon leur place dans l’appareil de
pouvoir. Il y a la version des régimes de Ben
Ali ou Moubarak, qui n’ont jamais eu affaire à
une révolte de grande ampleur de la rue : pris
de panique, ils ont multiplié les discours pour
tenter de calmer le peuple et de négocier, avant
de vouloir faire sortir l’armée dans la rue pour
faire peur – mais ses chefs sont restés en
retrait. Et il y a la version Nezzar ou Kadhafi,
ceux qui ne parlent pas, mais qui tirent sur la
foule à balles réelles quand elle les menace.
Vous incarnez sans doute la troisième catégorie,
variante perverse de la précédente : après avoir
usé de la pire violence, avec votre coup d’État
de 1992 et le « fleuve de sang » qui a suivi,
vous avez instauré la manipulation et le
mensonge pour « gérer le peuple ». Pour tenter
de mater le peuple qui bouge, le peuple qui
vibre, le peuple qui se révolte, le peuple qui
hurle son besoin de démocratie, vous avez
organisé le simulacre d’une opposition entre des
partis clonés et un président cloné.
Depuis votre coup d’État de 1992, on ne voit
plus le bout du tunnel. Chaque jour apporte son
lot de désolations. Rien n’a changé. Pire, on
assiste dix-neuf ans plus tard à un reformatage
de la vie politique pour remettre en selle des
barons qui ont violé l’intimité de ce pays à la
place d’un autre déclinant. Mais tenter un
ravalement de façade avec un Mouloud Hamrouche,
un Saïd Sadi ou un autre, par des manœuvres déjà
mille fois vues pendant les années noires ne
changera rien à l’aspiration du peuple au
changement radical de la République.
Le peuple algérien ne se contentera pas du
départ de Bouteflika, il veut la fin de la
police politique qui l’a amené au pouvoir. Et le
prétendu bras de fer qui oppose la façade du
« pouvoir » algérien incarné par ce dernier à la
Coordination nationale pour le changement et la
démocratie (CNDC) n’est certainement pas la voie
pour y parvenir. Certes, au sein de la
coordination, il y a des hommes et des femmes
qui méritent le respect de tous les Algériens.
Mais on pourrait faire remarquer, au regard de
sa faible capacité de mobilisation, que cette
coordination comprend aussi des éléments visant
clairement à tirer vers le bas le mouvement de
révolte et qui se distinguent par leur
complaisance avec vos desseins.
Car hélas, vos agents sont partout. Pour vous
maintenir au pouvoir, vous avez choisi en effet
de vous appuyer sur votre police politique,
ciment principal d’une alliance rentière et
prédatrice, qui a gangrené tout le système
politique algérien. Preuve en est le vide
politique créé par une décennie sanglante durant
laquelle le DRS, par son entreprise de
destruction, a privé le pays de toute expression
démocratique.
L’intolérable impunité des généraux criminels à
la tête de l’ANP
En janvier 1992, une partie du peuple algérien
pensait renouer avec l’espoir après le retour du
président Boudiaf, puis elle a assisté six mois
plus tard à son assassinat en direct. Votre
justice aux ordres a ensuite qualifié
l’assassinat d’« acte isolé », mais les
responsables des services de renseignement
chargés de la protection du président ont été
promus et mutés vers d’autres unités. Mohamed
Boudiaf a payé de sa vie son refus de jouer le
jeu de votre mentor, le général Larbi Belkheir.
Boudiaf était l’une des figures de la révolution
algérienne, mais son histoire ne l’a pas protégé
contre vos ambitions : vous avez oublié ce qu’il
a été avant, pendant et après la révolution.
Puis fut le temps de Liamine Zéroual, un général
que vous avez « bricolé » dans vos laboratoires
pour en faire un président ; et, encore une
fois, cela n’a pas marché. Son mandat s’est
achevé avec les massacres de masse de 1997,
instrumentalisés par vos services pour le
déposer définitivement.
Mon général, sachez que l’intolérable impunité
des « forces de l’ordre » a ébranlé le pays au
plus profond de son âme. Car elle dit l’extrême
violence, la corruption et le chaos qui règnent
dans l’Algérie d’aujourd’hui. Pour mesurer
l’ampleur du mal, il faut connaître le niveau
d’implication de la nouvelle hiérarchie
militaire dans les crimes contre l’humanité
commis durent la « sale guerre » des années
1990. Toute la chaîne du commandement militaire
actuel est composée de criminels, jusqu’au
sommet. De surcroît, chacun « touche » à chaque
étage, et chaque fois plus. C’est pourquoi un
poste élevé au ministère de la Défense et à
l’état-major se vend à celui qui à bien
« bossé » dans les unités de « lutte
antiterroriste ».
Cette lutte antiterroriste, qui a transformé
progressivement chaque soldat en animal, a aussi
transformé des sous-lieutenants et des
lieutenants en lieutenants-colonels. Et elle a
promu des chefs de section en commandants de
régiment, des lieutenants-colonels en
généraux-majors, commandants de région militaire
ou commandant des forces terrestres. Et à chaque
fête nationale, la presse algérienne nous a
gavés des noms d’assassins promus à des grades
supérieurs – des hommes que mes années de jeune
officier en exercice dans les forces spéciales,
de 1990 à 1995, m’ont parfois permis de
connaître de près.
L’un de ces militaires, aujourd’hui
général-major et commandant des forces
terrestres – le second dans la pyramide après
Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée – est
le général-major Kadour Bendjemil. Cet
artilleur, originaire d’Annaba, n’a cessé depuis
son arrivée au commandement fin 1993, de se
mouler dans le personnage militaire d’un homme
qui ne recule devant rien. À l’époque, sa rage
purificatrice n’a épargné personne dans son
secteur d’intervention de Bouira (le « SOB »).
Il a alors constitué une sorte de garde
prétorienne composée de quelques officiers et
sous-officiers de l’ANP et d’officiers du DRS,
pour, d’après ses dires, « rétablir l’ordre » :
au hasard des rafles qui avaient lieu, le jour
dans les rues, la nuit dans les maisons, de
jeunes Algériens étaient entassés dans des
fourgons banalisés, enchaînés pour terroriser la
foule et montrer comment l’armée traitait ses
ennemis. Et beaucoup de soldats, de
sous-officiers et d’officiers ont également
perdu la vie à cause de la fameuse règle
militaire selon laquelle le chef a toujours
raison, même s’il a tort.
D’autres noms ? La liste est longue, mon
général, de vos officiers criminels occupant
aujourd’hui les plus hauts postes de notre ANP !
Je pourrais en citer, hélas, des dizaines… Comme
le général Abdelkader Benzerkhoufa,
ex-commandant du 11e RIM, régiment d’infanterie
mécanisé stationné entre 1993 et 1997 à La Gare
Omar (Bouira). Ou le général Noureddine Hambli,
parachutiste commandant du 25e régiment de
reconnaissance, l’un des responsables du
massacre du 5 octobre 1988 à Alger. Ou encore le
général-major Habib Chentouf, aujourd’hui
commandant de la 1re région militaire ; le
général-major Omar Tlemçani, commandant de la 2e
région militaire, ex-commandant du 4e régiment
de parachutiste (4e RAP) ; le général-major Amar
Athamnia, 3e et 6e région militaire,
ex-commandant du 12e régiment de para-commandos
(12e RAP) ; le général Maamar Boukhenoufa,
commandant du régiment d’infanterie mécanisé
stationné à l’époque à Dar El-Beida ; le général
Tirech, ex-capitaine à l’Académie militaire ; le
général Rachid Guetaf, le général Abed Litim,
commandant parachutiste, ex-capitaine aux 4e et
18e RAP, aujourd’hui commandant de l’École
d’application des forces spéciales à Biskra ; le
général-major Saïd Chengriha, ex-commandant de
la 1re division blindée puis commandant de la 8e
division blindée, aujourd’hui commandant de la
3e région militaire ; ou aussi les pires
criminels que sont le général-major Mhenna
Djebbar, ex-commandant du CTRI de Blida
aujourd’hui chef de la DCSA, le général-major
Bachir Tartag ou le général-major Abdelrazek
Chérif, parachutiste commandant de la 4e région
militaire.
Tous ces généraux ont été et sont toujours les
acteurs d’une gigantesque entreprise de prise en
otage d’un peuple entier. Avec demandes de
rançons, chantage et détresse de dizaines de
milliers de familles. De 1992 à 1999, ils ont
conduit une « sale guerre » ciblant de manière
délibérée des civils désarmés dans les zones
sensibles, qui a fait 200 000 morts. Et en 2000
encore, ils ont lancé la terrible opération « Saïf
El-Hadjaj » (« L’épée de El-Hadjaj »), dont le
nom est le symbole même de la mort et de la
terreur pour tous les musulmans. Avec vos pairs,
vous avez ainsi mis en œuvre les principes de la
« guerre psychologique » tels qu’ils ont déjà
été appliqués pendant la guerre de libération
par l’armée coloniale française, ou au Viêt-nam
et en Amérique du Sud par les militaires
américains et leurs alliés. Des méthodes qui
incluent le bouclage physique des villes et des
villages, la prise en otage de civils, les
exécutions extrajudiciaires, l’enlèvement et la
torture de toute personne soupçonnée
d’appartenir à un groupe d’opposition.
D’où la fameuse question qui vous taraude
aujourd’hui, avec vos complices : « Si nous
lâchons le pouvoir, nous serons jugés pour
crimes contre l’humanité ou crimes de guerre. »
Vos généraux ont donc en permanence à l’esprit
un kit de survie psychologique, et ils font tout
pour respecter le pacte criminel qui les unit.
« DRS, dégage ! »
Aujourd’hui, mon général, en Algérie comme à
l’étranger, vos émissaires sont sur tous les
plateaux de télévision. Ces charlatans et
pseudo-démocrates prétendent nous expliquer
« comment devenir des opposants ». Ils veulent
nous montrer la voie du « salut » par des
discours démagogiques tout droit sortis de vos
laboratoires de désinformation. Or que
représentent-ils réellement dans la société
algérienne ? Est-ce qu’un « démocrate » qui va
manifester avec des gardes du corps de la police
est crédible ?
Cette comédie peut peut-être abuser encore un
temps des médias occidentaux – et français en
particulier – qui ont depuis si longtemps
renoncé à comprendre la perversité de votre
système de pouvoir. Et vous avez su avec
efficacité, à coups de prébendes et de
désinformation, les encourager en ce sens pour
vous soutenir. Mais vous ne pouvez plus abuser
l’immense majorité du peuple algérien, qui est
parfaitement lucide sur vos crimes et qui ne
pense qu’une seule chose : « DRS, dégage ! »
Je sais comme tout le monde que votre souci
principal est de ne pas se retrouver devant un
tribunal pénal international, pour les crimes
que vous avez commis depuis 1991. Chaque
Algérien sait aussi que votre poulain Bouteflika
est âgé et malade et qu’il a, tout au long de
son mandat, abusé des circuits de corruption que
vous lui avez laissés. L’affaire Sonatrach,
devenue votre cheval de bataille pour brider
celui qui prétend contester votre emprise sur
ces circuits, est un révélateur de l’état de
l’Algérie : de ses inégalités, de ses injustices
sociales, de ses déséquilibres institutionnels,
des abus d’un président sans contrôle comme de
ceux de votre propre clan.
Dans votre régime en fin de règne, ces querelles
misérables ne révèlent rien d’autre que la
complicité conflictuelle qui vous lie, vous et
votre président de façade, pour piller notre
peuple. Ainsi, le DRS enquête et met à nu des
réalités qui dévoilent les impostures et les
mensonges d’un tout petit monde, qui par la
faveur de votre pouvoir s’approprie la richesse
nationale. On se souvient de ces grands titres
de la presse dite « libre », mais très
manipulée, qui révèlent telle ou telle affaire
et de la fébrilité puis de la panique qui se
sont emparées du cercle de votre président…
Autant de faux-semblants d’une prétendue « lutte
anticorruption » dont le seul objet est de
préserver les pires pratiques de corruption.
Voyez par vous-même, mon général : ce qui était
impensable il y a encore quelques semaines en
Tunisie et en Égypte, peut bientôt se reproduire
en Algérie. Des dictateurs ont plié bagage
devant la colère de la rue. Mais soyez-en sûr,
l’intifada fondatrice ne sera pas organisée par
les faux opposants.
J’ignore ce qui va se passer maintenant. Nous
avons des jours difficiles devant nous. Tout ce
que je sais, c’est que l’Algérie a plus que
jamais besoin d’hommes et de femmes profondément
loyaux et intègres, et non pas de ceux qu’on
achète et qui se vendent. Des hommes et de
femmes qui défendraient la justice et la vérité
même si l’univers s’écroulait. Qu’il ne soit
jamais dit que les Algériens n’ont rien dit,
n’ont rien fait contre la bête immonde qui
détruit notre nation. Les événements de ce début
d’année 2011 dessinent une trajectoire fatale
qu’il faut identifier et contrer pour préserver
notre pays. Y a-t-il encore quelqu’un pour
écouter la voix d’un Algérien ? Avons-nous peur
de nos responsabilités ? Que deviennent-ils, les
fils et les filles de l’indépendance ? De la
guerre de libération ? L’Algérie est notre mère
patrie, elle souffre d’un interminable cancer.
C’est pour cela que je propose un congrès de la
vraie opposition, une sorte de nouveau
Sant’Egidio, parce que nous arrivons à un moment
critique de notre histoire, à une époque
d’incroyables défis à relever.
Algeria-Watch, 5 mars 2011
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