« Quand trop de sécheresse brûle les cœurs ;
Quand la faim tord trop d’entrailles ; Quand on
rentre trop de larmes ; Quand on bâillonne trop
de rêves ; C’est comme quand on ajoute bois sur
bois sur le bûcher ; A la fin, il suffit du bout
de bois d’un esclave ;Pour faire, Dans le ciel
de Dieu Et dans le cœur des hommes le plus
énorme incendie ». Mouloud Mammeri
Cette année 2011 est décidément une année arabe.
Pour la première fois depuis plus d’un siècles
les peuples arabes s’émancipent la fois de leur
dirigeant qui n’ont pas su et pour certains pas
pu les mener à bon port en les projetant dans le
XXIe siècle. il a fallu un espace virtuel
facebook, twitter et plus généralement les
nouvelles technologies de l’information et de la
communication pour avoir eu raison de la chape
de plomb des pouvoirs. Le régime tunisien fut
balayé par l’internet. Le régime du pharaon aux
pieds d’argile comprit mais trop tard, la
nécessité d’étouffer le sang de l’information
qui circulait sur la toile. En voulant museler
l’internet, il constata que la révolution était
déjà dans la rue. On apprend par ailleurs que
par mesure de précaution, selon The Guardian,
qui cite Akhbar al-Arab, Gamal Moubarak, aurait
quitté l’Égypte avec sa femme pour aller se
réfugier à Londres.
Pour beaucoup d’observateurs, écrit Hicham
Hamza, l’armée détient aujourd’hui la clé de
l’avenir politique de l’Egypte. Hosni Moubarak a
ainsi désigné samedi comme Premier ministre
Ahmed Chafik, ancien commandant de l’armée de
l’air et ministre sortant de l’Aviation. Il est
chargé de former un nouveau gouvernement. Le
changement dans la continuité. Samedi, le
président égyptien Hosni Moubarak a nommé au
nouveau poste de la vice-présidence un loyaliste
par excellence, l’ancien général Omar Suleiman,
chef des services secrets et candidat idéal à la
succession pour les Etats-Unis. Proche des
milieux d’affaires, Omar Suleiman est reconnu
comme un partenaire estimable pour les
Américains et les Israéliens. Ses accointances
au sein de la classe politique israélienne sont
également jugées rassurantes par l’actuel
gouvernement de Benjamin Netanyahu. (..) l’enjeu
sera de savoir si la tutelle de l’Occident sera
maintenue ou bien si les aspirations
démocratiques du peuple à l’autonomie pourront
enfin s’exprimer. (1)
Comment ce vent de révolte a-t-il soufflé ? A
côté du mimétisme de la révolte des jeunes
tunisiens, il ne faut pas négliger aussi le rôle
de ferment joué par les câbles de wikileaks, et
la crise des matières premières, (on dit que
l’Algérie et l’Egypte sont les deux premiers
pays à acheter du blé aux pays qui le
produisent, il y a au moins ce record que nous
devons homologuer dans le livre des Guiness).
Pour le reste, le monde arabe est dernier
partout et notamment dans le domaine des
sciences et de la technologie. 500 université
musulmanes, dans les dernières places, 5000
universités aux Etats-Unis. Les 100 premières
sont américaines et sur les 1000 premières
université mondiales 500 sont américaines. Le
gap de plus en plus important entre les
potentats installés dans les temps morts et un
Occident exubérant d’initiative et de
créativité. Un autre paramètre est la
défaillance totale de tous les partis politiques
ou supposés tels dans les pays arabes, alliés
traditionnels du pouvoir, leur appel à
mobilisation débouche sur des flops. On remarque
que les tentatives de récupération en Algérie,
Tunisie et Egypte se sont soldées par des échecs
patents. Ajoutons le catalyseur et l’humiliation
continuelle des Arabes à travers la politique
d’apartheid d’Israël envers les palestiniens et
à son impunité imposé par un occident qui
développe justement avec les potentats arabes
qu’il soutient des relations privilégiées. A
titre d’exemple, l’Egypte est inféodé aux
Etats-Unis, le prix de sa reddition en rase
compagne est 1,3 milliard de dollars.
Pierre Haski explique les analogies et les
dissemblances des révolutions arabes d’avec
celles des pays de l’est en 1989 « Depuis le
départ du président tunisien Ben Ali et la
« contagion » dans d’autres pays arabes, la
comparaison a souvent été faite avec la chute du
mur de Berlin, en octobre 1989.(…) La principale
différence, évidemment, tient au fait que les
pays communistes d’Europe centrale et orientale
appartenaient à un même « bloc », dont le centre
de contrôle se trouvait à Moscou, au Kremlin.
Lorsque ce dernier, sous la direction de Mikhaïl
Gorbatchev, a laissé faire, la voie était
soudain libre pour des changements historiques…
Le monde arabe n’a aucune de ces
caractéristiques : ce n’est pas un bloc
homogène. (…) »
Pierre Haski ajoute que l’Occident est inquiet
et on le comprend : « Et le monde extérieur est
partagé entre le soutien aux aspirations
démocratiques des manifestants, et la peur de
voir ces pays tomber entre les mains
d’extrémistes religieux, et donc de devenir des
foyers d’instabilité et potentiellement
« ennemis ». La Tunisie est un petit pays, sans
enjeu stratégique majeur, et les événements ont
pu suivre leur cours sans grande interférence
extérieure. En revanche, ce qui est sûr, c’est
que les grandes puissances de ce monde observent
avec inquiétude ces événements, au lieu de se
réjouir de voir un vent de demande de liberté
souffler sur une partie du monde qui semblait
condamnée pour longtemps à l’immobilisme, la
médiocrité de despotes galonnés ou couronnés, et
à la menace de l’obscurantisme
politico-religieux. Cette inquiétude,
perceptible de Washington à Paris, nul ne sait
où va la révolution égyptienne en marche. Avec,
évidemment, l’incertitude islamiste. Un
renversement éventuel de Moubarak ouvrira-t-il
la voie à une victoire des Frères musulmans, à
l’histoire longue de près d’un siècle, et très
enracinés en Egypte ou en Jordanie ? Ce n’est
pas ce que souhaitent les Américains, ou leurs
voisins israéliens, une position qui agace les
« dissidents » démocrates du monde arabe qui
n’en peuvent plus d’être confrontés à
l’alternative islamistes ou
dictateurs…L’analyste conservateur Robert Kaplan
écrivait dans le New York Times qu’il ne
fallait pas trop se réjouir des événements du
monde arabe, car on finirait par regretter des
« dirigeants avisés » comme le roi Abdallah de
Jordanie, ou « stables » comme le Président
Moubarak. Et de rappeler que ce sont des
élections démocratiques qui ont amené le Hamas
au pouvoir à Gaza. Ils ont fait voler en éclat
le mur de Berlin dans leurs têtes qui les
empêchait jusque-là de contester des régimes
autoritaires et largement corrompus, soutenus
par les Occidentaux au nom de la lutte contre
l’intégrisme religieux ». (2)
Alain Gresh rappelle, pour sa part, les causes
structurelles voire le ferment des révoltes.
Ecoutons le : « D’abord, le maintien de régimes
autoritaires qui ne rendent jamais de comptes à
leurs citoyens. S’il existe (ou plutôt existait)
une « exception arabe », c’était bien celle-ci :
ces régimes ont connu une longévité sans
précédent, M. Moubarak est président depuis
1982, M. Ali Abdallah Saleh dirige le Yémen
depuis 1978 et, à Amman, Abdallah II a succédé
en 1999 à son père, qui lui-même avait accédé au
pouvoir en 1952. Pour ne pas parler de la Syrie
où Bachar Al-Assad a remplacé son père qui avait
pris le pouvoir en 1970, ou du Maroc où le roi
Mohammed VI a remplacé son père en 1999,
celui-ci ayant régné à partir de 1961, de la
Libye où Kadhafi sévit depuis 1969 et prépare
son fils à lui succéder. Quant à M. Ben Ali, il
présidait sans partage depuis 1989. (3)
De plus, dans des conditions différentes selon
chaque pays, les droits individuels, politiques
et d’expression du citoyen sont bafoués. La
publication par WikiLeaks des télégrammes venus
de l’ambassade des Etats-Unis au Caire
confirment ce que tout le monde savait. (…) Tous
ces régimes ont accaparé non seulement le
pouvoir politique, mais se sont imposés dans le
domaine économique, agissant souvent en vrais
prédateurs des richesses nationales, comme en
Tunisie. (…) On peut noter aussi que la lutte
contre Israël, qui offrait souvent aux régimes
du Proche-Orient un argument pour maintenir leur
emprise – au nom de l’unité contre l’ennemi
sioniste –, ne semble plus suffire. (…)
l’ensemble du monde arabe semble bien incapable
de réagir au lent écrasement des Palestiniens.
(….) Et maintenant ? Que feront les Frères
Musulmans, très réticents à entrer dans une
confrontation avec le pouvoir et qui ont
finalement décidé de se rallier au mouvement ?
Mohammed El-Baradeï, sera-t-il capable de
fédérer les oppositions ?
« Les Palestinian Papers (ie documents Wikileaks
- NdT) écrit Robert Fisk, sont aussi stupéfiants
que la Déclaration de Balfour. L’ « Autorité »
palestinienne était prête, et l’est encore, à
abandonner le « droit au retour » de peut-être
sept millions de réfugiés vers ce qui est
actuellement Israël en échange d’un « état » qui
ne couvrirait plus que 10% (au mieux) du
territoire Palestinien sous mandat britannique.
Il se passe quelque chose d’exceptionnel dans le
monde arabe. (…) En Égypte, nous aimons la
démocratie. Nous avons encouragé le démocratie
en Égypte – jusqu’à ce que les égyptiens
décident de renverser la monarchie. Alors nous
les avons mis en prison. Puis nous avons exigé
encore plus de démocratie. C’est toujours la
même histoire. Tout comme nous voulions la
démocratie pour les Palestiniens à condition
qu’ils votent pour les bons candidats, nous
voulions aussi faire profiter de notre
démocratie aux Égyptiens. Maintenant, au Liban,
il apparaît qu’une « démocratie » Libanaise va
s’imposer. Et ça, nous n’aimons pas. Car
évidemment, nous voulons que les Libanais votent
pour ceux que nous aimons, les partisans
sunnites de Rafiq Hariri dont l’assassinat –
croyons nous – fut orchestré par les Syriens.
Que se passe-t-il ? Se pourrait-il que le monde
Arabe décide de se choisir lui-même ses
dirigeants ? Se pourrait-il que nous assistions
à l’émergence d’un monde arabe qui ne serait
plus contrôlé par l’Occident ? En Égypte,
l’avenir de Hosni Moubarak paraît encore plus
compromis. Et les Égyptiens n’en veulent pas du
fils de Hosni. Le chef de la sécurité de Hosni,
un certain Suleiman, qui est très malade, n’est
peut-être pas non plus l’homme qu’il faut. Et
pendant ce temps, à travers tout le Moyen orient
arabe, nous attendons la chute des alliés de
l’Amérique. En Égypte, M. Moubarak doit déjà
être en train de se chercher une destination
vers où s’envoler. Au Liban, les amis de
l’Amérique s’effondrent. C’est la fin des
« Démocrates » du moyen-orient arabe. Nous ne
savons pas de quoi l’avenir sera fait. Seule
l’histoire nous le dira ». (4)
Pour Mohamed Tahar Bensaada, l’alternative posée
à l’Occident est simple c’est soit les barbus
soit les blindés. Cela nous rappelle la phrase
de Moubarek à l’Occident, c’est moi ou l’Algérie
sous entendue le chaos. « (…) Bien avant le
soulèvement populaire, et comme l’ont si bien
illustré les fuites de Wikileaks, les Américains
ont montré qu’ils étaient excédés par les
pratiques maffieuses du clan Ben (…) Comme leurs
porte-parole dans l’hexagone, les diplomates
israéliens n’ont pas hésité à regretter la chute
du régime de Ben Ali et à pointer du doigt la
« menace islamiste ». l’Egypte et la Jordanie
deux pays qui ne partagent pas seulement la
proximité géographique avec l’Etat d’Israël.
Tous les deux ont fait une « paix séparée » avec
l’Etat hébreu. (…) Dans le Soudan voisin, (…) La
manipulation israélo-occidentale de l’aspiration
du sud à l’autodétermination, à la liberté et au
développement, a réussi, aidée en cela par
l’irresponsabilité criminelle d’un pouvoir
nordiste, sourd aux appels à la liberté, à la
justice et à l’égalité des populations d’un sud
marginalisé et méprisé. (…) (5)
Que fera l’Occident qui avait, définitivement,
misé sur la fin de l’histoire des Arabes réduits
à des esclaves résignés avec un prévôt adoubé
pour les maintenir en respect ? Les peuples
arabes lèvent la tête et s’interrogent sur
l’avenir. Sans vouloir jouer les pythies,
imaginons que les jeunes Arabes vont au bout de
leurs rêves. Qu’ils arrivent à élire et à faire
émerger en leur sain des guides capables de leur
indiquer le chemin dans la dignité , l’espoir
pour tous. Pourtant on peut craindre que ce ras
le bol est une révolte malheureusement non
structurée qui risque de déboucher sur une
anarchie nihiliste en l’absence d’alternatives
crédibles comme c’est le cas en Tunisie où la
contestation continue, pour continuer.
C’est l’avis du journaliste britannique Robert
Fisk, pour qui, le changement de régime en
Tunisie n’annonce pas forcément l’avènement
d’une démocratie. Serait-ce la fin de l’âge des
dictateurs dans le monde arabe ? s’interroge
Robert Fisk. Tous ces cheiks et ces émirs, ces
rois (dont un très âgé en Arabie Saoudite et un
jeune en Jordanie), ces présidents (là encore,
un très âgé en Egypte et un jeune en Syrie)
doivent sans aucun doute trembler dans leurs
bottes, car les événements de Tunisie n’étaient
pas censés se produire. (…) Si de tels
événements peuvent se produire dans un pays
touristique comme la Tunisie, ils peuvent
survenir n’importe où… La vérité est que le
monde arabe est si sclérosé, si corrompu, si
humilié et si impitoyable – et si incapable
d’accomplir des progrès sociaux et politiques
que les chances sont quasi nulles de voir
émerger des démocraties viables dans le chaos
qui règne dans le monde arabe. Mais tous les
dictateurs savent qu’ils courent de gros dangers
quand ils libèrent leurs compatriotes de leurs
chaînes. Et les Arabes n’ont pas dérogé à la
règle. Non, tout bien considéré, je ne pense pas
que le temps des dictateurs arabes soit révolu.
Les Occidentaux y veilleront ». (6)
Il est vrai que les gouvernements arabes actuels
n’intéressent l’Occident que dans la mesure où
ils sont dociles et non pas en tant que valeur
ajoutée issue d’un brain- storming mais en tant
que dépositaires d’une rente et prévôts des
peuples qu’ils sont chargés de mater, en
respectant un vernis de démocratie. Les
dirigeants arabes, pour la plupart mal élus,
s’accrochent au pouvoir à l’instar d’un El
Gueddafi qui est, à n’en point douter », un cas
d’école tant il est vrai qu’il a réussi à casser
le peuple libyen et surtout sa jeunesse.
Pourtant, le croyons-nous, quelque chose
d’absolument nouveau a eu lieu, le temps
travaille pour l’avenir des millions de jeunes
Arabes. Nul doute que la géopolitique mondiale
connaîtra un véritable séisme et ce sera
véritablement le chaos si les nouveaux Arabes
décidaient enfin, de ne plus prendre comme
parole d’’Evangile les injonctions de
l’Occident. Peut-être que c’est aussi,
l’occasion unique pour rendre justice au peuple
palestinien si le Monde arabe, dans son
ensemble, décidait de dire « ça suffit ! »
concernant les coupables complicités de
l’Occident vis-à-vis d’Israël.
Les peuples arabes s’émancipent, le mur de la
peur est tombé. Plus rien ne sera jamais comme
avant. Peuple des beaux départs, et feu de
paille qualifiait Lawrence d’Arabie les révoltes
arabes. C’est différent, ce feu de paille risque
d’embraser le monde, car il est porté par une
jeunesse capable du meilleur comme du pire et
cela les stratèges occidentaux ne l’avaient pas
prévu. Comme on le constate à leur affolement,
ils n’ont pas de plan « B » sauf à suivre les
évènements au lieu de les anticiper, engoncés
dans leur certitude que rien d’important ne
viendra de l’Orient arabe embué dans ses vapeurs
de narguilé et ayant arrêté sa marche vers le
progrès, il y a de cela quelques siècles. Si les
masses arabes, principalement les jeunes ne
saisissent pas cette opportunité d’une nouvelle
re-naissance, nous allons repartir, cette fois-çi
et définitivement, vers les temps morts, en
sortant de l’histoire malgré la nouvelle
certitude , dans un réflexe totalement
paternaliste, du sherpa de Nicolas Sarkozy Henri
Gaino, qui concède aux Nord Africains, le fait
d’être rentré dans l’histoire.. (enfin).
Arrogante certitude quand tu nous tiens !!!
Professeur Chems Eddi Chitour / Ecole
Polytechnique
enp-edu.dz
1. Hicham Hamza : Le nouveau vice-président
favori des Américains Oumma.com 29.01.2011
2. Pierre Haski : Le Monde arabe vit sa chute du
mur de Berlin Rue89 29.01.2011
3. Alain Gresh:Le Monde arabe se révolte Monde
diplomatique 28 janvier 2011
4. Robert Fisk : Une vérité émerge du Monde
arabe http://www.legrandsoir.info/Une-nou...
5. Mohamed Tahar Bensaâda Les barbus ou les
blindés : l’Islam a bon dos. Quelles
perspectives de changement dans le Monde arabe ?
Oumma.com 27 janvier 2011
6.Robert Fisk. Le temps des dictateurs n’est pas
révolu. The Independent dans Courrier
international 29.01.2011.
Source : Le Grand Soir 2 février 2011
http://www.legrandsoir.info/Les-peuples-arabes-s-emancipent-La-chute-du-mur-de-la-peur.html |