De nouveau on se réunit pour parler de la prison
américaine la plus célèbre dans laquelle les
États-Unis continuent de détenir sans jugement
ou accusations fondées des suspects de
terrorisme. Le camp de Guntanamo entrera dans sa
dixième année dans 3 jours, le 11 janvier.
Malgré les promesses de la campagne
présidentielle d’Obama d’il y a deux ans de le
fermer, 174 prisonniers y sont encore détenus,
la plupart Yéménites et trois ou quatre
seulement ont été jugés et condamnés. Ils y sont
sans que personne ne puisse dire avec certitude
jusqu’à quand ils y seront. Début 2009, Obama
avait
ordonné la fermeture de ce camp de haute
sécurité dans l'année qui suivrait,
dans l’intérêt même de la sécurité des
Etats-Unis. A la date d’aujourd’hui, rien n’a
été fait et rien n'indique que cette prison
pourra être fermée d'ici la prochaine
présidentielle de 2012.
Les législateurs américains ont en fait adopté,
en décembre dernier, un projet de loi
interdisant l'usage de fonds fédéraux pour
transférer des détenus de Guantanamo sur le
territoire américain afin d’être jugés devant
des tribunaux civils, s’acheminant ainsi vers la
fermeture de ce «camp du non-droit». C’est un
vaste chantier puisqu’il faudrait mettre un
terme à l’emprisonnement à durée illimitée sans
jugement, aux commissions militaires (ou
tribunaux militaires d’exception) et assurer
l’accès à des procès équitables pour tous les
prisonniers.) Mais depuis que cette loi a été
votée tout récemment par le Congrès devenu
républicain, que va faire Obama devant
l’opposition de ce Congrès?
Certains pensent qu’il a l’intention de le
défier en recourant à une procédure appelée
«déclaration de signature», où il peut remettre
en question la constitutionnalité de la loi et
refuser sa mise en application. Mais est-ce
qu’il a réellement "la volonté politique" de le
faire ? Des spécialistes disent que les
questions des droits de l’homme et du droit
international sont jugées moins importantes que
les questions de politique intérieure, telle que
la réforme de la santé.
Récemment le porte-parole de la Maison Blanche a
déclaré que la fermeture de Guantanamo "prendra
sans doute un certain temps". Qu’est ce que cela
veut dire un certain temps lorsque la Maison
Blanche fait savoir qu’elle prépare un décret
présidentiel permettant de prolonger
indéfiniment la détention sans jugement de
certains des détenus à Guantanamo, (tout en
réexaminant régulièrement leurs dossiers bien
sûr puisqu’ils ne peuvent être jugés par des
tribunaux fédéraux ou des commissions
militaires) et en donnant le droit aux détenus
de contester leur incarcération et en permettant
d’expulser des prisonniers originaires de pays
dont les régimes seraient plus respectueux des
droits de l’homme ?
En tout cas, ce décret ne doit concerner que 48
des 174 détenus, pour lesquels on n’a pu après
des années d’enquête, de torture et de détention
illégale trouver de quoi justifier leur renvoi
devant un tribunal, alors qu’en matière de
terrorisme, un soupçon est une preuve.
Considérés comme trop dangereux pour être
libérés, ils ne peuvent pas d’un autre côté être
jugés, du fait de l’absence de charges formelles
et parce que certains éléments à charge ont été
recueillis sous la torture. (Rappelons que dans
la foulée un autre amendement a été pris
interdisant l'achat ou la construction d'un
établissement sur le sol américain où les
prisonniers pourraient être enfermés, alors que
la Maison-Blanche proposait l’année dernière
d'acquérir une prison dans l'Illinois dans ce
but).
Ayant désormais le statut de prisonniers non
justiciables puisqu’on n’a fait que bafouer
cette vieille règle selon laquelle les gens sont
soit jugés soit libérés, les prisonniers de
Guantanamo se sont donc tournés vers la Cour
suprême. Devant cette Cour qui a toujours donné
raison aux détenus, au nom de l'Etat de droit,
et confirmé le pouvoir des juges à outrepasser
les choix politiques émanant de l'administration
ou du Congrès, huit recours ont été déposé,
représentant la quasi-totalité des détenus. La
Cour suprême devrait dire courant 2011 si elle
accepte d'examiner un ou plusieurs de ces
recours.
Quant au Président Obama, il ne fait que grossir
les rangs de ses déçus et pas seulement sur ce
dossier où il a toujours estimé que la détention
illimitée était une alternative. D’ailleurs
beaucoup ont pu prévoir qu’il allait poursuivre
la politique de son prédécesseur et ne pas
vouloir, et non pas seulement pouvoir, répondre
aux attentes de restaurer l’image ternie des
Etats-Unis et de panser les plaies de ses
compatriotes et du reste du monde des rudes
années traversées durant la présidence de George
W. Bush. Ils se demandent aujourd’hui et à juste
titre où sont passés les treize millions de ses
supporters s’il a voulu mener la politique qu’il
a promis ? N’est-ce pas George W. Bush lui-même
qui écrit dans son récent livre : «Obama est un
très bon successeur et je suis très satisfait de
la manière dont il dirige les Etats-Unis.» ?
Tout le monde sait en tout cas qu’Obama a été
plus loin que Bush dans «sa guerre juste» en
Afghanistan. Quand au Pakistan le New York Times
a écrit, «depuis l'arrivée au pouvoir de M.
Obama, la CIA a effectué plus d'attaques de
drônes Predator au Pakistan que durant les huit
années de mandat de George W. Bush». La
dégradation de la situation ne fait qu’enfler
que ce soit en Irak, en Palestine ou dans bien
d’endroits ailleurs.
Quant à nous réunis ici, nous devons continuer à
rappeler la responsabilité des intellectuels,
journalistes, activistes des droits de l’homme
et démocrates de tout bord de devoir sans cesse
dénoncer les misères et les violences qui se
commettent dans le monde en notre nom,
contribuer à briser le silence et le mensonge, y
compris autour des attentats du 11-Septembre,
afin d’établir la vérité qui nous a été cachée
jusqu’à ce jour et dont les détenus de
Guantanamo ne sont qu’une minime partie de leurs
dégâts collatéraux.
Mot d’ouverture à la Conférence-débat au 9ème
anniversaire de Guantanamo organisée par la
Coordination internationale pour la fermeture de
Guantanamo, à Paris le 8/01/2011
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