Les scènes incroyables qui se sont déroulées
cette semaine dans une clinique gynécologique
obstétrique de la périphérie sud de Beyrouth ont
placé une nouvelle fois sous les projecteurs
l’action du Tribunal spécial des Nations-Unies
pour le Liban (TSL), créé pour mener l’enquête
sur l’assassinat de Rafiq Hariri.
L’assassinat de Hariri a servi seulement les
intérêts des USA et d’Israël.
Les enquêteurs du TSL se sont présentés à la
clinique de la docteure Iman Charara en exigeant
qu’il leur soit donné accès aux dossiers des
patientes en remontant jusqu’à 2003. Plus
précisément, ils voulaient les adresses et les
téléphones de 17 d’entre elles.
La présence des enquêteurs du TSL dans la
clinique de la doctoresse a semé le trouble
parmi les femmes qui attendaient pour leur
rendez-vous. D’autres femmes sont arrivées de
cliniques extérieures et une altercation a
éclaté. Finalement, les enquêteurs ont été mis
dehors, mais après qu’ils aient pu s’emparer
d’un ordinateur, d’un porte-documents, de
téléphones portables et de livres de comptes.
Cet épisode soulève de nouvelles interrogations
sur le rôle du TSL. La périphérie sud de
Beyrouth est à majorité chiite et beaucoup des
patientes de la clinique de la Dre Charara sont
des épouses, des filles ou des mères de
dirigeants du Hezbollah. Ce que le TSL espérait
y trouver, il reste le seul à le savoir.
La demande d’informations sur des dossiers
médicaux contrevient au principe de
confidentialité entre médecin et patient et ce
dans tous les pays, elle ne serait jamais
autorisée ni aux Etats-Unis ni dans aucun pays
d’Europe, et si elle l’était, ce serait par
exception dans le cadre d’une exécution obtenue
d’un tribunal. Au Liban, cette demande n’était
même pas faite par un organisme gouvernemental
mais par une organisation extraterritoriale qui
s’est présentée à la clinique avec rien d’autre
que l’autorité des Nations-Unies. La demande
était d’autant plus scandaleuse qu’elle se
faisait dans un milieu de culture musulmane
conservatrice. L’homme musulman ne permet même
pas à sa femme de consulter un médecin homme. La
plupart des femmes musulmanes ne veulent être
examinées que par des doctoresses et cette
intrusion d’hommes dans une clinique
gynécologique était par elle-même indiscrète et
indélicate.
Dans un discours prononcé immédiatement après
les faits, Hasan Nasrallah a appelé au boycott
total du TSL
(*).
Il a déclaré que le TSL avait demandé, et
obtenu, l’accès à la base de données de tous les
étudiants (libanais et étrangers) des
universités privées du Liban de 2003 à 2006,
mais en laissant ouverte la question de savoir
si les dossiers des étudiants des universités
publiques avaient également été remis au TSL. Il
dit aussi qu’il avait été demandé des
indications détaillées sur les empreintes
digitales et les passeports de tous les
ressortissants libanais, mais qu’en raison d’un
différend entre responsables du gouvernement,
seules les données concernant 893 personnes
avaient été livrées. Le TSL a également demandé
tous les dossiers de télécommunications
notamment les messages SMS, ainsi que les
dossiers ADN tenus par les organismes
gouvernementaux, les relevés topographiques
couvrant tout le pays et même la liste des
abonnés à l’électricité. Selon Nasrallah, il n’y
a aucun secteur du Liban qui n’ait été investi
par le TSL. Il affirme, en outre, que tout le
matériel récupéré par le TSL a été transmis à
des services de renseignements occidentaux et à
Israël. Si on se base sur la transmission,
notoire, à Israël des informations rassemblées
par les équipes des Nations unies chargées
d’inspecter l’armement en Iraq, dans les années
1990, il n’y a aucune raison de douter que ce
qu’il a dit ne puisse être vrai.
Le Liban est une fois encore devenu le point
central d’une lutte de pouvoir, mondiale et
régionale. Avec d’un côté, l’association
inhabituelle de la Syrie et de l’Arabie
saoudite, essayant de préserver la stabilité
entre sunnites, chiites et chrétiens, et de
l’autre, Israël et les Etats-Unis, faisant de
leur mieux pour détruire le Hezbollah en
déstabilisant le Liban. L’accusation des membres
du Hezbollah est l’arme de pointe de leur
arsenal.
Depuis le début, des questions se posent sur le
rôle du TSL - que certains voient comme à
l’opposé en réalité de son rôle officiel. Le
rapport du premier procureur, Detlev Mehlis, n’a
été qu’une critique virulente, une grotesque
parodie de l’enquête qu’il aurait fallu
conduire. Il n’a même pas essayé de prendre en
compte tous les suspects possibles, ce qui,
naturellement, aurait inclus les Etats-Unis et
Israël. Il est allé droit sur la Syrie. Sa
« preuve » se basait principalement sur la
spéculation et des relations douteuses. Où son
rapport a eu quelque apparence de solidité,
c’est dans les traces des appels sur les
téléphones portables de ceux qui étaient
supposés impliqués dans l’assassinat de Hariri.
Sur cette base, quatre responsables libanais des
renseignements et de la sécurité ont été
poursuivis et emprisonnés pendant quatre ans,
pour n’être libérés que lorsqu’ils furent
transférés de sous la garde du gouvernement
libanais à celle du TSL, parce que la preuve
n’avait pas résisté. C’est à ce moment que le
TSL a tourné son attention vers le Hezbollah.
Il s’est avéré alors que, soit le TSL a été
abusé par des faux témoins, soit il les a
utilisés contre la Syrie. Il s’est avéré encore
qu’Israël, à l’époque où Hariri a été assassiné,
avait infiltré les réseaux des deux principaux
fournisseurs du Liban en télécommunications et
qu’il avait ses propres agents au sein de ces
organisations. Cette infiltration n’a pas
seulement permis à Israël de contrôler tous les
appels sur portables au Liban mais d’en
fabriquer, et à partir de là, toutes les preuves
issues des communications, rassemblées par le
TSL, doivent être considérées comme viciées. En
outre, le Hezbollah a récemment rendu publiques
ses interceptions de la surveillance aérienne
israélienne, montrant que Hariri avait été suivi
lors de ses déplacements entre ses domiciles à
Beyrouth Ouest et dans les montagnes, et le
siège du Parlement et ce, jusqu’au jour de son
assassinat. Cette surveillance s’opérait
notamment quand il circulait sur cette route
côtière où il est tombé dans le piège qu’on lui
avait tendu. Nasrallah affirme également qu’un
avion Awacs israélien tournait au-dessus de
Beyrouth Ouest au moment de l’assassinat et
qu’un agent israélien, qui par la suite a fui le
pays, était effectivement sur les lieux quand la
bombe a explosé.
Les prétentions du TSL à la crédibilité et à
l’impartialité sont clairement remises en causes
- fatalement selon beaucoup - par son recours à
des faux témoins et les preuves venant d’un
système de communications déstabilisé. Pourtant,
ces questions, il ne les aborde pas. Ni la
preuve manifeste qu’Israël a gardé sous sa
surveillance les déplacements de Hariri dans
Beyrouth Ouest jusqu’à sa mort, et
qu’effectivement, Israël avait un agent sur les
lieux de l’attentat. Faisant fi de tout cela, le
tribunal va directement sur le Hezbollah, en
sachant parfaitement que sa mise en accusation
peut amener le pays à se déchirer. Que la preuve
se fonde une fois encore sur des faux témoins,
pour lui ce n’est pas la question, parce que
quand la vérité sera établie, les dégâts auront
été causés.
De hauts responsables US, dont Hillary Clinton,
ont fait de nombreuses visites au Liban ces
derniers mois. Naturellement, ils ont mijoté
quelque chose. Ils veulent la tête du Hezbollah,
sur un plateau, et le plus vite possible. Le
Libanais qui penserait qu’ils veulent le bien du
Liban serait un idiot. Incapable d’anéantir le
Hezbollah par la guerre, la stratégie
israélo-américaine vise maintenant à le détruire
de l’intérieur, même si le prix, que bien sûr
ils n’auront pas à payer, en est le retour des
troubles au Liban. Leur arme pour cette
agression, c’est le TSL, qui, en refusant de
traiter des questions qui remettent en cause sa
crédibilité, ne fait que renforcer la perception
que, volontairement ou non, il n’est qu’un outil
de la politique des Etats-Unis. L’assassinat de
Hariri, qui a été un coup de maître, n’a servi
que les intérêts des Etats-Unis et d’Israël.
Même si l’identité de la personne qui l’a
assassiné, ou de l’Etat qui a programmé son
assassinat, reste encore inconnue, c’est au
moins, et c’est beaucoup, ce que l’on peut dire
sans se tromper.
Jeremy Salt
est maître de conférences en histoire et
politique du Moyen-Orient à l’université Bilkent
à Ankara, Turquie. Auparavant, il a enseigné à
l’université du Bosphore à Istanbul et à
l’université de Melbourne, au Département des
études et des sciences politiques sur le
Moyen-Orient. Le professeur Salt a écrit de
nombreux articles sur le Moyen-Orient, en
particulier sur la Palestine, et il a été
journaliste pour The Age alors qu’il
habitait Melbourne.
Il a rédigé cet article pour
PalestineChronicle.com.
Palestine Chronicle - le 30 octobre 2010 –
http://www.info-palestine.net/article.php3?id_article=9623
|