La publication par le site WikiLeaks de 400 000
documents confidentiels révélant de mauvais
traitements commis et couverts par l’armée
américaine embarrasse les Etats-Unis et les
autorités iraqiennes, alors que le pays est en
pleine crise politique.
400 000 documents ou 400 000 scandales ?
WikiLeaks a levé le voile cette semaine sur
l’une des affaires les plus embarrassantes pour
l’armée américaine, révélant les cas de mauvais
traitements commis ou couverts par l’armée
américaine lors de la guerre en Iraq. Après des
semaines de suspense, le site spécialisé dans
les renseignements a commencé à diffuser
vendredi soir 391 831 documents qu’il a
présentés comme « la plus grosse fuite de
documents militaires secrets de l’Histoire ».
Les documents mettent en évidence « de nombreux
cas de crimes de guerre qui semblent manifestes
de la part des forces américaines, comme le
meurtre délibéré de personnes qui tentaient de
se rendre », accuse le site dans un communiqué.
WikiLeaks évoque aussi le comportement de
soldats américains « faisant sauter des
bâtiments entiers, parce qu’un tireur se trouve
sur le toit ». Les documents révèlent « plus de
300 cas de tortures et de violences commis par
les forces de la coalition sur des prisonniers
», ajoute WikiLeaks, qui a aussi dénombré plus
d’un millier d’exactions de la part des forces
iraqiennes.
« Ces documents révèlent six années de conflit
avec des détails en provenance du terrain — les
troupes sur place, leurs rapports, ce qu’elles
voyaient, ce qu’elles disaient et ce qu’elles
faisaient », a déclaré sur CNN le fondateur de
WikiLeaks, Julian Assange. Les dossiers iraqiens
détaillent la mort de quelque 104 000 personnes
en 6 ans, à comparer aux 20 000 morts du conflit
en Afghanistan révélés par les précédents
documents dévoilés par WikiLeaks. « On parle de
cinq fois plus de morts en Iraq, un vrai bain de
sang comparé à l’Afghanistan », a-t-il ajouté,
jugeant que « le message de ces dossiers est
puissant et peut-être un peu plus facile à
comprendre que la complexe situation en
Afghanistan ».
Les dossiers révélés par WikiLeaks dévoilent
aussi des détails d’une guerre de l’ombre menée
sur le sol iraqien entre les forces américaines
et l’Iran, notamment l’utilisation par Téhéran
de milices pour tuer ou enlever des Américains.
Les allégations selon lesquelles l’Iran
entraînerait et armerait des milices chiites en
Iraq ne sont cependant pas nouvelles, et les
responsables américains, dont des commandants
militaires, accusent depuis longtemps Téhéran de
tenter de diffuser la violence pour saper
l’influence des Etats-Unis et affaiblir leurs
alliés à Bagdad. Les documents décrivent aussi
la manière dont l’Iran a armé et a entraîné des
escadrons de la mort formés d’Iraqiens, pour
qu’ils mènent des attaques contre les troupes de
la coalition et des responsables
gouvernementaux. Le corps iranien d’élite des
Gardiens de la révolution est soupçonné d’y
avoir joué un rôle crucial, selon les journaux,
citant les documents.
Depuis ces révélations, la pression ne cesse de
s’accentuer sur les Etats-Unis. Le Conseil de
Coopération du Golfe (CCG) a appelé, lundi,
Washington à enquêter sur d’éventuels « crimes
contre l’humanité » en Iraq, à la suite de la
publication par WikiLeaks de documents secrets
américains. Le rapporteur spécial de l’Onu sur
la torture, Manfred Nowak, a appelé le président
américain Barack Obama à lancer une enquête. «
Je me serais attendu à ce que (ce genre
d’enquête) soit lancée depuis déjà longtemps,
car le président Obama est arrivé au pouvoir en
promettant le changement ... Le président Obama
a l’obligation de traiter les cas passés »,
a-t-il estimé samedi sur la BBC. Amnesty
International a elle aussi appelé Washington à
lancer une enquête, évoquant « une grave
violation du droit international ».
La secrétaire d’Etat américaine, Hillary
Clinton, tout en refusant d’entrer dans les
détails de ces révélations, a condamné la fuite
de tout document pouvant mettre en danger « la
vie des soldats et des civils des Etats-Unis et
de leurs alliés ». Côté iraqien, les autorités
ont simplement affirmé samedi que les documents
secrets américains sur de nombreux cas de
torture et de meurtres de civils durant la
guerre en Iraq ne contenaient « pas de surprise
».
Maliki dans de beaux draps
Si ces révélations embarrassent les Etats-Unis,
elles risquent aussi d’avoir un effet négatif
sur le premier ministre sortant Nouri Al-Maliki.
Car le premier ministre est, selon la
Constitution, commandant en chef des forces
armées. Pire encore, selon des documents cités
par Al-Jazeera, Nouri Al-Maliki aurait eu des
liens avec des « escadrons de la mort » qui
semaient la terreur au début du conflit. Les
partisans de M. Maliki sont convaincus que les
révélations visent à déstabiliser l’actuel chef
du gouvernement qui se bat pour se maintenir au
pouvoir pour un second mandat. « Il s’agit d’une
campagne médiatique contre l’Etat, et le
processus politique menée par plusieurs groupes
comme les baassistes, des forces régionales et
certains qui ont été lésés par la nouvelle donne
politique », depuis 2003, a affirmé à l’AFP le
député Hassan Al-Sinaïd, un proche du premier
ministre. Le bureau de Maliki avait réagi dès
samedi en déclarant qu’il « y avait des
objectifs politiques derrière cette campagne
médiatique ». « Certains cherchent à utiliser
ces documents contre les dirigeants nationaux,
notamment le premier ministre », avait-il
souligné.
Les opposants de M. Maliki l’accusent depuis
longtemps d’avoir créé, au sein des forces de
sécurité, après sa nomination comme chef du
gouvernement en 2006, en plein conflit
confessionnel, des unités chargées de faire les
sales besognes, notamment des liquidations.
Suite à ces développements, la Cour suprême
irakienne a ordonné dimanche de désigner au plus
vite les plus hauts responsables de l’Etat, près
de huit mois après les élections législatives et
au moment où la crise politique s’approfondit
avec les révélations de WikiLeaks. « La Cour
suprême, dans une décision prise aujourd’hui,
enjoint le Parlement de tenir des réunions
régulières et d’accomplir son travail normal. Il
doit commencer par choisir son président et ses
deux adjoints, puis procéder, étape par étape,
aux autres nominations », a affirmé à l’AFP son
porte-parole Abdel-Sattar Bereqdar.
Une décision qui intervient alors que la crise
s’éternise. M. Maliki et son adversaire Iyad
Allawi sont toujours en compétition pour former
un gouvernement. Le premier a obtenu 89 sièges
et le second 91 dans un Parlement qui compte 325
députés.
Source : Al-Ahram Hebdo - Mercredi 27 octobre
2010