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2010-11-04

Le rapport de la honte - Abir Taleb 

 

 


La publication par le site WikiLeaks de 400 000 documents confidentiels révélant de mauvais traitements commis et couverts par l’armée américaine embarrasse les Etats-Unis et les autorités iraqiennes, alors que le pays est en pleine crise politique.
400 000 documents ou 400 000 scandales ?

WikiLeaks a levé le voile cette semaine sur l’une des affaires les plus embarrassantes pour l’armée américaine, révélant les cas de mauvais traitements commis ou couverts par l’armée américaine lors de la guerre en Iraq. Après des semaines de suspense, le site spécialisé dans les renseignements a commencé à diffuser vendredi soir 391 831 documents qu’il a présentés comme « la plus grosse fuite de documents militaires secrets de l’Histoire ». Les documents mettent en évidence « de nombreux cas de crimes de guerre qui semblent manifestes de la part des forces américaines, comme le meurtre délibéré de personnes qui tentaient de se rendre », accuse le site dans un communiqué. WikiLeaks évoque aussi le comportement de soldats américains « faisant sauter des bâtiments entiers, parce qu’un tireur se trouve sur le toit ». Les documents révèlent « plus de 300 cas de tortures et de violences commis par les forces de la coalition sur des prisonniers », ajoute WikiLeaks, qui a aussi dénombré plus d’un millier d’exactions de la part des forces iraqiennes.

« Ces documents révèlent six années de conflit avec des détails en provenance du terrain — les troupes sur place, leurs rapports, ce qu’elles voyaient, ce qu’elles disaient et ce qu’elles faisaient », a déclaré sur CNN le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange. Les dossiers iraqiens détaillent la mort de quelque 104 000 personnes en 6 ans, à comparer aux 20 000 morts du conflit en Afghanistan révélés par les précédents documents dévoilés par WikiLeaks. « On parle de cinq fois plus de morts en Iraq, un vrai bain de sang comparé à l’Afghanistan », a-t-il ajouté, jugeant que « le message de ces dossiers est puissant et peut-être un peu plus facile à comprendre que la complexe situation en Afghanistan ».

Les dossiers révélés par WikiLeaks dévoilent aussi des détails d’une guerre de l’ombre menée sur le sol iraqien entre les forces américaines et l’Iran, notamment l’utilisation par Téhéran de milices pour tuer ou enlever des Américains. Les allégations selon lesquelles l’Iran entraînerait et armerait des milices chiites en Iraq ne sont cependant pas nouvelles, et les responsables américains, dont des commandants militaires, accusent depuis longtemps Téhéran de tenter de diffuser la violence pour saper l’influence des Etats-Unis et affaiblir leurs alliés à Bagdad. Les documents décrivent aussi la manière dont l’Iran a armé et a entraîné des escadrons de la mort formés d’Iraqiens, pour qu’ils mènent des attaques contre les troupes de la coalition et des responsables gouvernementaux. Le corps iranien d’élite des Gardiens de la révolution est soupçonné d’y avoir joué un rôle crucial, selon les journaux, citant les documents.

Depuis ces révélations, la pression ne cesse de s’accentuer sur les Etats-Unis. Le Conseil de Coopération du Golfe (CCG) a appelé, lundi, Washington à enquêter sur d’éventuels « crimes contre l’humanité » en Iraq, à la suite de la publication par WikiLeaks de documents secrets américains. Le rapporteur spécial de l’Onu sur la torture, Manfred Nowak, a appelé le président américain Barack Obama à lancer une enquête. « Je me serais attendu à ce que (ce genre d’enquête) soit lancée depuis déjà longtemps, car le président Obama est arrivé au pouvoir en promettant le changement ... Le président Obama a l’obligation de traiter les cas passés », a-t-il estimé samedi sur la BBC. Amnesty International a elle aussi appelé Washington à lancer une enquête, évoquant « une grave violation du droit international ».

La secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, tout en refusant d’entrer dans les détails de ces révélations, a condamné la fuite de tout document pouvant mettre en danger « la vie des soldats et des civils des Etats-Unis et de leurs alliés ». Côté iraqien, les autorités ont simplement affirmé samedi que les documents secrets américains sur de nombreux cas de torture et de meurtres de civils durant la guerre en Iraq ne contenaient « pas de surprise ».

 

Maliki dans de beaux draps

Si ces révélations embarrassent les Etats-Unis, elles risquent aussi d’avoir un effet négatif sur le premier ministre sortant Nouri Al-Maliki. Car le premier ministre est, selon la Constitution, commandant en chef des forces armées. Pire encore, selon des documents cités par Al-Jazeera, Nouri Al-Maliki aurait eu des liens avec des « escadrons de la mort » qui semaient la terreur au début du conflit. Les partisans de M. Maliki sont convaincus que les révélations visent à déstabiliser l’actuel chef du gouvernement qui se bat pour se maintenir au pouvoir pour un second mandat. « Il s’agit d’une campagne médiatique contre l’Etat, et le processus politique menée par plusieurs groupes comme les baassistes, des forces régionales et certains qui ont été lésés par la nouvelle donne politique », depuis 2003, a affirmé à l’AFP le député Hassan Al-Sinaïd, un proche du premier ministre. Le bureau de Maliki avait réagi dès samedi en déclarant qu’il « y avait des objectifs politiques derrière cette campagne médiatique ». « Certains cherchent à utiliser ces documents contre les dirigeants nationaux, notamment le premier ministre », avait-il souligné.

Les opposants de M. Maliki l’accusent depuis longtemps d’avoir créé, au sein des forces de sécurité, après sa nomination comme chef du gouvernement en 2006, en plein conflit confessionnel, des unités chargées de faire les sales besognes, notamment des liquidations.

Suite à ces développements, la Cour suprême irakienne a ordonné dimanche de désigner au plus vite les plus hauts responsables de l’Etat, près de huit mois après les élections législatives et au moment où la crise politique s’approfondit avec les révélations de WikiLeaks. « La Cour suprême, dans une décision prise aujourd’hui, enjoint le Parlement de tenir des réunions régulières et d’accomplir son travail normal. Il doit commencer par choisir son président et ses deux adjoints, puis procéder, étape par étape, aux autres nominations », a affirmé à l’AFP son porte-parole Abdel-Sattar Bereqdar.

Une décision qui intervient alors que la crise s’éternise. M. Maliki et son adversaire Iyad Allawi sont toujours en compétition pour former un gouvernement. Le premier a obtenu 89 sièges et le second 91 dans un Parlement qui compte 325 députés.

 

Source : Al-Ahram Hebdo - Mercredi 27 octobre 2010

 

 

 

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