Mardi 31 août 2010, officiellement, le président
des Etats-Unis a «mis fin aux opérations de
combats» en Irak. Obama déclarait à cette
occasion: «C'est dans ce bureau que le président
Bush a annoncé le début des opérations
militaires en Irak, voici sept ans et demi.
(...)
Ce soir, je déclare que les missions de combat
américaines sont terminées.
C'est la fin de l'opération «Liberté en Irak.»
Le nombre de soldats a été réduit à 50’000.
Le retrait définitif devrait – le conditionnel
est de rigueur – intervenir en 2011.
Les troupes états-uniennes devraient demeurer en
Irak, avec pour mission, selon Barack Obama, de
«poursuivre les restes d'Al-Qaïda, protéger les
services américains et, alors que les Irakiens
feront des progrès politiques, d'entraîner les
forces de sécurité irakiennes».
Obama a moins insisté sur le déplacement des
troupes états-uniennes vers l’Afghanistan.
La «stratégie de sortie» de ce pays, annoncée en
mars 2009, a du plomb dans l’aile. Suite au
limogeage, en juin 2010, du général Stanley
McChrystal et son remplacement par un ancien de
l’Irak, le général David Petraeus, le général
français Vincent Desportes ne faisait pas dans
la nuance: «La situation n'a jamais été pire. La
doctrine de contre-insurrection traditionnelle,
telle que l'a engagée McChrystal depuis un an,
avec un usage restreint de l'ouverture du feu,
des moyens aériens et de l'artillerie pour
réduire les dommages collatéraux, ne semble pas
fonctionner.» (Le Figaro, 8 juillet 2010). Le 4
juillet 2010, Petraeus jugeait la situation
«fort critique».
Compter sur un gouvernement solide à Kaboul, sur
un affaiblissement militaire substantiel des
talibans, sur une collaboration étroite comme
efficace avec l’armée pakistanaise, voilà trois
piliers vermoulus d’une stratégie. Le calendrier
de la Maison Blanche risque de n’être pas
respecté. Les premiers signaux sont déjà lancés.
La population afghane, elle, connaît les affres
de celle de l’Irak.
Hormis le spectacle donné par Obama dans son
nouveau «bureau ovale», il reprenait un
engagement formel et un accord que G.W. Bush
avait dû signer en novembre 2008, sous la
pression d’une impasse de plus en plus tangible:
un accord SOFA (Status of Forces Agreement).
C’est-à-dire, un accord réglant juridiquement –
après l’échec du «rétablissement de la
démocratie», de la
«reconstruction d’une nation» arguments
utilisés depuis le XIXe siècle afin de justifier
les opérations coloniales – la présence des
troupes américaines, en l’occurrence, dans un
pays étranger, dans ce cas l’Irak. Obama n’a
rien inventé. Il a simplement ajusté cet accord
SOFA. Rien d’historique.
Une guerre qui n’est pas terminée
Le 23 août 2010, le vice-président Joe Biden
déclarait devant le Congrès des «Veterans of
Foreign Wars» – «Les anciens combattants des
guerres à l’étranger» : «C’est la politique, pas
la guerre, qui a détruit l’Irak». Joe Biden met
l’accent sur la création d’une «force de
sécurité irakienne» de 650'000 hommes, «prenant
la tête de la défense et de la protection du
pays».
Le 31 août 2010, au son des flonflons – dans les
murs mêmes du plus grand palais de Saddam
Hussein, couverts de drapeaux états-uniens et
irakiens – les généraux obéissant (?) à
l’administration démocrate organisaient la
transition de l’ «Operation Iraqi Freedom» à
l’«Operation New Dawn». En français «L’opération
aube nouvelle». On rêve.
La «violence» diminue selon Biden, même si «les
derniers jours les attaques se sont multipliés».
Il ne faudrait pas oublier que la première
guerre (attaque aérienne dès janvier 1991), puis
les sanctions, puis la guerre de 2003, puis
l’occupation ont plongé l’Irak dans le chaos. La
société n’a cessé, depuis lors, de se déliter.
Cinq mois après les élections de mars 2010, le
gouvernement n’est toujours pas en place. Les
«conflits d’influences», les luttes entre de
multiples «réseaux de pouvoir» dominent, sur un
arrière-fond d’affrontements pour le contrôle,
direct ou indirect, des ressources pétrolières
et aussi pour l’obtention de diverses rentes
locales ou régionales, liées à un clientélisme
labyrinthique. A cela s’ajoutent les
détournements des «fonds d’aide». Ils tombent
certes dans les proches de sociétés
occidentales, mais aussi des «chefs» irakiens.
On est loin d’une nouvelle «aube», d’une
«nouvelle aurore».
Anthony Cordesman écrivait dans une étude du
Center for Strategic and International Studies
(csis.org), le 18 août 2010, que «la guerre
d’Irak n’est pas terminée, et elle n’est pas
gagnée».
La situation actuelle est certes différente,
mais en substance aussi critique qu’en 2003. Ne
serait-ce que sous l’impact de: 1° la crise
socio-économique mortifère; 2° cette «guerre
civile» de basse intensité qui se poursuit sur
fond de chapelets d’alliances et heurts entre
«chefferies» reflétant le morcellement du pays
et de la société; 3° la crise structurelle de
direction politique du pays ; 4° des
interventions de divers pays pas (Iran) ou mal
contrôlés par les Etats-Unis et/ou jouant leur
propre carte, tout en étant un allié officiel de
Washington (de l’Arabie Saoudite à la Turquie);
5° une exploitation des champs pétroliers très
éloignée de leur potentiel effectif et donc de
la «rente» envisagée en 2004-2005 ; 6° du
«danger» pour le Etats-Unis que la Chine prenne
une place de choix, demain, dans l’extraction du
pétrole irakien. En effet, la Chine a passé un
contrat de 3 milliards de dollars pour le champ
pétrolier d’Ahdab dans la province de Wasit
(sud-est) et, en alliance avec BP, China
National Petroleum Corporation a obtenu un autre
contrat afin d’exploiter le champ de Rumaillah.
Cordesman conclut, dès lors, qu’un délai de 5 à
10 ans, au minimum, est nécessaire «pour obtenir
une relative sécurité et stabilité».
Le «retrait des troupes» relève d’une formule de
relation publique. Les 50'000 soldats sont
rebaptisés «Brigades de conseils et
d’assistance». Sur la chaîne de télévision CNN,
le 22 août 2010, le général Ray Odierno, patron
des troupes états-uniennes en Irak sur le
départ, répondait sobrement à la question de
savoir si ce «retrait» marquait la fin des
combats: «Non». Il avançait la date de 2020 pour
un possible retrait. A «ses» soldats, il faut
ajouter des dizaines de milliers «d’hommes
assurant la sécurité» – des mercenaires – qui
sont sous contrat avec des «firmes de sécurité».
Selon le New-York Times du 19 août 2010, le
Département d’Etat (Hillary Clinton) envisage de
doubler ses propres «gardes privés», en vue de
développer un réseau de surveillance, avec
radars, drones, forces d’interventions rapides.
Un coup d’œil dans le rétroviseur
Cette guerre pas terminée dure depuis sept ans.
Elle continuera. Ses formes et modalités ont
changé et vont encore changer. Le nombre de
soldats états-uniens tués: 4416. Le nombre
d’Irakiens tués et décédés suite aux guerres et
surtout à leurs «effets collatéraux»: plus d’un
million. Ces chiffres doivent être retenus
lorsque des médias et analystes parlent de
«rétablissement de la démocratie» et de lutte
«pour les droits humains».
L’Irak était et est un objectif géo-stratégique
ainsi que pétrolier pour les Etats-Unis. Le
porte-parole du Département d’Etat, Philippe
Crowley, sur Fox News, le 19 août 2010,
déclarait: «Nous avons lourdement investi en
Irak et nous devons tout faire pour préserver
cet investissement afin d’intégrer l’Irak, avec
les pays voisins, afin d’aboutir à une situation
beaucoup plus pacifiée qui serve leurs intérêts,
aussi bien que nos intérêts».
Avec un regard un peu plus historique, la guerre
contre l’Irak – de fait contre sa population –
dure depuis 1991. Les «esprits» journalistiques
semblent cryogénisés.Antérieurement, le régime
dictatorial de Saddam Hussein a été massivement
soutenu, militairement et financièrement
(crédits d’armement, entre autres), par les
principaux pays impérialistes: des Etats-Unis à
la Grande-Bretagne, en passant par la France. Un
soutien dynamique pour permettre une guerre de
huit ans contre l’Iran, terrifiante pour les
populations et les soldats. Le régime chiite de
Khomeini apparaissait, alors, comme le danger
majeur pour les monarchies pétrolières du Golfe,
très proches aux Etats-Unis. Cette aide
militaire massive va conduire à un endettement
du régime de Saddam Hussein. La dette dépassait
les revenus issus de la rente pétrolière. La
nationalisation du pétrole datait de 1973. La
rente tirée non seulement a été mal gérée, mais
a été utilisée selon les exigences d’un régime
de plus en plus autocratique et dictatorial.
La situation financière était si dégradée, fin
des années 1980, qu’elle pouvait faire basculer
le régime dans les filets des agences
financières internationales, telles que le FMI.
Avec ce que cela impliquait comme «ouverture de
l’économie irakienne», donc de perte de contrôle
sur les ressources primaires, et, fort
probablement, de «rétrécissement» – pour ne pas
dire de chute – du pouvoir «clanique» de Saddam
Hussein.
C’est alors que, suite à des provocations du
Koweït – bien établies aujourd’hui – portant sur
les réserves pétrolières frontalières [1], les
troupes du dictateur envahissent la monarchie
fort peu démocratique du Koweït. Saddam Hussein
veut mettre la main sur le coffre-fort
koweïtien, pour réduire la pression de la dette.
Dans cette opération, une sorte de feu vert lui
a été donnée par l’ambassadrice des Etats-Unis,
Madame April Glaspie. Elle lui a laissé
entendre, en 1990, qu’une telle opération ne
susciterait pas de riposte américaine. Par cette
initiative suicidaire, Saddam Hussein révélait
le type d’aveuglement propre à un dictateur de
cette nature, mégalomane autiste. Cet épisode
ressort bien dans l’ouvrage de Pierre-Jean
Luizard, chercheur au CNRS (France), intitulé:
Saddam Hussein: interrogatoire par le FBI
(Inculte Editions, février 2010).
Aujourd’hui, diverses études menées en Irak,
indiquent que, sans l’appui alloué par les
puissances impérialistes occidentales au cours
des années 1980, la position de Saddam Hussein
aurait été beaucoup plus fragile à l’intérieur
de l’Irak. Le régime était de plus en plus
isolé.
En outre, l’arsenal constitué grâce à l’aide
occidentale s’est transformé en un argument de
propagande militaire pour justifier cette
guerre. Ne «disposait-il pas d’armes de
destruction massives» ? Tony Blair le laisse
encore entendre dans sa toute récente opération
financière concrétisée par la publication de ses
mémoires intitulées: The Journey.
Obama entre le chômage et la guerre
La représentation donnée dans le «bureau oval»
par Obama camoufle la situation dans laquelle se
trouvent plongés, en Afghanistan et en Irak, les
Etats-Unis ainsi que l’administration démocrate.
Elle possède, peut-être, une charge de
propagande qui se veut efficace – en fait, assez
affligée – avant les élections de mi-mandat, le
2 novembre 2010. Ces dernières se dérouleront
dans un climat de morosité économique et
d’explosion du chômage, entre autres de longue
durée. La baisse des salaires pour celles et eux
qui trouvent un nouvel emploi, souvent précaire,
est relevée par toute la presse économique.
Les sondages placent Obama au plus bas depuis 18
mois: selon la chaîne NBC, 62% des personnes
interrogées pensent qu’Obama s’est engagé sur
une fausse voie dans divers domaines.
La droite républicaine et des forces hors de
l’appareil républicain construisent un secteur
très «droitisé» de ladite opinion publique. Les
dernières analyses sociologiques montrent qu’un
cinquième des participants au mouvement
protéiforme «Tea Party» ont des revenus de
100'000 dollars par an. Mais 72% disposent de
50'000 dollars. Un revenu qui n’est certes pas
celui des couches salariées très moyennement
rétribuées aux Etats-Unis. Toutefois, ces
couches présentes dans des regroupements vivaces
réactionnaires ne constituent par la strate
supérieure, pour reprendre une classification
propre à la sociologie américaine. Cependant,
elles occupent une place significative dans la
dialectique politico-médiatique actuelle,
quelque deux mois avant les élections.
De plus, le mouvement «Tea Party» est
subventionné par quelques grandes fortunes,
comme l'a rapporté le magazine The New Yorker:
le plus connu, Rupert Murdoch, magnat des médias
(Fox News). Mais aussi – ce qui a étonné des
«libéraux» de New-York – les frères David et
Charles Koch, parmi les premières fortunes des
Etats-Unis. Ils contrôlent des raffineries en
Alaska, Texas, Minnesota, des milliers de
kilomètres d'oléoducs, les textiles synthétiques
Lycra (sous-produit du pétrole). Ils s'opposent
à toutes les mesures visant à réglementer, un
tant soit peu, l'industrie pétrolière et les
émissions de CO2. Cette opposition – qui a
d'autres appuis, certes – est un des facteurs
expliquant le blocage de la plus que modérée
Energy Bill d'Obama. Le «Tea Party», sur ce
terrain, leur est utile.
La confusion suscitée par la politique
bipartisane d’Obama – faite de concessions
permanentes, au rabais, au nom d’un réalisme
pragmatique – facilite la tâche de diverses
forces ultra-réactionnaires.
Une politique plus déterminée – ne serait-ce que
de type semi-keynésien bourgeois – est, de fait,
réclamée par des couches populaires durement
frappées par la crise sociale. Y compris, par
une partie de celles et ceux attirés par des
mouvements du genre «Tea Party». Des enquêtes
révèlent qu’une partie d’entre eux attend une
action de l’état, au moins à l’échelle de leur
«Etat» (canton). Dans des régions comme la
Californie, les organisations charitables ont vu
exploser par trois ou quatre le nombre de
personnes qu’elles nourrissent ou abritent.
Elles ne peuvent plus faire face.
Un pays dévasté
Pour revenir à la situation en Irak, elle semble
fort complexe, pour utiliser un euphémisme.
Myriam Benraad, chercheuse au CERI, sur le site
Mediapart, explique à propos de «l’échec
militaire et politique américain»: «Il y a
plusieurs dimensions. Les Etats-Unis se sont un
peu naïvement appuyés sur les tribus qui, à
l'époque, vu la lassitude de la population face
aux exactions d'Al-Qaïda, avaient emporté un
certain succès. Mais en contrepartie, elles ont
été lourdement armées et financées. Fin 2008, il
y a eu un essai de transfert de ces forces
tribales vers le gouvernement, les tribus
demandant leur intégration aux nouvelles forces
de sécurités, ce qui a été très limité, avec des
salaires versés au compte-gouttes. Cela a incité
un certain nombre de membres, de ce que l'on
appelle le «conseil du réveil», à rejoindre les
rangs du soulèvement. Dans certaines provinces
d'Irak, des conseils ne reçoivent plus aucune
rémunération, et ce depuis plusieurs mois. En
retour, ils sont payés par Al-Qaïda.
Dans le même temps, les succès des nouvelles
forces de sécurité ont surtout été dus au
soutien américain, financier ou logistique. Or,
depuis le transfert de responsabilité au sein du
gouvernement, ces forces manquent de moyens,
comme on peut le voir lorsque l'on examine le
budget adopté en février dernier. On soupçonne
en outre une partie de ces forces d'être restées
proches de leurs anciennes milices, et il n'y a
pas vraiment d'esprit de corps.
Et puis, il y a le contexte politique, avec
l'absence d'un Etat fonctionnel et de directives
claires. Le double échec des Américains, c'est
d'avoir confondu depuis 2003 le changement de
régime et la destruction de l'Etat irakien. Cela
a débuté très tôt, avec le démantèlement de
l'armée, les campagnes de «débaassification».
Sept années après, l'Etat n'a pas réussi à se
reconstruire, et la classe politique irakienne
est totalement déchirée, dans l'incapacité de
recréer un pacte national.
La stratégie américaine n'a cessé de changer, et
a été essentiellement conjoncturelle. C'est le
manque de vision depuis 2003 qui a précipité
l'échec.» On peut discuter cette analyse.
Toutefois, un fait est certain. Myriam Benraad
le met bien en lumière: « Le citoyen ordinaire
vit dans un grand dénuement, n'a ni
l'électricité ni l'eau courante. Beaucoup
d'Irakiens attestent qu'autant certains progrès
avaient été réalisés en 2007-2008, autant depuis
2009, les choses n'ont fait que se dégrader,
avec des situations sanitaires catastrophiques
dans certains endroits, avec notamment des
épidémies de choléra, des zones complètement
laissées à l'abandon, sans infrastructures. Une
partie des Irakiens en viennent d'ailleurs
clairement à regretter le temps de Saddam
Hussein, où ils mangeaient à leur faim, et
pouvaient emmener leurs enfants à l'école sans
risquer de mourir en route.» Ce qui explique,
selon divers journalistes présents en Irak, que
ce «départ partiel» des troupes des Etats-Unis
n’a pas attiré l’attention des «simples
citoyens» irakiens. La majorité a d’autres
préoccupations.
Une société émiettée
Parfois des analogies sont faites avec le Liban.
Mais, ce type d’analyse oublie que la
«Constitution» de 1941, mis en place par le
général Catroux, a abouti à la création d’un
système de «confessionnalisme politique». Ce
dernier a peu à voir avec le système politique
qu’ont tenté de bâtir les administrations
états-uniennes en Irak. Au-delà des histoires
diverses de ces deux pays, il suffit de faire
référence: à la place géostratégique de l’Irak,
à ses ressources pétrolières, à la question
Kurde, aux forces chiites différentes et à leurs
relations plus ou moins accentuées avec l’Iran.
De plus, la relation spatiale et politique entre
les forces dites confessionnelles et les régions
renvoie au contrôle de richesses, avant tout
pétrolières, mais pas seulement. Il y a l’accès
à des ports (au sud) ou à des routes
d’exportations. Le pétrole de la région Kirkouk
est exporté vers la Turquie, sous le contrôle du
pouvoir régional de Barzani et Talabani. Ils
disent vouloir faire de leur région un Koweït
irakien ! Sans même mentionner, la configuration
présente des «acteurs» politiques et économiques
à l’échelle régionale et mondiale, à un moment
de basculement des rapports de forces
économiques entre certains pays «émergents» et
ceux «des centres».
L’administration américaine, après 2003, a
cherché prendre appui sur les «exclus» du régime
de Saddam Husein, soit les Kurdes et les
chiites, pour simplifier. Ils représentent trois
quarts de la population d’Irak. Sur cette base,
l’administration états-unienne a mis en place un
système parlementaire – nourri par des partis
claniques – et donc des élections. Une certaine
liberté de la presse existe. Des apparences
démocratiques et quelques espaces démocratiques
bourgeois effectifs ont été institués. Cela
ouvre la voie à un jeu d’alliances complexes et
changeant. Comme par exemple, le tournant assez
brutal des forces de Moqtada Al Sadr [2] en
faveur d’un «régime parlementaire» et d’une
alliance avec Iyad Allawi. Un candidat qui
négociait, auparavant, un accord avec Nouri al-Maliki.
Il va sans dire que ces «partis-clans-mafia» ont
peu à voir avec la «démocratie parlementaire»
présentée sur papier glacé par Washington et ses
alliés. D’autant plus que le fonctionnement même
de la «démocratie parlementaire» en Europe et
aux Etats-Unis inclut des pratiques certes plus
policées et réglementées, mais qui ne sont pas
sans rappeler les méthodes clientélaires,
corruptrices, d’expropriation du pouvoir dit
«populaire».
Conjointement, des clans et tribus sunnites,
financés et utilisés antérieurement par les
occupants états-uniens, se retournent. Ils
doivent être, certainement, les acteurs de
diverses opérations visant les nouvelles forces
policières irakiennes, entraînées par les
occupants (militaires ou mercenaires).
Quant à la question de la sécurité, présentée
comme s’améliorant depuis 2006-2007, une
précision est nécessaire. Dans une conurbation
comme celle de Bagdad, au cours des dernières
années, s’est produite une séparation spatiale
des «communautés», une sorte de géographie
urbaine confessionnelle. Cela réduit les flux de
populations au sein de Bagdad et «favorise» la
sécurité, mais simultanément le morcellement de
la société. Les quartiers mixtes sont réduits
comme peau de chagrin. La statistique des
attaques est donc plus modeste. Cependant elle
n'est pas le fruit d’une avancée politique et
sociale. La fragmentation de la société – qui
elle se situe dans un cadre national irakien, à
l’exception des Kurdes – est ascendante. Les
représentants politiques – qui s’exercent au jeu
parlementaire dans la «zone verte»,
ultraprotégée – tirent leur influence des
accords passés avec une multiplicité des chefs
de tribus et d’intérêts locaux. Un clientélisme
qui absorbe des millions de dollars.
La crise de direction politique au sommet est
donc l’autre facette de cette fragmentation du
pays. Un pays dont les infrastructures sont
ruinées, dégradées, détruites. Le quartier de
Sadr City, qui regroupe 2 millions d’habitants,
reste pour l’essentiel privé d’eau potable et,
très souvent, d’électricité. Les Etats-Unis ont
fait une campagne de relation publique sur la
construction d’une usine d’épuration des eaux à
Fallujah, une ville qu’ils avaient détruite en
2004. L’usine n’est pas finie et sa liaison avec
les habitations n’est pas établie ! Mais, ils
ont «apporté la démocratie» et «reconstruit».
Mention n’est pas faite, ici, des effets
sanitaires à long terme (cancer, enfants
naissant gravement handicapés) des bombardements
massifs au sud avec de la munition à l’uranium
appauvri.
On est donc fort éloigné du cirque médiatique
orchestré sur le «départ des troupes de
combats». Et, il serait certainement erroné de
sous-estimer ce que l’impérialisme états-unien
est prêt – entre autres dans cette période de
crise économique – à investir pour maintenir et
développer sa présence militaire dans toute
cette région (au sens large), sous diverses
formes.
Les estimations du géographe et économiste Roger
Stern [3] de l’Université de Princeton sur le
déploiement et le coût d’entretien de la
présence des porte-avions états-uniens dans le
Golfe Persique, de 1976 à 2007, donne une idée
de «l’effort engagé»: 3 trillions de dollars !
L’évolution des dépenses militaires des
Etats-Unis indique qu’elles représentaient 3% du
PIB en 1999 et 4,8% en 2008. En dollars
constants, elles ont passé de 377'228 millions
de dollars en 2000 à 663'255 en 2009
(octobre-octobre), selon la base de données de
l’Institut suédois respecté: le SIPRI (
Stockholm International Peace Research
Institute).
Notes:
(1) Les champs pétroliers «traversent» les
frontières, sous terre ! Il s’agit ici du champ
de Rumaillah qui aurait pu être «pompé» depuis
le Koweït et donc le contrôle ou partage était
disputé.
(2) Voir sur le développement de ce mouvement
l’ouvrage de Patrick Cockburn, Muqtada.
Muqtada al-Sadr, the Shia Revival, and the
Struggle for Iraq, Ed Scribner, 2008.
(3) Roger Stern, United States cost of military
force projection in thePersian Gulf, 1976–2007 ,
in Ernergy Policy, Elsevier, june 2010.
Publié sur le site Alencontre:
www.alencontre.org
3 septembre 2010
Mardi 31 août 2010,