Washington minimise après la publication
par le site WikiLeaks de 400 000 documents
dévoilant les mauvais traitements infligés ou
couverts par l’armée américaine.
Quatre cent mille documents sur la guerre en
Irak sont révélés ce week-end et de
quoi parle-t-on à Washington ?
Des élections de mi-mandat à venir, de la
prochaine fête de Halloween…
La nouvelle «cargaison» d’informations déversée
«comme de l’arrière d’un camion» - l’expression
est de Paul Pillar, un vétéran de la CIA - par
WikiLeaks a fait étonnamment peu de vagues ce
week-end aux Etats-Unis. Dès dimanche, le sujet
était relégué en pages intérieures du Washington
Post et semblait déjà évanoui à la télévision.
La guerre d’Irak a beau se poursuivre, avec 50
000 soldats américains encore déployés là-bas,
pratiquement plus personne n’en parle aux
Etats-Unis et rien n’indique que ces documents,
aussi accablants soient-ils, y changent
grand-chose. «Cette guerre est loin des yeux,
loin des esprits, résume Brian Katulis,
chercheur au Center for American Progress. Et je
ne pense pas que la publication de ces documents
aura beaucoup d’impact sur le débat. Seule une
toute petite frange de la population américaine
ressent le coût humain et financier, de ce
conflit. L’idée générale est que cette guerre
d’Irak appartient au passé.»
«Irresponsabilité».
Ces révélations sont «honteuses» a tout
de même réagi le Pentagone. Ainsi, pour
l’administration Obama, ce ne sont pas les
exactions exposées par ces carnets de guerre
irakiens qui sont «honteuses», ni les
700 civils au moins tués par les troupes
américaines, les milliers d’autres victimes
«collatérales» de la guerre ou les tortures dans
les prisons irakiennes dont les militaires
américains ont eu connaissance sans réagir.
Ce qui est «honteux», selon Geoff Morrell,
porte-parole du Pentagone, c’est la publication
par WikiLeaks de rapports internes à l’armée,
censés rester confidentiels.
Ces carnets de guerre irakiens vont être une
nouvelle «mine» pour les «ennemis» de l’Amérique
et les «organisations terroristes», s’est
indigné Morrell.
La vie des soldats américains, et de leurs
alliés locaux, est mise en danger par ces
révélations, argumente le Pentagone, comme il
l’avait fait déjà cet été après la publication
par WikiLeaks de documents comparables sur la
guerre en Afghanistan.
Tout en dénonçant «l’irresponsabilité» de
WikiLeaks, et en menaçant de poursuites son
fondateur, Julian Assange (lire page 4), le
Pentagone cherche à minimiser l’importance de
ces fuites. «Il s’agit pour l’essentiel
d’instantanés d’événements, tragiques ou
mondains, qui ne racontent pas toute
l’histoire», a assuré Morrell ce week-end.
Les rapports militaires mis en ligne par
WikiLeaks s’étalent de janvier 2004 à
décembre 2009. La plupart des événements,
tueries ou tortures décrits ont donc eu lieu du
temps de George W. Bush. Barack Obama et son
administration se retrouvent, une fois de plus,
à défendre «l’héritage» de son prédécesseur.
«Rien de nouveau».
C’est particulièrement étrange au sujet de la
guerre d’Irak puisque Barack Obama y était
hostile, dès son déclenchement en 2003. Mais
c’est aussi le curieux destin de cette
administration qui, après avoir promis beaucoup
de changements, a dû se placer, sur beaucoup de
dossiers, dans le sillage de Bush. Obama a
maintenu au Pentagone le secrétaire à la
Défense, Robert Gates, dont la conduite de la
guerre en Irak est, jusqu’à ce jour encore,
considérée comme un succès. «Je ne vois pas
dans ces révélations de WikiLeaks ce qui
pourrait beaucoup embarrasser l’administration
Obama, assure Michael O’Hanlon, spécialiste
des questions de sécurité à la Brookings
Institution, un think tank démocrate. Il n’y
a rien là qui soit vraiment nouveau. Il fallait
vraiment ne pas suivre l’actualité ces sept
dernières années pour ne pas être au courant de
ce qu’apporte aujourd’hui WikiLeaks. Je ne pense
pas que le débat américain en sera affecté.»
Pour le journaliste Fred Kaplan, spécialiste des
questions de défense, ces carnets irakiens
montrent même que «les salauds» que le
fondateur de WikiLeaks entend dénoncer «sont
loin d’être tous américains». «La plupart
des décès de civils irakiens ont été causés par
d’autres Irakiens», retient Fred Kaplan,
dans un article publié ce week-end sur le site
Slate. «Et tandis que certains Américains se
sont affreusement comportés envers des détenus
irakiens à la prison d’Abou Ghraïb, les
policiers et soldats irakiens se sont comportés
de façon bien pire encore», poursuit ce
journaliste.
Compensations.
C’est aussi ce qu’a retenu le Premier ministre
irakien, Nouri al-Maliki. Alors qu’il tente
depuis sept mois déjà de former un nouveau
gouvernement, Maliki voit dans ces récits
d’exactions irakiennes «une campagne
médiatique menée par des intérêts politiques»
pour saboter ses efforts. «C’est une campagne
contre l’Etat et le processus politique, menée
par plusieurs groupes comme les baassistes et
des forces régionales», a renchéri le député
Hassan al-Sinaid, proche de Maliki.
En Irak, ces révélations pourraient également
être utilisées par les familles de victimes pour
demander des compensations, voire des comptes, à
l’armée américaine. Quelques cas ont déjà été
pointés par la presse, où l’armée reconnaît dans
ces documents sa responsabilité pour des faits
qu’elle niait auparavant. Mais personne ne
s’attend à une avalanche de réclamations. «La
plupart des choses qui se sont déroulées en Irak
étaient liées à la guerre et pas intentionnelles,
souligne Michael O’Hanlon, de la Brookings
Institution. Oui, il y a eu des négligences,
des bavures, mais il y a très peu de cas où
l’intention était délibérément criminelle.»
«Dangereux».
Rien dans ces carnets irakiens n’est comparable
aux «papiers du Pentagone» qui avaient
révélé les dessous de la guerre du Vietnam en
1971, et contribué à mobiliser l’opinion
américaine contre la guerre, assure aussi cet
expert de la Brookings. «Les papiers du
Pentagone avaient révélé comment le gouvernement
mentait aux Américains, rappelle Michael
O’Hanlon. Ce n’est pas du tout le cas
aujourd’hui avec ces documents de WikiLeaks.»
Daniel Ellsberg, l’analyste militaire qui avait
révélé ces «papiers du Pentagone», fait
pourtant lui-même le lien entre ces deux moments
clés de l’histoire militaire américaine. Agé
aujourd’hui de 79 ans, Ellsberg était samedi à
Londres au côté de Julian Assange pour souligner
l’importance du travail de WikiLeaks.
Assange est maintenant «l’homme le plus
dangereux au monde» l’a félicité Daniel
Ellsberg. Mais face à ce «danger»,
l’administration américaine semble avoir adopté
la tactique qu’elle juge la plus efficace faute
de mieux : ne surtout pas trop en parler.
Source :http://www.liberation.fr/monde/01012298286-