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2010-11-04

Guerre d’Irak : les Etats-Unis face à leurs crimes. Lorraine Milllot

 

  

Washington minimise après la publication par le site WikiLeaks de 400 000 documents dévoilant les mauvais traitements infligés ou couverts par l’armée américaine.

Quatre cent mille documents sur la guerre en Irak sont révélés ce week-end et de quoi parle-t-on à Washington ?

Des élections de mi-mandat à venir, de la prochaine fête de Halloween…

La nouvelle «cargaison» d’informations déversée «comme de l’arrière d’un camion» - l’expression est de Paul Pillar, un vétéran de la CIA - par WikiLeaks a fait étonnamment peu de vagues ce week-end aux Etats-Unis. Dès dimanche, le sujet était relégué en pages intérieures du Washington Post et semblait déjà évanoui à la télévision.

La guerre d’Irak a beau se poursuivre, avec 50 000 soldats américains encore déployés là-bas, pratiquement plus personne n’en parle aux Etats-Unis et rien n’indique que ces documents, aussi accablants soient-ils, y changent grand-chose. «Cette guerre est loin des yeux, loin des esprits, résume Brian Katulis, chercheur au Center for American Progress. Et je ne pense pas que la publication de ces documents aura beaucoup d’impact sur le débat. Seule une toute petite frange de la population américaine ressent le coût humain et financier, de ce conflit. L’idée générale est que cette guerre d’Irak appartient au passé.»

 

«Irresponsabilité».

Ces révélations sont «honteuses» a tout de même réagi le Pentagone. Ainsi, pour l’administration Obama, ce ne sont pas les exactions exposées par ces carnets de guerre irakiens qui sont «honteuses», ni les 700 civils au moins tués par les troupes américaines, les milliers d’autres victimes «collatérales» de la guerre ou les tortures dans les prisons irakiennes dont les militaires américains ont eu connaissance sans réagir.

Ce qui est «honteux», selon Geoff Morrell, porte-parole du Pentagone, c’est la publication par WikiLeaks de rapports internes à l’armée, censés rester confidentiels.

Ces carnets de guerre irakiens vont être une nouvelle «mine» pour les «ennemis» de l’Amérique et les «organisations terroristes», s’est indigné Morrell.

La vie des soldats américains, et de leurs alliés locaux, est mise en danger par ces révélations, argumente le Pentagone, comme il l’avait fait déjà cet été après la publication par WikiLeaks de documents comparables sur la guerre en Afghanistan.

Tout en dénonçant «l’irresponsabilité» de WikiLeaks, et en menaçant de poursuites son fondateur, Julian Assange (lire page 4), le Pentagone cherche à minimiser l’importance de ces fuites. «Il s’agit pour l’essentiel d’instantanés d’événements, tragiques ou mondains, qui ne racontent pas toute l’histoire», a assuré Morrell ce week-end.

Les rapports militaires mis en ligne par WikiLeaks s’étalent de janvier 2004 à décembre 2009. La plupart des événements, tueries ou tortures décrits ont donc eu lieu du temps de George W. Bush. Barack Obama et son administration se retrouvent, une fois de plus, à défendre «l’héritage» de son prédécesseur.

 

«Rien de nouveau». C’est particulièrement étrange au sujet de la guerre d’Irak puisque Barack Obama y était hostile, dès son déclenchement en 2003. Mais c’est aussi le curieux destin de cette administration qui, après avoir promis beaucoup de changements, a dû se placer, sur beaucoup de dossiers, dans le sillage de Bush. Obama a maintenu au Pentagone le secrétaire à la Défense, Robert Gates, dont la conduite de la guerre en Irak est, jusqu’à ce jour encore, considérée comme un succès. «Je ne vois pas dans ces révélations de WikiLeaks ce qui pourrait beaucoup embarrasser l’administration Obama, assure Michael O’Hanlon, spécialiste des questions de sécurité à la Brookings Institution, un think tank démocrate. Il n’y a rien là qui soit vraiment nouveau. Il fallait vraiment ne pas suivre l’actualité ces sept dernières années pour ne pas être au courant de ce qu’apporte aujourd’hui WikiLeaks. Je ne pense pas que le débat américain en sera affecté.»

Pour le journaliste Fred Kaplan, spécialiste des questions de défense, ces carnets irakiens montrent même que «les salauds» que le fondateur de WikiLeaks entend dénoncer «sont loin d’être tous américains». «La plupart des décès de civils irakiens ont été causés par d’autres Irakiens», retient Fred Kaplan, dans un article publié ce week-end sur le site Slate. «Et tandis que certains Américains se sont affreusement comportés envers des détenus irakiens à la prison d’Abou Ghraïb, les policiers et soldats irakiens se sont comportés de façon bien pire encore», poursuit ce journaliste.

 

Compensations. C’est aussi ce qu’a retenu le Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki. Alors qu’il tente depuis sept mois déjà de former un nouveau gouvernement, Maliki voit dans ces récits d’exactions irakiennes «une campagne médiatique menée par des intérêts politiques» pour saboter ses efforts. «C’est une campagne contre l’Etat et le processus politique, menée par plusieurs groupes comme les baassistes et des forces régionales», a renchéri le député Hassan al-Sinaid, proche de Maliki.

En Irak, ces révélations pourraient également être utilisées par les familles de victimes pour demander des compensations, voire des comptes, à l’armée américaine. Quelques cas ont déjà été pointés par la presse, où l’armée reconnaît dans ces documents sa responsabilité pour des faits qu’elle niait auparavant. Mais personne ne s’attend à une avalanche de réclamations. «La plupart des choses qui se sont déroulées en Irak étaient liées à la guerre et pas intentionnelles, souligne Michael O’Hanlon, de la Brookings Institution. Oui, il y a eu des négligences, des bavures, mais il y a très peu de cas où l’intention était délibérément criminelle.»

 

«Dangereux». Rien dans ces carnets irakiens n’est comparable aux «papiers du Pentagone» qui avaient révélé les dessous de la guerre du Vietnam en 1971, et contribué à mobiliser l’opinion américaine contre la guerre, assure aussi cet expert de la Brookings. «Les papiers du Pentagone avaient révélé comment le gouvernement mentait aux Américains, rappelle Michael O’Hanlon. Ce n’est pas du tout le cas aujourd’hui avec ces documents de WikiLeaks.»

Daniel Ellsberg, l’analyste militaire qui avait révélé ces «papiers du Pentagone», fait pourtant lui-même le lien entre ces deux moments clés de l’histoire militaire américaine. Agé aujourd’hui de 79 ans, Ellsberg était samedi à Londres au côté de Julian Assange pour souligner l’importance du travail de WikiLeaks.

Assange est maintenant «l’homme le plus dangereux au monde» l’a félicité Daniel Ellsberg. Mais face à ce «danger», l’administration américaine semble avoir adopté la tactique qu’elle juge la plus efficace faute de mieux : ne surtout pas trop en parler.

 

Source :http://www.liberation.fr/monde/01012298286- 

 

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