L’efficacité des traités internationaux dépend de leur valeur
vis-à-vis du droit interne, c'est-à-dire de la supériorité de
leurs normes en cas de conflit avec les dispositions de l’ordre
juridique interne. Le droit international prévoit qu’aucun
membre d’un traité ne peut invoquer les dispositions de son
droit interne pour justifier la non-application de dispositions
dudit traité. Ce principe est confirmé par la doctrine de la
Cour Permanente de Justice Internationale (CPJI), dans deux avis
consultatifs. Le premier revient au 21 février 1925, dans lequel
la Cour déclare qu’« un État qui avait valablement contracté des
obligations internationales (était) tenu d’apporter à sa
législation les modifications nécessaires pour assurer
l’exécution des engagements pris» (1). Le deuxième avis date du
4 février 1932, il déclare qu’« un État ne saurait invoquer sa
propre constitution pour se soustraire aux obligations que lui
imposent le droit international ou les traités en vigueur » (2).
En vertu de la Convention de Vienne sur les dispositions des
traités de 1966 ; les engagements internationaux prévalent sur
le droit interne. L’article 26 dispose que « tout traité en
vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne
foi ». L’article 27 précise qu’« une partie ne peut invoquer les
dispositions de son droit interne comme justifiant la
non-exécution d’un traité ».
Les différents comités des droits de l’homme de l’ONU
étaient conscients de l’importance de la clarification de cette
question par les États membres. Ainsi, le Comité des droits
économiques, sociaux et culturels dans son observation générale
intitulée « l’application du Pacte au niveau national» (3) a mis
en évidence la place du Pacte dans l’ordre juridique interne. Ce
comité a proclamé que les questions relatives à l'application du
Pacte au niveau national doivent être régies en vertu de
l'article 27 de la Convention de Vienne mentionné ci-dessus. Le
Comité des droits de l’enfant va dans le même sens ; il a
demandé expressément, dans ses directives aux États, d’indiquer
la place de la convention dans le droit interne (4). Les
modalités adoptées, pour rendre les traités supérieurs aux lois
nationales, varient selon les États (5). Certaines constitutions
étatiques reconnaissent la supériorité des traités. En revanche,
certaines nécessitent l’adoption de lois spécifiques pour donner
à un traité international, même s'il a été ratifié, force de loi
nationale. D’autres États ne reconnaissent la primauté des
conventions internationales que pour les lois antérieures à leur
adoption alors que les lois postérieures restent supérieures aux
règles des traités.
Cette question n’est pas toujours tranchée d’une
manière claire dans les législations internes des États de
l’Orient arabe, tant sur le plan constitutionnel ou
jurisprudentiel. En effet, la supériorité ou non des traités
internationaux vis-à-vis des législations nationales, est
ambiguë dans certains États d’Orient. Cela est dû à
plusieurs raisons. Tout d’abord, certaines constitutions, comme
celle de la Jordanie ne contiennent aucune disposition consacrée
expressément au rapport entre les traités internationaux et les
lois nationales (6). En outre, la valeur constitutionnelle de la
charia rentre en conflit avec la valeur constitutionnelle des
traités internationaux dans la mesure où il y a incompatibilité
entre quelques dispositions islamiques et internationales.
La position des États de l’Orient arabes n’est
pas toujours la même face aux instruments internationaux des
droits de l’homme (7). Ainsi, le Liban affirme, à travers la
jurisprudence nationale, que la convention l’emporte sur la loi
interne en cas de conflit (8). Le Liban a incorporé la
Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) suite à un
amendement de la constitution en 1990. Le préambule prévoit que
« le Liban est arabe dans son identité (….) de même qu'il est
membre fondateur et actif de l'Organisation des Nations Unies,
engagé par ses pactes et par la Déclaration Universelle des
Droits de l'Homme. L'État concrétise ces principes dans tous les
champs et domaines sans exception ». L’efficacité de la
réception du droit international par le Liban reste une
exception parmi les États d’Orient arabe. En revanche, l’Égypte
n’a pas attribué une telle valeur à la DUDH dans son droit
interne. La Cour suprême égyptienne n’a pas reconnu la valeur
obligatoire de la DUDH ; elle a affirmé que cette déclaration
n’a qu’une valeur législative et non constitutionnelle (9).
L’article 151 de la Constitution égyptienne prévoit que « le
Président de la République conclut les traités et les communique
à l'Assemblée du Peuple accompagnés d'un exposé adéquat. Ils
auront force de loi après leur conclusion, leur ratification et
leur publication, conformément aux conditions en vigueur» (10).
En effet, les dispositions de cet article constituent une arme à
double tranchant ; l’attribution aux traités la force de loi
octroie une valeur législative et non une valeur
constitutionnelle suprême (11). Cela signifie que les
dispositions de ces traités risquent d’être écartées dans le cas
de l’adoption d’une loi postérieure et qui serait en conflit
avec lesdites dispositions. Toutefois, certaines lois adoptées
postérieurement aux traités, prévoient une clause permettant la
survie des dispositions des traités. Ces lois mentionnent
explicitement que leurs applications ne mettent pas fin aux
engagements internationaux. L’ambiguïté de cette question a
poussé le comité des droits de l’homme, dans une observation
finale sur les rapports périodiques de l’Égypte, à montrer sa
préoccupation. Le comité a déclaré qu’il « regrette le manque de
clarté qui entoure la question de la valeur juridique du Pacte
par rapport au droit interne et aux conséquences qui y sont
attachées. L’État partie devrait s’assurer que sa législation
donne plein effet aux droits reconnus par le Pacte et que des
recours effectifs soient disponibles pour l’exercice de ces
droits» (12).
A l’instar de l’Égypte, la Constitution syrienne attribue le
pouvoir de conclure les traités au Président de l’État. Celui-ci
peut également, selon l’article 104 de la Constitution syrienne,
« abroger les traités et les conventions internationales,
conformément aux dispositions de la Constitution ». Le pouvoir
de conclure les traités est attribué également à l’Assemblée du
peuple; l’article 71 alinéa 5 de la Constitution prévoit que
cette Assemblée « adopte les traités et les accords
internationaux qui intéressent la sécurité de l’État, à savoir
les traités de paix et d’alliance, tous les traités qui se
rapportent aux droits de la souveraineté ou les accords qui
octroient des concessions aux sociétés ou aux compagnies
étrangères ainsi que les traités et accords qui font assumer au
trésor public des dépenses non prévues dans le budget ou qui
sont contraires aux dispositions des lois en vigueur et celles
dont l’exécution exige la promulgation d’une nouvelle
législation». De ce fait, l’Assemblée ratifie deux catégories de
traités : ceux qui mettent en cause la sécurité externe (13) et
interne (14) de l’État ou bien ceux qui mettent à sa charge des
dépenses supplémentaires (15). Enfin, le Conseil des ministres
peut conclure les conventions et les traités conformément à la
constitution (16). La Constitution syrienne ne dit rien sur la
supériorité ou non des traités sur les lois internes. Toutefois,
il nous semble que les traités ont la force des lois à l’instar
du cas égyptien. Ceci a été affirmé par le ministre de la
justice syrien dans une déclaration publique rendue lors de la
44e session du Comité contre la torture le 4 mai 2010.
Les constitutions de la Jordanie et du Liban
octroient également le pouvoir de conclure les traités aux chefs
d’État (17). Ces deux constitutions exigent l’accord de la
Chambre des députés dans certaines conditions, notamment dans le
cas où un traité engage les finances de l'État (18). Dans ce
cadre, la Cour suprême de justice jordanienne avait décidé de ne
pas donner suite aux accords conclus entre le ministre de
l’économie et le directeur de la délégation américaine le 17
septembre 1954 (19). L’argument de la Cour était que ces accords
sont considérés comme un traité qui n’a pas été conclu
conformément à la constitution (20). Néanmoins, la haute
juridiction suprême est intervenue en Jordanie pour clarifier le
rapport entre les traités internationaux et le droit interne en
raison du silence de la Constitution. La Cour de cassation (Al-tamiez)
jordanienne a tranché le débat en donnant aux traités et aux
conventions une valeur supérieure vis-à-vis de la loi
jordanienne (21). La Cour a dit qu’« en principe ce sont les
dispositions législatives internes en vigueur qui devraient être
appliquées à moins qu’il y ait des dispositions contraires dans
un traité ou un accord international » (22). La Cour a ajouté
que « cette règle ne s’affecte pas par la postériorité de la loi
interne à l’accord international ou par la postériorité de
l’accord international à la loi interne » (23) Deux autres
arrêts de la même Cour, en 2001 et 2005, viennent également de
confirmer la supériorité des traités et des conventions
internationales (24). Il ressort que la Jordanie retient le
principe de la primauté du traité sur le droit national, qu’il
soit postérieur ou antérieur. Pourtant, la Jordanie, à l’exemple
d’autres États d’Orient, ne publie souvent pas les conventions
dans le journal officiel, que ce soit par négligence ou
expressément (25). Cela a poussé le Comité des droits de
l’enfant à montrer son mécontentement lors de ses observations
finales. Le comité a souligné que « la convention est censée
avoir force de loi et l'emporter sur toute législation, en
dehors de la constitution, et que les tribunaux doivent lui
donner priorité, le comité constate que près de 10 ans se sont
écoulés depuis la ratification de la Convention et qu'elle n'a
toujours pas été publiée au Journal officiel ». Il a ajouté
qu’« il recommande à l'État partie d'accélérer la publication de
la convention au Journal Officiel et de prendre les mesures
nécessaires pour qu'elle ait force de loi devant les tribunaux,
y compris les tribunaux de première instance» (26). Il semble
que cette pression ait débouché sur la publication de deux
pactes de 1966 dans le journal officiel en juin 2006 (27).
Les instruments des droits de l’homme ont une
vocation universelle. Ils visent à s’appliquer et à s’ouvrir
vers toutes les sociétés et tous les États. Les droits de
l’homme énoncés dans les textes internationaux ne sont pas
propres à un peuple ou à un groupe. Pourtant, les États de
l’Orient arabe se sont montrés méfiants quant à la réception de
ces instruments. Il est urgent que ces États prennent les
mesures nécessaires pour assurer l’universalité des droits de
l’homme, ceci est en faveur de l’instauration de la démocratie
et de l’évolution de l’Orient arabe.
Notes :
* Cet article est un extrait de la thèse de
doctorant de M. Nael Georges, intitulée : « Le droit des
minorités le cas des chrétiens en Orient arabe ». Elle a été
soutenue, avec la mention Très Honorable et Félicitations du
Jury le 29 mars 2010 à l’université de Grenoble II-Faculté de
droit.
** Docteur en Droit, expert
en droits de l'homme
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