Selon John J. Mearsheimer
et Stephen M. Walt, coauteurs du livre1
, beaucoup de leurs compatriotes et de personnes dans le monde
s’interrogent sur les soutiens étatique et privé, sur les plans
aussi bien financier que diplomatique et militaire « hors du
commun » et de longue date des Etats-Unis d’Amérique à Israël,
alors même que le second ne revêt aucun intérêt stratégique pour
le premier. Ce soutien, d’une aussi grande ampleur et étalée sur
une telle durée, se justifie d’autant moins qu’il est souvent
néfaste aux intérêts des Etats-Unis d’Amérique, et même à
ceux d’Israël.
Selon ces deux auteurs, ce
soutien s’explique principalement par l’activisme inlassable du
lobby américain pro-israélien.
Qu’est-ce que le
lobby pro-israélien états-unien ?
Ce lobby se compose
d’individus et d’organisations juives- et non juives- qui, comme
dans tout lobby, consacrent l’essentiel de leur temps, de leurs
énergies ou de leurs ressources à défendre une cause, en
l’occurrence Israël.
Il compte en fait trois
sous-ensembles : les riches donateurs juifs et les organisations
juives ; les néoconservateurs, où les Juifs américains jouent un
rôle de premier plan ; et les sionistes chrétiens évangélistes.
Chacun de ces
sous-ensembles dispose de moyens d’action et propagande
considérables : argent, journaux, sites Internet, centres de
recherche, ainsi que de postes sensibles occupés par leurs
adhérents ou leurs sympathisants dans d’autres organes de presse
et dans des institutions publiques : Congrès, gouvernement,
conseillers au gouvernement, Conseil pour la sécurité nationale,
diplomatie, haute administration…
Jusque-là, rien d’anormal,
dans la mesure où l’existence des lobbys fait partie de la vie
politique de ce pays. C’est bien différent du mode de
fonctionnement de la vie politique et des institutions
politiques françaises. Même si l’extrême droite française tente
d’instrumentaliser ce terme à des fins nauséabondes. Ce qui, en
revanche, pose problème, ce sont certains des procédés du
lobby pro-israélien.
Il s’agit d’abord, selon
les deux auteurs, des conséquences néfastes des pressions
constantes du lobby sur le président, le gouvernement et les
membres du Congrès des Etats-Unis d’Amérique pour qu’ils
alignent totalement la politique étrangère moyen-orientale de la
première puissance mondiale sur celle de l’Etat d’Israël, et
qu’ils satisfassent toutes les demandes de ce dernier.
Le deuxième grief que les
deux professeurs états-uniens adressent à ce lobby est son
emploi à cette fin de tous les moyens, y compris les « plus
brutaux. »
Plus concrètement, cette
pression du lobby vise, par exemple, à empêcher le pouvoir
états-unien de faire pression sur Israël, pour que ce dernier
accepte l’établissement d’un État palestinien aux frontières
d’avant le 5 juin 1967 ; un État viable économiquement et
politiquement, en échange de la paix et la sécurité pour lui.
C’est pour cette raison,
selon les deux chercheurs, que l’offre de paix d’Ehud Barak en
2000 à Camp David n’a été qu’une fumisterie à l’égard des
Palestiniens, et une mystification des opinions publiques
israélienne et mondiale.
Le lobby pro-israélien et
Israël ont également torpillé, selon les deux intéressés, toute
chance de mise en œuvre par le Congrès et le gouvernement des
Etats-Unis d’Amérique d’une politique de dialogue avec l’Irak de
Saddam Hussein, la Syrie et l’Iran.
Cela s’est soldé par la
contribution directe à la victoire électorale du Hamas dans les
Territoires de l’Autorité palestinienne, le désastre
politico-militaire pour les Etats-Unis d’Amérique en Irak, et
pour Israël le bombardement à vaste échelle du Liban et de sa
population par Israël, en été 2006.
Cette politique de
confrontation — systématique — concourt à alimenter le
terrorisme et à empêcher la formation d’une large coalition
internationale contre ce fléau.
Elle ne laisse pas non
plus, selon eux, le choix à ces pays, pour se protéger, que de
continuer à financer et à armer le Hamas, le Djihad islamique et
le Hezbollah libanais, et également, pour ce qui est de l’Iran,
d’accélérer son programme nucléaire civil, puis militaire.
Qu’est-ce qui fait
la puissance du lobby pro-israélien ?
Cette puissance, ce lobby
la tient avant tout, d’après le livre, de l’énorme manne
financière, dont il bénéficie de la part des milliardaires juifs
états-uniens. Elle lui permet de financer les campagnes
électorales des candidats, à la chambre des Représentants, au
sénat et à la présidence de la république, donnant suffisamment
de gages de soutien inconditionnel à Israël.
Elle permet aussi au lobby
de punir les candidats, qui ne veulent pas se plier à ses
injonctions, en finançant les campagnes électorales de leurs
rivaux, de même que toute critique d’Israël, émanant de qui que
ce soit, élu du peuple, universitaire, journaliste, ministre et
même du Président des Etats-Unis d’Amérique, s’exposera à de
violentes attaques, voire à un lynchage médiatique de la part de
ce lobby.
La sénatrice démocrate,
Hillary Clinton, en sait quelque chose, elle qui, comme beaucoup
d’autres, essuya selon Mearsheimer et Walt, les pires critiques
de la part du lobby, parce qu’elle avait seulement appelé, en
1998, à l’établissement d’un État palestinien et qu’elle avait
fait la bise à Souha Arafat, l’épouse de l’ex-président de
l’Autorité palestinienne.
Le lobby use et abuse aussi
de la redoutable accusation d’antisémitisme. Nombre de membres
du Congrès, de journalistes ou d’universitaires, bien qu’amis de
longue date d’Israël, n’ont pas été épargnés, pour peu qu’ils
aient émis une critique de tel ou tel aspect de la politique
israélienne, qu’ils jugent contre-productif.
Nos deux universitaires
racontent aussi comment ce lobby a traîné dans la boue l’ancien
président des États-Unis d’Amérique, Jimmy Carter, parce que
celui-ci avait écrit dans son livre, Palestine : Peace Not
Aparthied, quelques vérités sur le traitement qu’Israël
inflige aux Palestiniens dans les territoires occupés et sur
certaines méthodes, peu amen, de ce lobby.
Des membres du lobby sont
allés jusqu’à qualifier Paris de « capitale de l’Europe
antisémite. » Ces intimidations consistent également, d’après
l’ouvrage, en quelques heures seulement, en la signature de
pétitions, en l’envoi de milliers de lettres postales et de
courriels électroniques à l’intéressé, ou encore, des milliers
d’appels téléphoniques, la publication d’encarts publicitaires
dénonciateurs dans les journaux, l’organisation de
manifestations ou de rassemblements devant le siège d’un journal
ou d’une radio, etc.
Le lobby fait également
actionner, comme un seul Homme, plusieurs dizaines de
représentants et de sénateurs pour qu’ils envoient une lettre
collective « cinglante » à la cible qu’il leur désigne, souvent
le président des Etats-Unis d’Amérique ou l’un de ses ministres,
mais aussi des journalistes, des universitaires…
Il charge aussi des
étudiants de faire pour lui de la délation, concernant les
organisations estudiantines et des enseignants jugés hostiles à
Israël ou au lobby. Il n’hésite pas non plus, d’après nos deux
chercheurs, à tenter de faire taire ou de briser la carrière
universitaire d’un professeur, d’empêcher la publication d’une
production académique.
Le lobby pro-israélien aux
Etats-Unis d’Amérique a atteint une telle puissance, qu’il est
devenu un danger… pour l’avenir d’Israël
1-Le Lobby
pro-israélien et la politique étrangère américaine,
éd. La Découverte, Paris, 2009
Mercredi 7 octobre 2009
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