A trois jours de l'examen par l'Assemblée
générale des Nations Unies des réponses israélienne et
palestinienne au rapport Goldstone, qui accuse Israël et le
Hamas de « crimes de guerre » voire de « crimes contre
l'humanité », lors de l'opération israélienne contre la bande de
Gaza, il y a un an, Israël et son armée se trouvent dans une
position diplomatique et juridique délicate.
Le rapport de 46 pages remis vendredi dernier
par Israël aux Nations Unies - première réponse officielle
israélienne aux 575 pages du rapport Goldstone, rendu public en
septembre 2009 - affirme que l'armée israélienne a respecté la
loi internationale et les règles de la guerre durant les trois
semaines de l'opération « plomb durci ».
Et il apporte un démenti ferme à certaines des
accusations portées par le document de l'ONU. Ce document
accusait en effet l'aviation israélienne d'avoir délibérément
visé et détruit, par un bombardement aérien la minoterie Al Badr
- la seule de la bande de Gaza - située au nord du territoire.
Pour Richard Goldstone, auteur du rapport, la minoterie avait
été délibérément visée par l'aviation dans « l'unique but
d'arrêter la production de farine ».
Selon les investigations de l'armée israélienne,
la destruction de la minoterie ne pouvait être imputable à
Israël. Les enquêteurs militaires n'avaient en effet trouvé
aucune preuve d'une frappe aérienne. Et ne voyaient donc
« aucune raison » d'ouvrir une enquête sur ce cas précis. Les
militaires israéliens suggéraient que les bâtiments pouvaient
avoir été détruits par la détonation d'explosifs du Hamas,
entreposés à proximité.
Les fragments d'une bombe
Le problème, pour les autorités israéliennes,
est que cette thèse vient d'être réduite à néant par les
informations recueillies sur le terrain par une équipe de
démineurs de l'ONU. D'après ces experts, longuement cités par le
quotidien britannique The Guardian, les fragments d'une bombe,
dont la photographie est publiée par le journal, ont été
retrouvés le 25 janvier 2009, quelques jours après la fin des
combats, par les démineurs. Il s'agissait de l'ogive d'une bombe
MK82 équipée d'un détonateur 273M.
Des bombes de ce type sont larguées par les F-16
de l'armée israélienne, parfois complétées par un dispositif de
guidage. Interrogée sur ces révélations par The Guardian,
l'armée israélienne a renvoyé les journalistes au communiqué
publié la semaine dernière par le ministère des Affaires
étrangères, lorsque le rapport officiel a été remis à l'ONU.
Selon ce communiqué, « l'armée est attentive au respect absolu »
des lois de la guerre et enquête sur toutes les allégations de
violations de ces lois.
Cette contradiction entre la thèse officielle
israélienne - telle qu'elle a été présentée à l'ONU - et les
indications fournies par le rapport des démineurs est d'autant
plus encombrante pour les militaires israéliens que la minoterie
est loin d'avoir été le seul bâtiment civil visé - et détruit -
par les obus, les bombes ou les missiles israéliens pendant
cette offensive.
Des obus au phosphore
Autre point de désaccord grave entre le rapport
Goldstone et l'armée israélienne : le recours à des obus
contenant du phosphore blanc, à plusieurs reprises et en
particulier lors du pilonnage du quartier général de l'UNRWA,
l'agence de l'ONU qui assiste les réfugiés palestiniens, le 15
janvier 2009 deux jours avant la fin de l'opération « Plomb
durci ».
Selon le rapport Goldstone, les locaux de l'ONU,
qui abritaient près de 700 civils, mais où se trouvait aussi un
important dépôt de carburant ont été frappés, lors d'une attaque
qualifiée de « très dangereuse » par des obus à grande puissance
et des obus au phosphore, qui provoquent des brûlures très
graves - comparables à celles provoquées par le napalm - et ont
un très grand pouvoir incendiaire. D'après le document de l'ONU,
7 obus au phosphore blanc au moins ont atteint les bâtiments de
l'ONU, clairement identifiés par des drapeaux bleus et les
lettres UN, et provoqué l'incendie d'un entrepôt.
La loi internationale n'interdit pas l'usage des
obus au phosphore blanc, généralement utilisés comme fumigènes,
destinés à masquer la progression des troupes ou des blindés,
mais en souligne de caractère dangereux lorsqu'ils sont utilisés
contre des cibles civiles.
L'armée israélienne a admis avoir utilisé des
munitions au phosphore blanc, pour créer des écrans de fumée ou
marquer des points précis du champ de bataille. Elle a affirmé
que jusqu'à présent, ses investigations ont montré que ces
munitions ont été employées conformément à la loi
internationale. Dans le cas des tirs contre les bâtiments de
l'ONU, les militaires israéliens ont indiqué qu'ils avaient créé
un écran de fumée pour protéger une unité de blindés en
mouvement dans la zone d'un groupe de combattants du Hamas qui
avaient pris position près des bâtiments de l'ONU et qui
semblaient être armés de missiles anti-chars.
Deux officiers israéliens sanctionnés
Est-ce pour avoir donné l'ordre d'utiliser ces
munitions que deux officiers, le général de brigade Eyal
Eisenberg, commandant de division, et le colonel Ilan Malka,
commandant de la brigade Givati, ont été l'objet de sanctions
disciplinaires, de la part du commandant de la région militaire
sud d'Israël, le général Yoav Gallant ? C'est ce que semblait
avoir compris le quotidien Haaretz, lorsqu'il a rapporté
l'existence de ces sanctions, révélées par le rapport israélien
remis à l'ONU.
Mais l'armée s'est empressée de préciser, dès
que la nouvelle a été rendue publique, que les deux officiers
avaient été punis « pour avoir tiré plusieurs obus d'artillerie
en violation des règles d'engagement qui interdisent l'usage de
ce type d'artillerie près des zones habitées » et pour avoir
« abusé de leur autorité d'une manière qui met en péril la vie
d'autrui ».
Comme on le constate, le mot « phosphore » n'est
pas employé dans la confirmation de la sanction par
l'état-major. « Leur punition n'a rien à voir avec le phosphore
blancs, mais avec le tir d'obus d'artillerie dans une zone
urbaine » a affirmé le capitaine Barak Raz qui s'exprimait au
nom de l'armée. Reste que le jour et le lieu de la bavure en
question - le faubourg de Tel al-Hawa - sont bien ceux des tirs
contre les locaux de l'ONU.
Cinq commissions d'enquête militaires ont été
créées, à la demande du général Gabi Ashkenazi, chef
d'état-major de l'armée israélienne, au lendemain de l'opération
« plomb durci » pour examiner les nombreuses accusations portées
contre les militaires par des organisations humanitaires. L'une
d'entre elles devait se concentrer sur l'usage éventuel de
munitions au phosphore.
Cinq cent soldats interrogés.
Trois mois plus tard, en avril, lorsque le
général Dan Harel, chef d'état-major adjoint a présenté les
résultats de leurs investigations il a indiqué que les
enquêteurs n'avaient trouvé aucun exemple d'utilisation des obus
au phosphore en violation avec les ordres.
Au cours de ces enquêtes, près de 500 soldats
ont été interrogés et une centaine de Palestiniens ont également
fourni leurs témoignages recueillis par des militaires au point
de passage d'Erez, au nord de la bande de Gaza. Selon Haaretz,
36 « enquêtes criminelles » à ce jour ont été ouvertes. Mais
l'instruction criminelle n'a suivi son cours que dans un seul
dossier : celui de deux soldats de la brigade Givati qui avaient
volé la carte de crédit d'un civil palestinien.
Au regard du bilan de l'opération « Plomb
durci » : 1400 morts palestiniens, (13 morts du côté
israélien), 21 000 bâtiments détruits ou
gravement endommagés, parmi lesquels des immeubles d'habitation
et 200 ateliers ou usines, une infrastructure économique en
ruine, une situation sanitaire désastreuse, des traumatismes
psychologiques innombrables et durables, les Nations Unies
estimeront-elles que quelques dizaines d'enquêtes criminelles et
des sanctions disciplinaires contre deux officiers constituent
une défense suffisante contre l'accusation de « crime de
guerre » contenue dans le rapport Goldstone ?
Source:
http://renebackmann.blogs.nouvelobs.com/
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