AUTEUR: Haytham MANNA
هيثم مناع
Traduit
par Tafsut Aït Baamrane
9 des
126 femmes condamnées à mort par Tribunal spécial irakien sont
menacées d’exécution ce vendredi 27 novembre, jour de l’Aïd El
Adha, la fête musulmane du sacrifice. Haytham Manna, porte-parole
de la Commission arabe des droits humains, commente cette
horreur.
Lorsque
nous publiions des déclarations sur des condamnations à des
peines de mort et des exécutions extrajudiciaires à l’époque de
Saddam Hussein, l’opposition irakienne prenait nos déclarations
et les distribuait. Il s’est même trouvé plusieurs dirigeants
des deux plus grandes organisations kurdes au Kurdistan irakien,
du Parti Communiste Irakien et d’autres, pour s’engager à abolir
la peine de mort dans l’Irak démocratique après la chute du
régime.
Les débats à huis clos entre les partis islamistes irakiens (sunnites
et chiites) montrent que la culture politique irakienne n’a pas
encore osé faire une évaluation approfondie et critique au sujet
de la peine de mort politique dans l’Iraq contemporain.
Rien
d'étonnant à cela : le mouvement politique islamiste, avec la
plupart de ses groupes, a plutôt joué un rôle similaire à celui
des néoconservateurs dans la culture occidentale, et s’est
opposé à l’abrogation de la peine de mort en s’appuyant sur
l’interprétation formelle et littérale de l’idée de tuer une
personne sous la loi du talion (Jus Talionum) que l’on retrouve
dans les versets coraniques des sourates Al-Israa/XVII’ (verset
33), Al-Maida/V (32-33), Al-Anaam/VI (151) et Al-Baqara/II
(178).
On peut
également dire - vingt ans après une déclaration collective
contre la peine de mort que nous avions publié lors du
bicentenaire de la Révolution française - que la culture de
l’abolition reste encore très sommaire en langue arabe. En effet,
l’ensemble de ce qui a été écrit dans des déclarations, articles
et études à ce sujet n’atteint guère les mille pages. Et il est
cent fois plus facile de parler, aujourd’hui, des crimes
d’honneur que de parler de l’abolition de la peine de mort.
Les
quatre cinquièmes des peines de mort dans le monde arabe et en
Iran sont dues à des raisons politiques. Un avocat yéménite,
Ahmad Alwadii, a recensé les cas où le législateur yéménite
recourt à la peine de mort, et il l’a trouvée dans le code
criminel et pénal pour 126 actes, dans le code pénal militaire
pour 166 actes, dans le code des drogues pour 33 actes, et dans
le code des enlèvements et de la vendetta pour 90 actes. Quant
aux organisations des droits humains, elles ont souligné que la
plupart des cas de peine de mort en Iran sont de nature
politique. En effet, il est malheureux qu’un islamiste défende
la peine de mort alors que le taux des islamistes parmi ceux qui
ont été victimes de cette peine est le plus élevé par rapport
aux autres courants de l’opposition politique.
De prime
abord, et pour tout ce qui se rapporte au meurtre, il est
entendu que les crimes d’État sont infiniment plus violents et
graves que les meurtres commis par des individus. De plus, cette
question ne concerne pas seulement la sûreté de l’État, mais
elle touche également aux malheurs de la guerre, aux massacres
collectifs et aux agressions. Il est également entendu que les
crimes commis par des individus, quel que soit le degré de leur
dangerosité et gravité, n’ont subi aucun effet positif du fait
de l’existence, du gel ou de l’absence de la peine de mort.
Le concept de l’intention pénale, de l’importance de la sanction
et de son efficacité a évolué depuis le premier siècle de l’ère
chrétienne, et cette évolution a continué jusqu’à l’apparition
de la Lex Cornelia qui élimine la peine de mort. L’ironie du
sort a voulu qu’avec la période du recul de l’Europe, Ibn Al-Arabi
ait été le premier à revendiquer l’abolition de la peine de mort
car « le Donneur de la vie, exalté soit-Il, est le Seul qui a le
droit de l’enlever ».
C’est la même idée sur laquelle s’est basé Victor Hugo lorsqu’il
a dit, dans son discours à l’Assemblée nationale, lors du débat
sur l’abolition de la peine de mort, en 1848 : « Le dix-neuvième
siècle est l’ère de l’abolition de la peine de mort. L'homme n'a
pas le droit de détruire ce que Dieu seul a créé. Or c'est Dieu
qui a donné la vie au criminel. Donc les hommes n'ont pas le
droit de la lui ôter». Mais le poète Lamartine avait précédé
Victor Hugo en disant, dix ans auparavant, devant le même
parlement : « Ce n'est pas la mort qu'il faut apprendre à
craindre, c'est la vie qu'il faudrait apprendre à respecter ! »
L’héritage stalinien n’est pas très différent de celui
l’extrême-droite occidentale (fasciste, nazie, néonazie,
néoconservatrice, …) dans son attitude malheureuse et sa
pratique repoussante de l’exécution judiciaire et
extrajudiciaire. Cependant, la colonisation occidentale a
emporté avec elle la peine de mort dans les pays colonisés et
l’y a appliquée alors qu’elle était abrogée dans la métropole,
ce qui montre clairement une attitude de mépris et de racisme.
Quant à l’histoire de l’Égypte, elle ne peut ignorer le procès
de Denshawai en 1906 qui a ramené les cordes de pendaison de la
« Petite » Bretagne en Égypte ainsi que les exécution en public
de paysans innocents contre lesquels le tribunal Al-Makhsouma
(tribunal mixte spécial qui n’est surtout pas lié par le code
pénal) a prononcé des peines de mort.
On peut
dire que le vingtième siècle a connu un fort mouvement
abolitionniste, au cours duquel plus de 120 États ont adhéré à
l'abolition de la peine capitale. En effet, c’est devenu un
objet de fierté pour un ministre de la Justice de préparer une
loi pour l’annulation de cette peine. À une telle occasion, le
ministre suisse de la Justice a dit : « Je n’imagine jamais
qu’un État – sous le règne de la démocratie et les principes de
l’humanité – puisse avoir le rôle d’un « bourreau ». Le rôle
d’un État est d’arracher le mal de ses racines, de travailler en
vue de faire réaliser l’erreur à celui qui l’a commise, et ce, à
travers la réparation et l’éducation ». Et son homologue belge
de dire : « Nous avons appris que la voie du respect de la vie
humaine consiste à refuser dans l’absolu de tuer une vie humaine
au nom de la loi ». Quant à leur homologue français, tout en
étant fier que la France ait été le premier pays européen à
interdire la torture et l’un des pays précurseurs dans
l’abolition de l’esclavage, il a dit regretter que son pays ait
été le dernier à abolir la peine de mort en 1981, mettant en
sourdine son enthousiasme nationaliste (les révolutionnaires de
1789 ont proposé l’annulation du système royal et l’annulation
de la peine de mort et les représentants du peuple ont débattu
sur cette question en 1791, et elle a été abolie en France, pour
la première fois, en 1848).
Quelle
est la différence entre un cannibale qui mange de a chair
humaine et celui qui coupe les têtes des hommes comme des
animaux au nom de la loi ? Il ne s’agirait, peut-être, que d’une
différence temporelle, mais aussi, civilisationnelle. C’est pour
cela que Cheikh Abdallah Al-Alaili a considéré la peine de mort
dans l’Islam comme faisant partie des décrets temporels, et non
comme un décret absolu, comme c’est le cas aussi pour les
châtiments corporels qui sont, selon lui, applicables en
fonction de leur représentation, et non dans leur sens littéral.
Peut-être que l’acceptation du gel de la peine de mort par
plusieurs pays et penseurs musulmans constitue une étape
transitoire nécessaire vers l’idée de son abolition. Cependant,
s’agit-il d’une crise culturelle et historique, ou bien y a-t-il
des idéologies extrémistes dans notre vie quotidienne, qui se
cachent derrière le texte coranique, des sentiments chauvinistes
réactionnaires ou relevant de la peste communautariste, qui
favorisent, pour emprunter la phrase de J. Imbert, "l'amour des
plaisirs cruels, l'instinct sanguinaire" ?
Le
procès de Saddam Hussein ainsi que les images de son exécution
ont fait ressurgir toutes les rancoeurs d’un passé enterré. Des
fêtes le jour de l’Aïd. Pis encore, des rites de vengeance dans
la ville de la science et de la sagesse, à Nadjaf. Le parti
politique sectaire a découvert les sentiments les plus
instinctifs et les a exploités comme l’a fait la « Petite »
Bretagne en 1941, lorsqu’elle a exécuté les trois officiers
nationalistes irakiens, et en 1949, lorsqu’elle a soutenu
l’exécution politique des chefs du Parti Communiste … Et comme
le rappelle Haifa Zankanah dans son article ‘Les programmes
communiste et de Dawa (prédication) en Iraq : l’exécution est
une revendication des masses’, publié dans l'organe du parti,
Ittihad al-Shaab le 13 mars 1959 : « Quant aux travailleurs
d’Ain, ‘au nom des enfants innocents et des mères qui les ont
perdus, au nom du sang pur des martyrs de Mossoul ... les
cadavres des criminels corrompus ont été traînés dans la ville
de Mossoul et ses alentours ».
C’est
une honte pour la vie politique d’un pays que les slogans
glorifiant la peine de mort traversent l'ensemble de sa
géographie politique!
Selon
une information que personne n’a démenti, le gouvernement
irakien est déterminé à appliquer la peine de mort lors du
premier jour de l’Aïd El Adha en ce qui concerne neuf femmes
parmi 126 qui ont été toutes condamnées à mort. Il paraît que la
« démocratie » à l’américaine requiert l’utilisation de tous les
moyens dans les campagnes électorales, de la corruption
financière aux pots-de-vin en passant par l’instrumentation de
la loi électorale et l’utilisation de toutes les bassesses
sectaires, les rancoeurs enterrées et les bas instincts. La
« Petite » Bretagne parlera d’un procès équitable même si elle
est contre la peine de mort. L’administration Obama, on ne
connaît pas encore sa position, mais il est à prévoir qu’elle
n’interviendra pas dans « l’indépendance de la justice
irakienne ».
Quant aux statistiques, elles nous rappelleront toujours que 91%
des peines de morts n’ont lieu que dans six pays : la Chine,
l’Iran, l’Iraq, le Pakistan, le Soudan et les USA. La bataille
qui nous oppose à la peine de mort est compliquée et difficile
car elle est contre la sauvagerie qui siège dans l’inconscient
de l’Homme, elle est contre l’obscurantisme masqué en Occident
et en Orient, et contre la sacralisation de l’institution
juridique et de ses décisions dans l’histoire arabe et
islamique.
Source :
Al Quds Al Arabi-
العراق: الإجرام في عقوبة الإعدام
Article original publié le 26/11/2009
Sur l’auteur
Haytham Manna est un auteur associé à Tlaxcala,
le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique, dont
Tafsut Aït Baamrane est membre. Cette traduction est libre de
reproduction, à condition d'en respecter l’intégrité et d’en
mentionner l’auteur, la traductrice et la source.
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