COMMISSION ARABE DES DROITS HUMAINS

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2009-11-27

Le crime dans la peine de mort - Haytham Manna

 

   

Lorsqu’on publiait des déclarations de condamnation des peines de mort et des exécutions extrajudiciaires à l’époque de Saddam Hussein, l’opposition iraqienne prenait nos déclarations et les distribuait. Il y a eu même plusieurs dirigeants des deux plus grandes organisations kurdes au Kurdistan iraqien, du Parti Communiste Iraqien et d’autres, qui s’engageaient à abolir la peine de mort dans l’Iraq démocratique après la chute du régime. Les débats à huis clos entre les partis islamistes iraqiens (sunnites et chiites) montrent que la culture politique iraqienne n’a pas encore osé faire une évaluation approfondie et critique au sujet de la peine de mort politique dans l’Iraq contemporain. Rien d'étonnant; le mouvement islamiste politique, avec la plupart de ses groupes, a plutôt joué un rôle similaire à celui des néoconservateurs dans la culture occidentale, et s’est opposée à l’abrogation de la peine de mort en s’appuyant sur l’interprétation formel et littérale de l’idée de tuer une personne sous la loi du talion (Jus Talionum) que l’on retrouve dans les versets coraniques des sourates d’Al-Israa/XVII’ (verset 33), Al-Maida/V (32-33), Al-Anaam/VI (151) et Al-Baqara/II (178). On peut également dire -vingt ans après une déclaration collective que nous avons émises lors du deux centième anniversaire de la Révolution française contre la peine de mort - que la culture de l’abolition reste encore très primitive dans la langue arabe. En effet, l’ensemble de ce qui a été écrit dans les déclarations, les articles et les études à ce sujet n’atteint guère les mille pages. Et il est cent fois plus facile de parler, aujourd’hui, des crimes d’honneur, que de parler de l’abolition de la peine de mort.

Les quatre cinquièmes des peines de mort dans le Monde arabe et en Iran sont dues à des raisons politiques. Un avocat yéménite, Ahmad Alwadii, a recensé les cas où le législateur yéménite recours à la peine de mort, et il l’a trouvée dans le code criminel et pénal pour 126 actes, dans le code pénal militaire pour 166 actes, dans le code des drogues pour 33 actes, et dans le code des enlèvements et du vendetta pour 90 actes. Quant aux organisations des droits de l’Hommes, elles ont souligné que la plupart des cas de peine de mort en Iran sont de nature politique. En effet, il est malheureux qu’un islamiste défende la peine de mort alors que le taux des islamistes parmi ceux qui ont été victimes de cette peine est le plus élevé par rapport aux autres couleurs de l’opposition politique.

 

Au prime abord, et dans tout ce qui se rapporte au meurtre, il est entendu que les crimes d’Etat sont infiniment plus violents et plus graves que les meurtres commis par des individus. De plus, cette question ne concerne pas seulement la sûreté de l’Etat, mais elle touche également aux malheurs de la guerre, aux massacres collectifs et aux agressions. Il est également entendu que les crimes commis par des individus, quel que soit le degré de leur dangerosité et gravité, n’ont subi aucun effet positif du fait de l’existence, du gel ou de l’absence de la peine de mort. Le concept de l’intention pénale, de l’importance de la sanction/peine et de son efficacité a évolué depuis le premier siècle de l’ère chrétienne, et cette évolution a continué jusqu’à l’apparition de la Lex Conelia qui ne stipule plus la peine de mort. L’ironie du sort a voulu qu’avec la période du recul de l’Europe, Ibn Al-Arabi a été le premier qui a revendiqué l’annulation de la peine de mort car, « le Donneur de la vie, exalté soit-Il, est le Seul qui a le droit de l’enlever ». C’est la même idée sur laquelle s’est basé Victor Hugo lorsqu’il a dit, dans son discours au Parlement français, lors de son plaidoyer pour l’abolution de la peine de mort, émise en France à la même année (1848) : « Le dix-neuvième siècle est l’ère de l’abolition de la peine de mort. L'Homme n'a pas le droit de détruire ce que Dieu seul a crée. Or c'est Dieu qui a donné la vie au criminel. Donc les hommes n'ont pas le droit de la lui ôter». Mais le poète Lamartine avait précédé Victor Hugo en disant, dix ans auparavant, devant le Parlement : « Il ne faudrait pas qu’on connaisse comment craindre la mort, mais il faudrait plutôt qu’on apprenne comment respecter la vie ».

 

L’héritage stalinien n’est pas très différent de l’extrême droite occidentale (fasciste, nazie, néonazie, néoconservatrice, …) dans son attitude malheureuse et sa pratique repoussante de l’exécution judiciaire et extrajudiciaire. Cependant, la colonisation occidentale a porté/emmené avec lui la peine de mort aux pays colonisés et l’y a appliquée alors qu’elle était abrogée dans la métropole, ce qui montre clairement une attitude de mépris et de racisme. Quant à l’histoire de l’Egypte, elle ne peut ignorer le procès de Denshawai en 1906 qui a ramené les cordes de pendaison de la « Petite » Bretagne à l’Egypte ainsi que les exécution en public de paysans innocents contre qui le tribunal Al-Makhsouma (tribunal spécial mixte qui n’est surtout pas lié par le code pénal) a émis des peines de mort. On peut dire que le vingtième siècle a connu un fort mouvement abolitionniste, au cours duquel plus de 120 Etats ont adhéré à l'abolition de la peine capitale. En effet, il est devenu une fierté pour un ministre de la justice de préparer une loi pour l’annulation de cette peine. Lors d’une occasion similaire, le ministre suisse de la justice a dit : « Je n’imagine jamais qu’un Etat – sous le règne de la démocratie et les principes de l’humanité – puisse avoir le rôle d’un « bourreau ». Le rôle d’un Etat est d’arracher le mal de ses racines, de travailler en vue de faire réaliser l’erreur à celui qui l’a commise, et ce, à travers la réparation et l’éducation ». Et à son homologue belge de dit : « Nous avons appris que la voie du respect de la vie humaine consiste à refuser dans l’absolu de tuer une vie humaine au nom de la loi ». Quant à leur homologue français, il a dit, tout en étant fier que la France a été le premier pays européen à interdire la torture, et l’un des pays précurseurs dans l’abolition de l’esclavage, puis il a caché son enthousiasme nationaliste en regrettant que son pays soit le dernier à annuler la peine de mort en 1981. (les Révolutionnaires ont proposé l’annulation du système royal et l’annulation de la peine de mort la veille de la Révolution française, et les représentants du peuple ont débattu sur cette question en 1791, et elle a été annulée en France, pour la première fois, en 1848).

 

Quelle est la différence entre un cannibale qui mange la chair humaine et celui qui coupe les têtes des Hommes comme des animaux au nom de la loi ? Il ne s’agirait, peut-être, que d’une différence temporelle, mais aussi, civilisationnelle. C’est pour cela que Cheikh Abdallah Al-Alaili a considéré la peine de mort dans l’Islam comme faisant partie des décrets relatifs au temps, et non comme un décret absolu, tel que c’est le cas aussi pour les châtiments corporels qui sont, selon lui, applicables en fonction de leurs représentation, et non dans leur sens littérale.

Peut-être que l’acceptation du gel de la peine de mort par plusieurs pays et penseurs musulmans constitue une étape transitoire nécessaire vers l’idée de son abolition. Cependant, s’agit-il d’une crise culturelle et historique, ou bien y a-t-il des idéologies extrémistes dans notre vie quotidienne et qui se cachent derrière le texte coranique, des sentiments chauvinistes réactionnaires ou bien derrière la peste communautaire qui favorisent, pour empreinte la phrase du J. Imbert "l'amour des plaisirs cruels, l'instinct sanguinaire" ?

 

Le procès de Saddam Hussein ainsi que les images de son exécution ont fait ressurgir toutes les rancoeurs d’un passé enterré. Des fêtes le jour de l’aïd. Pis encore, des rites de vengeance dans la ville de la science et de la sagesse, à Nadjaf. Le parti politique sectaire a découvert les sentiments les plus instinctifs et les a exploités comme l’a fait la « Petite » Bretagne en 1941, lorsqu’elle a exécuté les trois officiers nationalistes iraquiens, et a soutenu l’exécution politique en 1949 lors de l’exécution des chefs du Parti Communiste … Et comme le rappelle Haifa Zankanah dans son article ‘Les programmes communiste et de Dawa (prédication) en Iraq : l’exécution est une revendication des masses’. Publié dans le journal « Ittihad al-Shaab », l'organe du parti, à la date du 13 mars 1959 : « Quant aux travailleurs d’Ain, ‘au nom des enfants innocents et des mères qui les ont perdus, au nom du sang pur des martyrs de Mossoul ... les cadavres des criminels corrompus ont été traînés dans la ville de Mossoul et ses villages ».

 

C’est une honte pour la vie politique dans un pays que les slogans glorifiant la peine de mort couvrent l'ensemble de sa géographie politique!

 

Selon une information que personne n’a démenti, le gouvernement iraqien est déterminé à appliquer la peine de mort lors du premier jour de l’Aïd-el-adha en ce qui concerne neuf femmes parmi 126 qui ont été toutes condamnées à mort. Il paraît que la « démocratie » à l’américaine demande/requiert l’utilisation de tous les moyens dans les campagnes électorales, de la corruption financière aux pots-de-vin en passant par l’instrumentation de la loi électorale et l’utilisation de toutes les bassesses sectaires, les rancoeurs enterrées et les bas instincts. La « Petite » Bretagne parlera d’un procès équitable même si elle est contre la peine de mort. L’administration Obama, on ne connaît pas encore sa position, cependant, il est à prévoir qu’elle n’interviendra pas dans « l’indépendance de la justice iraqienne ». Quant aux statistiques, elles nous rappèleront toujours que 91% des peines de morts n’ont lieu que dans six pays : la Chine, l’Iran, l’Iraq, le Pakistan, le Soudan et les Etats-Unis d’Amérique. La bataille qui nous oppose à la peine de mort est compliquée et difficile car elle est contre la sauvagerie qui siège dans l’inconscient de l’Homme, elle est contre l’obscurantisme masqué dans l’Occident et l’Orient, et contre la sacralisation de l’institution juridique et de ses décisions dans l’histoire arabe et islamique.

 

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Penseur arabe, militant des droits humains.

Publié en arabe dans Alquds alarabi, Londres,  26/11/2009 et d'autres

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