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Ils veulent y être. Tous. Les double canons, les braves, les
rouges, les barbus, les chiffes molles, les demis portions, la
poudre mouillée. Tous pensent être classés parmi les quarante
moustiques qui empêchent Ben Ali de faire la sieste. Un Top 40
de la résistance. Le Hit parade de ceux qui narguent le mieux
Ben Ali. Quarante enfoirés et têtes brûlées qui refusent de se
soumettre. Ils font l’objet de toute son attention. Toute la
boîte tourne pour eux. Il en prend soin, il les bichonne à coup
de coups fourrés. Ça les rend chèvres, ils font braire la terre
entière. Dés qu’il croit tenir le bon bout, voilà qu'ils brûlent
la corde. Ils gâchent le paysage, ils polluent son quotidien.
Des Fellaghas, ils frappent un coup et filent dans la nuit.
Impossible de les suivre à la trace, trop mobiles. Des
marvericks, ces chevaux sauvages qui s’écartent du troupeau. Des
Su’lûk, ces poètes brigands de la Jahilia, ces samouraïs sans
maître. C’est avec eux que Ben Ali fait le derby, qu’on s’en
raconte, qu’on se frotte les mécaniques. Cela fait un quart de
siècle ou presque que Ben Ali course cette fournée de bâtard.
Ben Ali chasseur en quête des quarante. La notoriété ? Le secret
de leur audience? Ils les doivent à Ben Ali. Si les Tunisiens
entendent parler d’eux, c’est parce que qu’un jour Ben Ali les a
désignés.
En haut du palmarès- le tableau de chasse de Ben Ali- on
reconnaît les mégastars, les divas : l’avocate Radhia Nassraoui
et la journaliste Sihem Bensedrine. Sophia Loren et Lolobrigida.
Suivies de près par l’inégalable Moncef Marzouki, alias Dr
Mabuse et le beau Hamma Hammami, notre Omar Sharif local. Au
firmament, on débusque la pamphlétaire Oum Ziad, Khémaies
Chammari dit « le sphinx qui renaît toujours de ses cendres »,
l’exilé politique Kamel Jendoubi, l’historien Mohamed Talbi,
père courage, et bien sûr le plus constant d’entre tous, Am Ali
Ben Salem, ancien maquisard.
Au top quarante, on ne peut pas ne pas insérer les
extranationaux, ceux-là mêmes qui ont porté et mouillé le
maillot de la résistance avec Brio. On les appelle, non sans
emphase, le bouclier médiatique tunisien. On retrouve Daniel
Mermet de France Inter, Jérome Bony de France 2, Alain Renon de
RFI, Stephane Bou de Charlie Hebdo, Florence Aubenas, Jean
Pierre Tuquoi du Monde, Nicolas Beau de Bakchich, Patrick Fiole
du nouvelobs.com, Christophe Ayad de Libération, Pierre Cherruau
du Courrier International, Hassane Zerrouky de l’Humanité,
Robert Menard, l’ex patron de Reporters Sans Frontières, Patrick
Baudouin, l’ancien président de la Fédération Internationale des
Droits de l’Homme ( FIDH), l’avocat William Bourdon, l’avocate
Nathalie Boudjerada, la député européenne Hélène Flautre, le
député Noel Mamère, notre pote Harlem Désir, Daniel Cohn-Bendit,
Daniel Ben Said, Alain Krevin, Eric Goldstein de Human Rights
Watch, Joel Campania du Committee to Protect Journalists,
Haytham Manna et Violette Daguerre de la Commission Arabe des
Droits de l’Homme, Donnatella Rovera d’Amnesty International, le
journaliste algerien Omar Belhouchet, le journaliste marocain
Ali Lmrabet, la journaliste helevetique Laurance Bezaguet, le
journaliste belge Baudoin Loos, Ayda Sayf Dawla d’Egypte,
l’écrivain Gilles Perrault, François Gèse de la Découverte,
Philippe Thureau Dangin d’Exils et Jean Claude Guillebaud du
Seuil. Certains d’entr’eux ne veulent plus entendre parler de la
p’tite Tunisie. D’autres ont changé de «Desk ». Mais Ben Ali
reste aux aguets. Il leur interdit de fouler le sol tunisien.
Ils sont toujours épinglés en haut du tableau. Un jour ou
l’autre ils payeront.
D’autres ont été déclassés. Ben Ali ne les considère plus. Il ne
danse plus sur leurs tubes. Des has been. Ils manquent
cruellement de visibilité. Parmi les déchus, il y a ces feux
follets qui ont brillé le temps d’une bourrasque médiatique. On
ne se rappelle plus du journaliste Kamel Laabidi, de
l’universitaire Larbi Chouikha, du sociologue Salah Hamzaoui,
des deux syndicalistes Tahar Chaieb et Abdelmajid Sahraoui, de
Maître Néjib Hosni, du troskiste Sadri Khiari, de l’expatriée
Olfa Lamloum, de l’avocat Jamaleddine Bida, de l’islamiste
Rached Ghannouchi, des deux féministes Bochra Belhadj Hamida et
Khadija Chérif, du président de Raid ( Attac Tunisie) Féthi
Chamkhi, de l’avocat Chawki Tabib, de l’économiste Abdeljalil
Bédoui, du couple Imen Derouiche et Nourreddine Ben Nticha, du
couple Ksila,des internautes de Takriz,des rédacteurs de Kaws El
Karama, du journal en ligne Tunizine,du clan Ben Brik,du
biznessman Khemaïes Toumi,du banquier Majid Bouden, d’Ali
Romdhane, l’homme fort de l’Union Générale des Travailleurs
Tunisiens et encore moins de l’universitaire Mezri Haddad, de
l’actuel bâtonnier Béchir Essid, de l’eternel étudiant Tahar
Gargoura et d’Elhechmi Hamdi, directeur de la chaine londonienne
Almostakilla, qui ont tourné casaque. Des vendus à Ben Ali en
hébreu.
De nouvelles étoiles qui brillent de tout leurs éclats ont pris
place au podium. Parmi les nouvelles têtes, apparaît le
prisonnier politique Mohamed Abou, le journaliste Slim
Boukhdhir, le syndicaliste du bassin minier de Gafsa Adnène
Hajji, le leader Néjib Chebbi, la toute nouvelle présidente du
Parti Démocratique Progressiste, Maya Jribi, le président
légitime du Syndicat des Journalistes Tunisiens, Néji Baghouri
et les deux avocats Ayachi Hammami et Raouf Ayadi. Les deux «
teignes » du microcosme.
Au purgatoire, il y a la galerie des « ni-ni », « les aigres
doux », ceux que Ben Ali a mis en veilleuse sans les éteindre
complètement. Il me semble reconnaître l’actuel président de la
Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme Mokhtar Trifi, l’ancien
président d’Amnesty International Mahmoud Ben Romdhane,
l’actuelle présidente de la FIDH Souhayr Belhassen, l’actuelle
présidente de l’Association Tunisiennes des Femmes Démocrates,
Sana Ben Achour, l’actuel président de la ligue Tunisienne des
Ecrivains Libres Jalloul Azzouna, le propriétaire de la TV Al
Hiwar,Tahar Belhassine et le très lisse monsieur Mustapha Ben
Jaafar, chef du forum, un parti fantoche.
Il y a aussi ceux qui sont tombés au champ de bataille ( pour
cause de décès) : l’ancien bâtonnier Mohamed Chakroun, le très
controversé Mohamed Charfi, ancien ministre de Ben Ali et feu
Zouheir Yahyaoui, l’internaute fou...
A chaque survivant Ben Ali a concocté un dossier en guise
d’auréole, de scalp : boîtes d’archives, des heures d’écoutes
téléphoniques, des kilomètres de télécopies, des cartons de
coupures de presse, des cassettes vidéo et un amoncellement de
rapports rédigés par les voisins, les cousins, l’épicier, le
cafetier, le vendeur de journaux à la criée, le cireur, la femme
de ménage, le gardien de l’immeuble, le jardinier, le chauffeur
de taxi. Il connaît tout : la marque de leur brosse à dents, le
jour de leur circoncision, leurs plats préférés, le cercle de
leurs amis, leurs dossiers médicaux, leurs bulletins scolaires,
leurs factures d’eau et de gaz, les souches de leurs chéquiers,
les photos de leurs enfants, de leurs femmes, de leurs frères et
sœurs, de leurs cousins et cousines, jusqu’aux cent quidams qui
un jour ou l’autre les ont salué par mégarde. Il les poursuit à
travers leurs hobbies, l’amas et le fatras de leur vie. Ben Ali,
voit ce qu’ils voient, entend ce qu’ils entendent, parle comme
ils parlent. Il n’a plus de vie hors leur vie. Une parfaite
doublure.
La
poursuite d’un sosie.
Taoufik Ben Brik
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