Le 2 juillet, Amnesty
International a publié un long rapport sur la guerre menée par
Israël contre Gaza,
Israel/Gaza : Operation “Cast Lead” : 22 days of death and
destruction. Un communiqué de la section France de
l’organisation, « L’impunité
pour les crimes de guerre commis à Gaza et dans le sud d’Israël
annonce de nouvelles souffrances pour les civils », résume
les principales conclusions du texte.
Pour l’essentiel, ce
texte concerne Israël, mais il mentionne aussi le Hamas, qu’il
accuse de crimes de guerre pour avoir tiré des roquettes
délibérément sur des populations civiles. Je ne reviendrai pas
sur cet aspect qui revient à chaque conflit (les deux parties
ont commis des crimes, mais y-a-t-il vraiment une équivalence
entre un Etat et une organisation armée ?), que ce soit celui du
Liban de 2006 ou celui de Gaza. Je les avais abordés dans
d’autres envois plus anciens, « Les
lois de la guerre » (27 octobre 2008) et « Crimes
de guerre (suite) » (13 septembre 2006).
En revanche, le rapport
d’Amnesty International permet de répondre à nombre de
contre-vérités proférées durant la guerre de Gaza, notamment « les
mensonges de Bernard-Henri Lévy ».
D’abord, le nombre de
victimes. Les enquêteurs d’Amnesty confirment le chiffre de 1400
morts, dont 300 enfants et plus d’une centaine de femmes. Les
chiffres donnés par l’armée israélienne (1200 morts, en grande
majorité des gens armés) ne reposent sur aucune donnée : elle a
refusé de donner les noms des guérilleros qu’elle prétend avoir
identifié.
Les enquêteurs d’Amnesty
affirment que toutes les morts civiles palestiniennes ne
résultent pas d’une politique délibérée. Certains ont été tués
dans des opérations militaires légitimes (à aucun moment le
rapport ne parle d’un élément important, la légalité de
l’attaque israélienne elle-même du point de vue du droit
international ; sur cet aspect, lire Richard Falk, « Nécessaire
inculpation des responsables de l’agression contre Gaza »,
Le Monde diplomatique, mars 2009.)
« Toutefois, poursuit le
rapport, la mort de plusieurs centaines de civils palestiniens
non impliqués dans le conflit, y compris 300 enfants, ne peut
être réduite à des “dommages collatéraux” (...) ou à des
erreurs. Ils ne peuvent pas être attribués non plus à des
réactions de panique de soldats isolés opérant sous le feu. »
« Les attaques qui ont
provoqué le plus de morts et de blessés ont été menées par des
armes de longue portée à haute précision tirées d’avions,
d’hélicoptères et de drones ou bien par des chars stationnés à
plusieurs kilomètres de l’objectif, souvent contre des objectifs
sélectionnés (ce qui signifie que les tirs avaient fait l’objet
d’une autorisation de la chaîne de commandement). Ces victimes
n’ont donc pas été faites dans des tirs croisés et des batailles
entre des militants palestiniens et les forces israéliennes. »
A plusieurs reprises,
les responsables israéliens ont montré le peu d’intérêt qu’ils
avaient pour les pertes palestiniennes. A une question posée par
un journaliste affirmant que les pertes palestiniennes à Gaza
étaient cent fois supérieures aux pertes israéliennes, le
ministre de l’intérieur Meir Sheerit répondait : « C’est le sens
de l’opération. » De plus, les autorités israéliennes ont
considéré toute institution plus ou moins liée au Hamas comme un
objectif légitime, y compris le parlement, divers ministères,
des médias, etc., « qui n’étaient pas impliqués dans les
hostilités », ce qui « sape les principes du droit international
humanitaire qui fait la distinction entre civils et
combattants ».
La population
palestinienne a-t-elle été prise en otage par le Hamas ? Non,
répond le rapport d’Amnesty, et le communiqué en français de
l’organisation précise :
« Après avoir enquêté
sur plusieurs attaques, Amnesty International a conclu que les
victimes n’avaient pas été prises entre deux feux durant les
affrontements entre militants palestiniens et troupes
israéliennes, pas plus qu’elles n’avaient servi de boucliers
humains à des militants ou à des objectifs militaires. Beaucoup
ont péri dans le bombardement de leur maison, pendant leur
sommeil. D’autres étaient assises dans leur cour ou étendaient
du linge sur leur terrasse. Les enfants ont été touchés alors
qu’ils jouaient dans leur chambre, sur le toit ou près de chez
eux. Les secouristes et les ambulanciers ont été agressés à
plusieurs reprises alors qu’ils s’efforçaient de porter secours
aux blessés ou de récupérer les corps des victimes. »
Cette idée que les
Palestiniens ont été pris en otage est un des lieux communs
répétés par les médias dès qu’ils parlent des événements de
Gaza ; elle fait partie des mensonges dont nous a abreuvés
Bernard-Henri Lévy.
Le rapport précise aussi
que les forces israéliennes ont, à plusieurs reprises, ciblés
des ambulances et des équipes médicales ; que des civils qui
auraient pu être sauvés sont morts parce que les Israéliens ont
refusé le passage des ambulances, que, à plusieurs reprises, les
troupes israéliennes ont contraint des civils à leur servir de
boucliers humains.
Enfin, l’argument avancé
selon lequel l’armée israélienne aurait prévenu les populations
concernées de bombardements et les aurait appelées à fuir est
considéré comme nul et non avenu, dans la mesure où les
habitants ne pouvaient fuir nulle part, toutes les issues de
Gaza étant fermées.
Le rapport demande
l’arrêt du transfert d’armes vers Israël, le Hamas et tous les
groupes armés. Il est intéressant de noter que, contrairement
aux gouvernements occidentaux dont la seule préoccupation est de
stopper le transfert d’armes au mouvement Hamas, Amnesty appelle
aussi à viser Israël. Sur les transferts d’armes, on notera le
livre publié par le Groupe de recherche et d’information sur la
sécurité (GRIP), « Qui
arme Israël et le Hamas ? La Paix pass(é)e par les armes ? »
(Patrice Bouveret, Pascal Fenaux, Caroline Pailhe, Cédric
Poitevin).
Le rapport d’Amnesty
poursuit en affirmant que le gouvernement israélien a refusé de
mener la moindre enquête sérieuse sur les violations du droit
international (ce qui, souligne l’organisation, justifie la mise
en œuvre du principe de la compétence universelle pour juger des
responsables israéliens devant des tribunaux étrangers).
Cette perspective
inquiète les responsables israéliens. On savait que, au
lendemain du conflit à Gaza, le gouvernement s’était engagé à
donner aide et appui à tout responsable qui serait poursuivi à
l’étranger pour crimes de guerre (lire, par exemple, Yaakov
Katz, « Security
and Defense : Preparing for ’the day after’ », The Jerusalem
Post, 15 janvier 2009).
Mais la multiplication
des rapports accablants pour l’armée israélienne suscite de
nouvelles inquiétudes. Dans un article du Jerusalem Post du 3
juillet 2009, « Israel
worries over intense ’legal war’ », Amir Mizroch note que,
en quelques jours, ont été publiés le rapport d’Amnesty
International, celui de Human Rights Watch (« Israël :
Le mauvais usage de drones a causé la mort de civils à Gaza »,
30 juin), celui de la Croix-Rouge internationale (« Gaza :
1.5 million people trapped in despair », 29 juin), sans
parler de l’ouverture des auditions de la commission
internationale des Nations unies présidée par le juge
sud-africain Richard Goldstone. Un des dilemmes que souligne cet
article est qu’il faudrait, pour éviter d’être attaqué devant
des tribunaux étrangers, que l’armée israélienne mène des
enquêtes sur toutes les plaintes déposées. Or, tout prouve que
l’armée enterre ces plaintes et ne mène, comme le souligne le
rapport d’Amnesty, aucune enquête sérieuse.
Où sont RSF et
Bernard-Henri Lévy ?
Il y a un an, un
journaliste palestinien de Gaza, Mohammed Omer, partait pour le
Royaume-Uni où il devait recevoir un prix. A la frontière, il
fut déshabillé, battu, torturé. Nous avions publié alors un
témoignage d’un de ses collègues, Dahr Jamail, sur cette
affaire, « “Pressions
physiques modérées” en Palestine ». Un an plus tard, Omer
lui-même revient sur ce drame et sur l’impossibilité d’obtenir
réparation, dans un texte qu’a traduit le site Info-Palestine,
« Un
journaliste humilié et battu - Un an après », 30 juin 2009.
Il écrit notamment :
« Le correspondant de
Jerusalem du Los Angeles Times, Ashraf Khalil, a conduit une
enquête concernant mon cas et notait dans son article du 3
novembre 2008, que mes dossiers médicaux décrivent : “Mollesse
dans la partie antérieure du cou et dans le haut du dos,
notamment le long des côtes droites, douleur modérée à sévère”,
et “pour raison de douleurs, l’examen du scrotum réalisé a
révélé une varicocèle (dilatation variqueuse des veines du
cordon spermatique) sur le côté gauche et une opération a été
décidée plus tard”. De la fièvre et une chute n’occasionnent pas
des marques si distinctives. Des coups de pieds, de poings et
autres raclées le font. Poursuivant, Khalil explique que
“Mahmoud Tarary, personnel soignant est arrivé dans une
ambulance de la Société du Croissant Rouge Palestinien et dit
avoir trouvé Omer dans un état semi-conscient, avec des
meurtrissures sur son cou et sa poitrine. Tararya dit que les
officiers de la sécurité israéliens étaient en train de demander
à Omer de signer “une sorte de formulaire écrit en hébreu”.
L’employé paramédical dit qu’il est intervenu, a séparé Omer des
soldats et l’a chargé dans l’ambulance, où il est resté dans un
état semi-conscient lors de la majeure partie du voyage jusqu’à
l’hôpital.” »
« Khalil note dans son
article que Richard Falk, Rapporteur spécial des Nations unies
sur les droits de l’homme, a écrit à Verhagen, ministre des
Affaires Etrangères des Pays-Bas, et a déclaré : “J’ai examiné
la crédibilité de M. Omer et sa narration de la suite des
évènements, et je les trouve parfaitement crédibles et
corrects.” »
« Se relever mentalement
et physiquement de torture et interrogatoire est loin d’être
simple. Ceci ne devrait arriver à personne. Mon objectif
concernant mon dossier est d’attirer l’attention sur les droits
humains universels, les droits de la liberté d’expression et la
liberté de mouvement. Il y a des endroits dans ce monde où ces
libertés n’existent pas. Israël clame ne pas être un de ces
endroits, mais aussi bien le gouvernement et la complicité de
journalistes prenant individuellement part à dissimuler ce
qu’ils m’ont fait, me prouvent le contraire. Ironiquement, le
jour où le Shin Bet a choisi de me détenir, m’interroger et me
torturer - le 26 juin - était la date choisie par les groupes de
défense des droits de l’homme comme Journée Internationale
contre la Torture. »
dimanche 5 juillet 2009
|