dimanche 5 juillet 2009, par Alain Gresh
Le 2 juillet, Amnesty International a publié un long rapport sur
la guerre menée par Israël contre Gaza,
Israel/Gaza : Operation “Cast Lead” : 22 days of death and
destruction.
Un communiqué de la section France de l’organisation, « L’impunité
pour les crimes de guerre commis à Gaza et dans le sud d’Israël
annonce de nouvelles souffrances pour les civils »,
résume les principales conclusions du texte.
Pour l’essentiel, ce texte concerne Israël, mais il mentionne
aussi le Hamas, qu’il accuse de crimes de guerre pour avoir tiré
des roquettes délibérément sur des populations civiles. Je ne
reviendrai pas sur cet aspect qui revient à chaque conflit (les
deux parties ont commis des crimes, mais y-a-t-il vraiment une
équivalence entre un Etat et une organisation armée ?), que ce
soit celui du Liban de 2006 ou celui de Gaza. Je les avais
abordés dans d’autres envois plus anciens, « Les
lois de la guerre »
(27 octobre 2008) et « Crimes
de guerre (suite) »
(13 septembre 2006).
En revanche, le rapport d’Amnesty International permet de
répondre à nombre de contre-vérités proférées durant la guerre
de Gaza, notamment « les
mensonges de Bernard-Henri Lévy ».
D’abord, le nombre de victimes. Les enquêteurs d’Amnesty
confirment le chiffre de 1400 morts, dont 300 enfants et plus
d’une centaine de femmes. Les chiffres donnés par l’armée
israélienne (1200 morts, en grande majorité des gens armés) ne
reposent sur aucune donnée : elle a refusé de donner les noms
des guérilleros qu’elle prétend avoir identifié.
Les enquêteurs d’Amnesty affirment que toutes les morts civiles
palestiniennes ne résultent pas d’une politique délibérée.
Certains ont été tués dans des opérations militaires légitimes
(à aucun moment le rapport ne parle d’un élément important, la
légalité de l’attaque israélienne elle-même du point de vue du
droit international ; sur cet aspect, lire Richard Falk, « Nécessaire
inculpation des responsables de l’agression contre Gaza »,
Le Monde diplomatique, mars 2009.)
« Toutefois,
poursuit le rapport, la mort de plusieurs centaines de civils
palestiniens non impliqués dans le conflit, y compris 300
enfants, ne peut être réduite à des “dommages collatéraux”
(...) ou à des erreurs. Ils ne peuvent pas être attribués non
plus à des réactions de panique de soldats isolés opérant sous
le feu. »
« Les attaques qui ont provoqué le plus de morts et de blessés
ont été menées par des armes de longue portée à haute précision
tirées d’avions, d’hélicoptères et de drones ou bien par des
chars stationnés à plusieurs kilomètres de l’objectif, souvent
contre des objectifs sélectionnés (ce qui signifie que les tirs
avaient fait l’objet d’une autorisation de la chaîne de
commandement). Ces victimes n’ont donc pas été faites dans des
tirs croisés et des batailles entre des militants palestiniens
et les forces israéliennes. »
A plusieurs reprises, les responsables israéliens ont montré le
peu d’intérêt qu’ils avaient pour les pertes palestiniennes. A
une question posée par un journaliste affirmant que les pertes
palestiniennes à Gaza étaient cent fois supérieures aux pertes
israéliennes, le ministre de l’intérieur Meir Sheerit
répondait : « C’est le sens de l’opération. » De plus,
les autorités israéliennes ont considéré toute institution plus
ou moins liée au Hamas comme un objectif légitime, y compris le
parlement, divers ministères, des médias, etc., « qui
n’étaient pas impliqués dans les hostilités », ce qui
« sape les principes du droit international humanitaire qui fait
la distinction entre civils et combattants ».
La population palestinienne a-t-elle été prise en otage par le
Hamas ? Non, répond le rapport d’Amnesty, et le communiqué en
français de l’organisation précise :
« Après avoir enquêté sur plusieurs attaques, Amnesty
International a conclu que les victimes n’avaient pas été prises
entre deux feux durant les affrontements entre militants
palestiniens et troupes israéliennes, pas plus qu’elles
n’avaient servi de boucliers humains à des militants ou à des
objectifs militaires. Beaucoup ont péri dans le bombardement de
leur maison, pendant leur sommeil. D’autres étaient assises dans
leur cour ou étendaient du linge sur leur terrasse. Les enfants
ont été touchés alors qu’ils jouaient dans leur chambre, sur le
toit ou près de chez eux. Les secouristes et les ambulanciers
ont été agressés à plusieurs reprises alors qu’ils s’efforçaient
de porter secours aux blessés ou de récupérer les corps des
victimes. »
Cette idée que les Palestiniens ont été pris en otage est un des
lieux communs répétés par les médias dès qu’ils parlent des
événements de Gaza ; elle fait partie des mensonges dont nous a
abreuvés Bernard-Henri Lévy.
Le rapport précise aussi que les forces israéliennes ont, à
plusieurs reprises, ciblés des ambulances et des équipes
médicales ; que des civils qui auraient pu être sauvés sont
morts parce que les Israéliens ont refusé le passage des
ambulances, que, à plusieurs reprises, les troupes
israéliennes ont contraint des civils à leur servir de boucliers
humains.
Enfin, l’argument avancé selon lequel l’armée israélienne aurait
prévenu les populations concernées de bombardements et les
aurait appelées à fuir est considéré comme nul et non avenu,
dans la mesure où les habitants ne pouvaient fuir nulle part,
toutes les issues de Gaza étant fermées.
Le rapport demande l’arrêt du transfert d’armes vers Israël, le
Hamas et tous les groupes armés. Il est intéressant de noter
que, contrairement aux gouvernements occidentaux dont la seule
préoccupation est de stopper le transfert d’armes au mouvement
Hamas, Amnesty appelle aussi à viser Israël. Sur les transferts
d’armes, on notera le livre publié par le Groupe de recherche et
d’information sur la sécurité (GRIP), « Qui
arme Israël et le Hamas ? La Paix pass(é)e par les armes ? »
(Patrice Bouveret, Pascal Fenaux, Caroline Pailhe, Cédric
Poitevin).
Le rapport d’Amnesty poursuit en affirmant que le gouvernement
israélien a refusé de mener la moindre enquête sérieuse sur les
violations du droit international (ce qui, souligne
l’organisation, justifie la mise en œuvre du principe de la
compétence universelle pour juger des responsables israéliens
devant des tribunaux étrangers).
Cette perspective inquiète les responsables israéliens. On
savait que, au lendemain du conflit à Gaza, le gouvernement
s’était engagé à donner aide et appui à tout responsable qui
serait poursuivi à l’étranger pour crimes de guerre (lire, par
exemple, Yaakov Katz, « Security
and Defense : Preparing for ’the day after’ »,
The Jerusalem Post, 15 janvier 2009).
Mais la multiplication des rapports accablants pour l’armée
israélienne suscite de nouvelles inquiétudes. Dans un article du
Jerusalem Post du 3 juillet 2009, « Israel
worries over intense ’legal war’ »,
Amir Mizroch note que, en quelques jours, ont été publiés le
rapport d’Amnesty International, celui de Human Rights Watch (« Israël :
Le mauvais usage de drones a causé la mort de civils à Gaza »,
30 juin), celui de la Croix-Rouge internationale (« Gaza :
1.5 million people trapped in despair »,
29 juin), sans parler de l’ouverture des auditions de la
commission internationale des Nations unies présidée par le juge
sud-africain Richard Goldstone. Un des dilemmes que souligne cet
article est qu’il faudrait, pour éviter d’être attaqué devant
des tribunaux étrangers, que l’armée israélienne mène des
enquêtes sur toutes les plaintes déposées. Or, tout prouve que
l’armée enterre ces plaintes et ne mène, comme le souligne le
rapport d’Amnesty, aucune enquête sérieuse.
Où sont RSF et Bernard-Henri Lévy ?
Il y a un an, un journaliste palestinien de Gaza, Mohammed Omer,
partait pour le Royaume-Uni où il devait recevoir un prix. A la
frontière, il fut déshabillé, battu, torturé. Nous avions publié
alors un témoignage d’un de ses collègues, Dahr Jamail, sur
cette affaire, « “Pressions
physiques modérées” en Palestine ».
Un an plus tard, Omer lui-même revient sur ce drame et sur
l’impossibilité d’obtenir réparation, dans un texte qu’a traduit
le site Info-Palestine, « Un
journaliste humilié et battu - Un an après »,
30 juin 2009. Il écrit notamment :
« Le correspondant de Jerusalem du
Los Angeles Times, Ashraf Khalil, a conduit une enquête
concernant mon cas et notait dans son article du 3 novembre
2008, que mes dossiers médicaux décrivent : “Mollesse dans la
partie antérieure du cou et dans le haut du dos, notamment le
long des côtes droites, douleur modérée à sévère”, et “pour
raison de douleurs, l’examen du scrotum réalisé a révélé une
varicocèle (dilatation variqueuse des veines du cordon
spermatique) sur le côté gauche et une opération a été décidée
plus tard”. De la fièvre et une chute n’occasionnent pas des
marques si distinctives. Des coups de pieds, de poings et autres
raclées le font. Poursuivant, Khalil explique que “Mahmoud
Tarary, personnel soignant est arrivé dans une ambulance de la
Société du Croissant Rouge Palestinien et dit avoir trouvé Omer
dans un état semi-conscient, avec des meurtrissures sur son cou
et sa poitrine. Tararya dit que les officiers de la sécurité
israéliens étaient en train de demander à Omer de signer “une
sorte de formulaire écrit en hébreu”. L’employé paramédical dit
qu’il est intervenu, a séparé Omer des soldats et l’a chargé
dans l’ambulance, où il est resté dans un état semi-conscient
lors de la majeure partie du voyage jusqu’à l’hôpital.” »
« Khalil note dans son article que Richard Falk, Rapporteur
spécial des Nations unies sur les droits de l’homme, a écrit à
Verhagen, ministre des Affaires Etrangères des Pays-Bas, et a
déclaré : “J’ai examiné la crédibilité de M. Omer et sa
narration de la suite des évènements, et je les trouve
parfaitement crédibles et corrects.” »
« Se relever mentalement et physiquement de torture et
interrogatoire est loin d’être simple. Ceci ne devrait arriver à
personne. Mon objectif concernant mon dossier est d’attirer
l’attention sur les droits humains universels, les droits de la
liberté d’expression et la liberté de mouvement. Il y a des
endroits dans ce monde où ces libertés n’existent pas. Israël
clame ne pas être un de ces endroits, mais aussi bien le
gouvernement et la complicité de journalistes prenant
individuellement part à dissimuler ce qu’ils m’ont fait, me
prouvent le contraire. Ironiquement, le jour où le Shin Bet a
choisi de me détenir, m’interroger et me torturer - le 26 juin -
était la date choisie par les groupes de défense des droits de
l’homme comme Journée Internationale contre la Torture. »
Source :
http://blog.mondediplo.net/2009-07-05-Le-rapport-d-Amnesty-International-sur-la-guerre
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