Il y avait déjà les « sept
mercenaires », les « douze salopards », voici les « treize
tortionnaires ». Il ne s'agit pas d'un film, mais de la liste,
diffusée par le site
américain Salon.com, des
treize officiels américains responsables du recours à la torture
dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme ». Un élément
de plus dans la formidable polémique entourant les dossiers
noirs de l'ère Bush qui empoisonnent les débuts de Barack Obama.
A l'image de la France, qui
a été hantée pendant des décennies par la question de la torture
en Algérie, les Etats-Unis n'en sont qu'au début d'un long
calvaire provoqué par cet héritage empoisonné légué par
l'administration Bush.
L'échange acrimonieux cette
semaine, entre Barack Obama et l'ancien vice-président Dick
Cheney, autour des prisonniers de Guantanamo, ainsi que le refus
des sénateurs démocrates de voter les fonds nécessaires pour
fermer l'indigne camp de prisonniers situé sur l'île cubaine,
montre l'ampleur des dégâts.
Cette liste est
intéressante, car, à côté des noms les plus connus -Bush,
Cheney, Rumsfeld, Tenet…-, on trouve les petites mains obscures
nécessaires dans toute dérive totalitaire : celle des juristes
qui rédigent les actes nécessaires dans ce qui se veut toujours
un Etat de droit, des psychologues qui déterminent quelles
tortures sont acceptables et d'autres pas… Sans eux, la façade
démocratique ne tiendrait pas.
Voici, dans l'ordre donné
par Marcy Wheeler sur Salon.com, ces douze hommes et une femme
qui portent cette lourde responsabilité, et qui échappent, pour
l'instant, à toute action en justice.
-Dick Cheney,
vice-président de George W. Bush
Vice-Président des
Etats-Unis pendant les deux mandats de George W. Bush
(2001-2009).
Avec son conseiller David
Addington (lire ci-dessous), il a déterminé au lendemain du
11-Septembre que les lois internationales ne pouvaient pas
empêcher les Etats-Unis de pratiquer la torture dans le cadre de
leur guerre contre le terrorisme.
Cheney est soupçonné
d'avoir ordonné lui-même des actes de torture sur des
prisonniers.
-David Addington,
conseiller de Dick Cheney
Conseiller (2001-2005),
puis chef de cabinet (2005-2009) du vice-président Dick Cheney.
Addington a pris la tête de la croisade pour justifier le fait
que le président des Etats-Unis ne pouvait pas être limité par
la loi, pas même celle qui interdit la torture.
Il a créé un « Conseil de
guerre » avec Jim Haynes, John Yoo, John Rizzo et Alberto
Gonzales (lire ci-dessous), chargé de faire le travail légal
pour permettre la torture.
-Alberto Gonzales,
conseiller juridique puis ministre de la Justice
Conseiller juridique de la
Maison-Blanche (2001-2005) puis Attorney General (l'équivalent
du ministre de la Justice) des Etats-Unis (2005-2008), Gonzales
a incarné l'« opinion légale » du Président. A ce titre, en
2002, il a exempté des prisonniers membres d'Al
Qaeda du cadre légal des
Conventions de Genève,
estimant que la guerre contre le terrorisme était « une autre
forme de guerre ».
-James Mitchell,
psychologue militaire
Psychologue militaire à la
retraite, un des artisans du
programme Sere
(acronyme pour « Survival, Evasion, Resistance and Escape ») de
l'armée américaine qui a servi de base à certaines méthodes
d'interrogatoire musclé.
Avant même le feu vert
légal, Mitchell a personnellement supervisé l'interrogatoire
d'un membre d'Al Qaeda avec des méthodes « borderline torture »
(à la limite de la torture), et a pratiqué la méthode de la
simulation de noyade au-delà de ce qui était légalement
prescrit.
-George Tenet, directeur de
la CIA
Dirceteur de la CIA (1997 à
2004), Tenet a eu la responsabilité suprême pour le programme de
capture, de détention et d'interrogatoire des membres présumés
d'Al Qaeda, et devait en rendre compte personnellement au sommet
de l'Exécutif. C'est sous sa responsabilité que le programme
Sere a été inversé pour servir de technique d'interrogatoire.
-Condoleeza Rice,
conseillère à la Sécurité nationale puis secrétaire d'Etat
Conseillère à la Sécurité
nationale (2001-2005), puis secrétaire d'Etat (ministre des
Affaires étrangères) de 2005 à 2009, Rice a approuvé (elle dit
aujourd'hui qu'elle a « transmis l'approbation ») le premier
recours à la torture contre le membre présumé d'Al Qaeda, le
Saoudien d'origine palestinienne
Abu Zubaydah
en 2002. Ce feu vert a conduit à un usage accru de la torture
contre ce prisonnier.
-John Yoo (justice)
Vice-Attorney General
adjoint (2001-2003), Yoo a rédigé les premiers mémorandums
établissant les règles de la torture, et déterminant les
pouvoirs illimités du Président en temps de guerre. Il a aussi
rédigé les textes garantissant l'impunité pour les auteurs de
ces actes.
-Jay Bybee (justice)
Attorney General adjoint
(2001-2003), ByBee a donné son nom à deux mémorandums sur la
torture préparés par son adjoint John Yoo (voir ci-dessus). A
été promu juge après avoir signé les deux documents désirés
ardemment par la Maison Blanche.
-William « Jim » Haynes
(Pentagone)
Conseiller juridique du
département de la Défense (2001-2008), il a supervisé les bases
légales des techniques d'interrogatoire des prisonniers détenus
par l'armée. Il a en particulier servi d'intermédiaire entre les
spécialistes du programme Sere et la CIA, qui, dès la fin 2001,
s'est posé la question des interrogatoires de prisonniers d'Al
Qaeda.
Haynes a délibérément
ignoré les avis provenant de l'intérieur de l'institution
militaire, estimant que ces techniques violaient les règles sur
la torture et du traitement « humain ».
-Donald Rumsfeld,
secrétaire à la Défense
Secrétaire à la défense
(2001-2006), Rumsfeld a approuvé les méthodes d'interrogatoire
des militaires dans les prisons d'Abu
Ghraib (Irak), de
Bagram
(Afghanistan), et de
Guantanamo
(Cuba). Son feu vert a déplacé le recours à la torture de la CIA
à l'armée. Un récent rapport bipartisan du Sénat américain lui
attribue la responsabilité directe de l'usage de ces méthodes
d'interrogatoire à Guantanamo, y compris le recours à des chiens
ou à la nudité.
-John Rizzo (CIA)
Vice-Conseiller juridique
de la CIA (2002-2004), puis conseiller juridique encore en poste
(2004 à aujourd'hui), son nom apparait sur bon nombre de
documents controversés relatifs à la torture, et même s'il a
qualifié certaines méthodes d'inefficaces, il les a approuvées
et a recommandé à la CIA de demander l'autorisation de les
utiliser.
-Steven Bradbury (justice)
Premier Vice Attorney
General adjoint (2004), puis Attorney General Adjoint
(2005-2009), il a été chargé en 2005 de contrer un rapport de
l'inspecteur général de la CIA estimant que les méthodes
d'interrogatoire pourraient violer la Convention internationale
contre la torture.
Dans ses mémorandums, il
pèse le pour et le contre, mais considère ces méthodes comme
« nécessaires dans les cas de grave menace ».
-George W. Bush, président
des Etats-Unis
George W. BUsh a
initialement gardé ses distances avec les questions liées à la
torture, et, selon Cheney, s'est contenté de les autoriser… Mais
il en est devenu le premier défenseur et avocat, défendant,
notamment en 2006 à propos du cas d'Abu Zubaydah, leur
efficacité et leur nécessité. Et, selon la logique de ses
principaux partisans, s'il ne s'y est pas opposé, c'est que ce
n'était pas de la torture. CQFD.
On comprend mieux pourquoi
Dick Cheney, cette semaine, est monté au créneau pour s'opposer
à Barack Obama, dans un échange de discours assez extraordinaire
et assez exemplaires de valeurs opposées : celles de la sécurité
nationale par dessus tout pour l'ancien Vice-Président, contre
celles d'Obama qui défend l'idée que la sécurité des Etats-Unis
n'est pas incompatible avec le maintien de ses valeurs, et en
particulier celles des droits de l'homme.
Là où ça se complique,
c'est lorsque les démocrates cèdent aux sirènes sécuritaires, et
ne trouvent pas grand intérêt à aider Obama à tenir sa première
promesse de son mandat : fermer Guantanamo. Ou quand on apprend
que
Nancy Pelosi, la
présidente démocrate de la Chambre des Représentant, avait été
informée dès 2002-2003 des
techniques d'interrogatoire de la CIA, et n'avait rien dit…
Ce débat est passionnant
pour le monde entier, car il est évident qu'aucune démocratie
n'est à l'abri d'un tel dérapage, surtout après un événement
aussi traumatisant que les attentats du 11 septembre.
On lira également avec
intérêt, pour alimenter ce débat, la traduction française des
mémorandums sur la torture rendus publics en avril par
l'administration Obama. Ils viennent d'être publiés sous le
titre « Techniques d'interrogatoire à l'usage de la CIA », aux
éditions des Equateurs,
avec une préface de Jean-Pierre Perrin dont on extraira la
phrase suivante :
« Le combat pour découvrir
l'étendue de ce continent de l'ombre ne fait d'ailleurs que
commencer. Il ne sera pas facile. La publication des quatre
mémorandums a d'ores et déjà suscité une violente polémique au
sein de l'administration américaine. De hauts responsables de la
CIA craignaient que cette décision ne suscite un dangereux
précédent.
Si Obama est passé outre,
il est à craindre que la poursuite de l'enquête, au fur et à
mesure qu'elle approchera les hauts responsables ayant permis à
cette part d'ombre de prospérer au sein du pouvoir, se heurte à
des obstacles de plus en plus élevés. (…)
Que celle-ci puisse aboutir
est une nécessité absolue. Pour la démocratie bien sûr. Mais
aussi, si l'on opte pour la version cynique des choses, parce
que l'exigence de vérité fait partie de la guerre contre les
forces obscures. »
http://www.rue89.com:80/2009/05/23/la-torture-sous-bush-la-liste-des-treize-tortionnaires
|