jeudi 26 mars 2009
On se souvient du scandale. En septembre 2001,
à Durban,
la troisième session des Conférences mondiales contre le
racisme s’était achevée dans le chaos. Au cœur du débat,
cette question : le sionisme est-il raciste ? Alors que les
États-Unis et Israël avaient claqué la porte déjà depuis
plusieurs jours, la Conférence adoptait finalement un texte
modéré dans lequel les participants se disaient prudemment
« préoccupés par le sort du peuple palestinien vivant
sous l’occupation étrangère », et reconnaissaient son
« droit inaliénable à l’autodétermination et à la création
d’un État indépendant ». La tempête, en revanche, ne
s’était pas apaisée dans le forum des ONG qui se tenait
parallèlement à la Conférence. Leur texte final qualifiait
bel et bien Israël d’« État raciste », l’accusait
« d’actes de génocide » et d’« apartheid ». La
foire d’empoigne qui s’ensuivait donnait lieu à des
débordements incontestablement antisémites. Plusieurs ONG
importantes, parmi les six mille présentes, s’étaient
d’ailleurs désolidarisées de certaines formulations. Mais
faut-il rappeler le contexte ? En Israël,
Ariel Sharon était à la tête du gouvernement depuis le mois
de février. Il avait décrété que Yasser Arafat n’était plus
un partenaire pour la paix. Dans les territoires
palestiniens, la deuxième Intifada était à son point
culminant. Et, deux
jours après la clôture, les attentats contre les tours
jumelles de New York allaient favoriser une lecture a
posteriorides événements de Durban. Le « choc des
civilisations », longtemps prophétisé par des oiseaux de
mauvais augure, avait fini par prendre quelque consistance.
Près de huit années se sont écoulées depuis cette double
réunion houleuse, et nous
voilà à trois semaines d’une nouvelle conférence de
l’Unesco, baptisée « Durban II », quoique convoquée à
Genève. Un groupe d’experts met la dernière main ces
jours-ci à un projet de déclaration finale qui écarte, nous
dit-on, tous les sujets qui fâchent : plus un mot ou presque
sur le Proche-Orient,
ni sur le concept de « diffamation des religions »,
cher aux pays musulmans. Dans leur coupable prudence, les
rédacteurs de ce nouveau texte auraient même retiré toute
allusion aux discriminations contre les homosexuels. La
session de 2001 hurlait sa colère de façon erratique ; celle
de 2009 va-t-elle s’imposer un silence pesant ? Le but étant
de faire revenir à l’intérieur
de la salle Israël, les États-Unis et l’Italie, qui ont
annoncé leur intention de boycotter la conférence, et de
convaincre l’Union européenne d’y rester. Mais, en
politique, même le silence ayant un sens, cet escamotage
serait interprété par le monde arabo-musulman comme une
nouvelle manifestation de l’immunité dont bénéficie Israël.
Ce ne serait pas Durban II, mais « Durban zéro ». Un comble
alors même que les gouvernements israéliens viennent de
mener, en trois ans, deux terribles offensives, contre le
Liban et contre Gaza, qui ont coûté la vie à près de deux
mille civils écrasés sous les bombes.
Et une Conférence sur les droits de l’homme ne dirait rien
de ces exactions alors même que la plus terrible des
accusations vient de l’intérieur du pays avec ces
témoignages de soldats parus jeudi dernier dans le quotidien
Haaretz ? Assassinats sommaires de femmes et de
vieillards, destructions gratuites, actes de vandalisme y
sont décrits quelques jours après que des ONG israéliennes
eurent rendu publics des récits similaires, et avant qu’un
expert de l’ONU, Richard Falk, ne les rejoigne. Le bilan,
d’ailleurs, ne laisse guère de doute sur les objectifs
d’Israël, qui ne se limitent pas aux seuls « activistes » du
Hamas. Soit, objectent les partisans d’un silence
consensuel, mais où est donc le racisme dans tout ça ? La
réponse ne devrait pas être sujet à controverses. On peut
toujours vouloir contourner les mots, être « politiquement
correct », mais le racisme n’est jamais très loin d’une
entreprise coloniale. Quelle qu’elle soit. Comment
pourrait-on persister à croire à la triste fable des dégâts
collatéraux quand les neuf dixièmes des victimes sont des
civils ? Et comment
concevoir comme légitime que l’on détruise massivement des
habitations arabes pour bâtir sur leurs ruines
72 000 nouveaux logements pour les colons ? Cette
indifférence d’État n’est-elle pas le fruit vénéneux d’un
racisme insatiable ?
Mais le problème n’est évidemment pas de le dire ou de le
hurler dans une conférence condamnée à être un exutoire,
mais de faire partager cette évidence par le plus grand
nombre pour que les consciences bougent. Et c’est ici que le
débat commence. Il ne s’agit ni d’oublier les persécutions
des autres minorités sur la planète, y compris bien sûr au
sein du monde arabo-musulman, mais de reconnaître la
centralité du conflit israélo-palestinien, ses effets
dévastateurs bien au-delà du Proche-Orient. La prochaine
conférence dite « Durban II » est-elle le meilleur lieu pour
cela ? Sinon, à qui le dire ? Et dans quelle instance ? Les
belles âmes peuvent toujours s’émouvoir que ce conflit
submerge tous les autres ; et que les pays du « Sud », loin
eux-mêmes d’être irréprochables, y prennent une revanche
désordonnée. Comment pourrait-il en être autrement quand les
autres instances internationales, le Conseil de sécurité,
par exemple, aux mains des grandes puissances, verrouillent
toute velléité de critique et toute possibilité de sanction
depuis 1967 ?