Comme promis, voici la traduction du
document qui fait parler. De jeunes conscrits s’expriment en
toute liberté sur ce qu’ils ont vu ou vécu à Gaza. Il ne faut
pas s’attendre à des récits de boucherie, mais plutôt à des
descriptions de « petits meurtres ordinaires ». Ce qui frappe,
au premier abord, c’est la franchise, pour ne pas dire la
candeur, de ces jeunes soldats. Certains sont révoltés, d’autres
ont un langage quasi désincarné et parlent technique militaire.
Ce qui frappe aussi : le décalage entre conscrits et
réservistes, et le rôle pour le moins trouble que joue le
rabbinat, qui fait passer chez les soldats un message proche du
messianisme et de la guerre sainte. La naïveté de ces jeunes
soldats, scandalisés qu’une famille palestinienne dont certains
membres font partie du Hamas ait pu faire ami-ami avec eux en
leur « mentant » (ils sauvaient leur peau, quand même !). Et
bien d’autres choses (chacun est libre de tirer ses propres
conclusions à partir d’un texte brut comme celui-ci.
L’impression qui se dégage est qu’à Gaza, tout était permis et
que les supérieurs hiérarchiques ont laissé faire, au mieux.
Certains médias, juifs en particulier, préféreront parler des
erreurs (réelles) de la presse, par exemple au sujet du
vrai-faux bombardement de l’école de l’UNRWA. Mais l‘arbre cache
la forêt. Peut-être serait-il temps de regarder les choses en
face. La guerre de Gaza a été de la sauvagerie (outre le fait
que, sur le plan politique, elle a été inutile, mais c’est une
autre histoire). Le discours final, consterné, de l’instructeur
en chef de ces jeunes conscrits en dit long
Ha’aretz, 20 mars 2009
http://www.haaretz.com/hasen/spages...
Traduction : Gérard Eizenberg
pour La Paix Maintenant
Moins d’un mois après
l’opération militaire dans la bande de Gaza [1]
, plusieurs dizaines de diplômés du programme de préparation
prémilitaire « Itzhak Rabin » étaient réunis au Collège d’Oranim
à Kiryat Tivon. Depuis 1998, ce progamme a préparé ses
participants à ce qui est considéré comme un service militaire
« à contenu ». Nombreux sont ceux qui ont un rôle majeur dans
des unités combattantes ou d’élite de l’armée. Le fondateur du
programme, Danny Zamir, le dirige encore aujourd’hui et
accomplit également ses périodes de réserve en tant que
sous-commandant d’un bataillon.
Vendredi 13 février, Zamir
avait invité des soldats et des officiers qui avaient suivi son
programme pour un long débat sur leurs expériences à Gaza. Ils
se sont exprimés ouvertement, mais avec une frustration
considérable.
Ce qui suit est composé de
longs extraits de la transcription de cette rencontre, publiée
mercredi dans le bulletin du programme, Briza. Les noms des
soldats ont été modifiés pour préserver leur anonymat. La
rédaction de Briza a aussi choisi de ne pas publier certains des
détails qui concernent l’identité d’une unité dont la conduite à
Gaza s’est révélée problématique.
Danny Zamir :
"Ce soir, notre intention n’est pas d’évaluer les résultats et
l’importance diplomatico-politique de cette opération, ni des
aspects militaires systémiques. Mais un débat est nécessaire
parce que, tous l’ont dit, cela a été une action militaire
exceptionnelle dans le sens où elle a fixé de nouvelles limites
au code éthique, aussi bien dans l’histoire de Tshal que dans
celle d’Israël dans son ensemble. Il s’agit d’une action qui a
causé des destructions massives chez des civils. Je ne suis pas
certain qu’il aurait été possible de faire autrement, mais au
bout du compte, nous en avons fini avec cette opération et les
Qassams ne sont pas paralysées. Il est fort possible que cette
opératin se répète, sur une plus grande échelle, dans les années
à venir, parce que le problème que pose la bande de Gaza n’est
pas simple et il n’est pas du tout certain qu’il soit résolu. Ce
que nous souhaitons ce soir, c’est entendre les combattants."
Aviv : « Je commandais une
compagnie de la brigade Givati encore à l’entraînement. Nous
sommes entrés dans un quartier de la partie sud de la ville de
Gaza. En gros, c’était une expérience étrange. Pendant
l’entraînement, on attend le jour où l’on va entrer dans Gaza,
et à la fin, on se rend compte que ce n’est pas vraiment ce
qu’on t’a raconté. C’était plus comme, genre, tu t’empares d’une
maison, tu fiches les occupants dehors et tu t’installes. Nous
sommes restés dans une maison environ une semaine. »
« Vers la fin de l’opération,
il y a eu un plan pour entrer dans une zone de Gaza densément
peuplée. Dans les briefings, ils ont commencé à nous parler
d’ordres d’ouvrir le feu à l’intérieur de la ville parce que,
comme vous le savez, ils ont utilisé une puissance de feu
considérable et tué en chemin un nombre énorme de gens, afin
qu’on ne nous tire pas dessus et qu’on ne se fasse pas tuer. Au
début, l’action consistait à entrer dans une maison. Nous étions
censés y entrer avec un véhicule de transport blindé appelé
"Akhzarit " (liitéralement ; « cruel ») pour nous introduire à
l’intérieur par la porte du rez-de-chaussée et de commencer à
tirer une fois à l’intérieur et puis ... J’appelle ça un meurtre
.. De fait, nous devions monter étage par étage et toute
personne que nous voyions, nous devions la tuer. Je me suis
demandé : où est la logique dans tout ça ? »
« Au-dessus de nous, on nous a
dit que c’était permis, parce quiconque était resté dans le
secteur et à l’intérieur de Gaza était de fait condamné, un
terroriste, parce qu’ils ne s’étaient pas enfuis. J’ai eu du mal
à comprendre : d’un côté, ils n’ont pas vraiment où fuir, mais
de l’autre on nous dit que s’ils n’ont pas fui, c’est de leur
faute... Ca m’a aussi fait un peu peur. J’ai tenté d’exercer un
peu d’influence pour changer cela, autant qu’il était possible
depuis ma position de subordonné. A la fin, l’ordre a consisté à
entrer dans une maison, de se servir de mégaphones et de dire
aux occupants : "Allez, tout le monde dehors, vous avez cinq
minutes, quittez la maison, quiconque ne le fait pas sera tué." »
« Je suis allé voir les
soldats et leur ai dit : "les ordres ont changé. On entre
dans la maison, ils ont cinq minutes pour partir, on les fouille
pour voir s’ils n’ont pas d’armes, et alors seulement, on
commence à investir la maison étage par étage pour nettoyer tout
ça... Cela veut dire, entrer dans la maison, ouvrir le feu
sur tout ce qui bouge, lancer une grenade, tout ça. Et alors, il
s’est passé un truc très troublant. L’un de mes soldats est venu
me voir et m’a demandé : "Pourquoi ?" J’ai dit :
"Qu’est-ce qui n’est pas clair ? On ne veut pas tuer des civils
innocents." Lui : "Ah ouais ? Tous ceux qui sont
là-dedans sont des terroristes, c’est bien connu." Je dis :
"Tu penses que ces gens vont vraiment s’enfuir ? Non,
personne ne va fuir" Il répond : "C’est clair." Et
ses copains se joignent à lui : "Il faut tuer tous ceux qui
sont là-dedans. Ouais, toute personne qui se trouve à Gaza est
un terroriste", et tous les autres trucs dont les médias
nous farcissent la tête. »
« Alors, j’essaie d’expliquer
au gars que tout le monde là-bas n’est pas terroriste et que,
après qu’il aura tué, disons, trois enfants et quatre mères, il
montera à l’étage supérieur et tuera encore une vingtaine de
personnes. Finalement, il s’avère que la maison a 8 étages, 5
appartements par étage, quelque chose comme 40 - 50 familles à
tuer. J’ai essayé d’expliquer qu’il fallait les laisser partir,
et seulement alors investir la maison. Ca n’a pas servi à
grand-chose. C’est vraiment frustrant de constater que pour eux,
dans Gaza, ils ont le droit de faire ce qu’ils veulent, casser
des portes ou des maisons, tout ça parce que c’est cool. »
« L’iimpression donnée par les
officiers est qu’il n’y a aucune logique là-dedans mais qu’ils
laissent faire. Ecrire ‘mort aux Arabes’ sur les murs, prendre
des photos de famille et cracher dessus, seulement parce qu’on
peut. Je pense que c’est la chose la plus importante pour
comprendre dans quoi l’éthique de Tshal est tombée, vraiment,
c’est ce dont je me souviendrai. »
« L’un de nos officiers, qui
commande une compagnie, a vu quelqu’un arriver sur une route,
une femme, une vielle femme. Elle marchait, assez loin, mais
assez près pour s’en prendre à elle. Suspecte ou pas ? Je ne
sais pas. Finalement, l’officier a envoyé des hommes sur le toit
pour l’éliminer. Par la description de cette histoire, j’ai
senti qu’il s’agissait d’un meurtre de sang-froid. »
Zamir :
« Je ne comprends pas. Pourquoi a-t-il fait tirer sur elle ?
Aviv :
« C’est ce qu’il y a de bien, genre, à Gaza. Tu vois quelqu’un
marcher sur une route. Il n’a pas besoin d’être armé, tu n’as
pas besoin de l’identifier, tu tires et c’est tout. Avec nous
c’était une vieille femme, sur qui je n’ai vu aucune arme.
L’ordre était dé l’éliminer au moment où tu la voyais. »
Tzvi :
« Les descriptions d’Aviv sont exactes, mais il est possible de
comprendre d’où ça vient. Et cette femme, on ne sait jamais
si... Elle n’avait pas à être là, il y a eu des annonces, des
bombardements. La logique dit qu’elle n’autait pas dû se trouver
là. La façon dont tu le décris, un meurtre de sang-froid, ce
n’est pas bien. On sait qu’ils ont des éclaireurs et tout ça. »
Gilad :
« Avant même que nous ne rentrions, le commandant du bataillon a
été très clair : une leçon importante de la guerre du Liban a
été tirée sur la manière dont Tsahal entre, avec beaucoup de
feu. L’intention était de protéger les soldats par la puissance
de feu. Dans l’opération, les pertes de Tsahal ont été vraiment
minimes, et le prix a été que beaucoup de Palestiniens ont été
tués. »
Ram :
« Je fais mon service dans une compagnie de la brigade Givati.
Après que nous sommes entrés dans les premières maisons, il y a
eu une maison avec une famille à l’intérieur. L’entrée a été
relativement calme. Nous n’avons pas ouvert le feu, nous n’avons
fait que crier à tout le monde de descendre. Nous les avons
placés dans une pièce, puis nous avons quitté la maison pour y
entrer par une autre issue. Quelques jours plus tard, l’ordre a
été donné de libérer la famille. Les soldats avaient pris
position sur le toit, avec un sniper. Le commandant du peloton a
laissé la famille sortir et leur a dit de prendre à droite. Une
mère et ses deux enfants n’ont pas compris et ont pris à gauche,
mais on avait oublié de dire au sniper sur le toit qu’ils
étaient libres de partir, que ça allait et qu’il ne devait pas
tirer et il ... il a fait ce qu’il avait à faire, il suivait les
ordres, c’est-à-dire. »
Question du public : « A
quelle distance cela se passait-il ? »
Ram :
« Environ 100 à 200 mètres. Les gens étaient sortis de la
maison, ils avaient avancé un peu, et soudain il les a vus, des
gens qui se déplaçaient dans une zone où il était interdit de
circuler. Je ne crois pas qu’il se soit senti mal à cause de ça.
Après tout, pour ce qui le concernait, il avait accompli son job
selon les ordres qu’il avait reçus. Et l’atmosphère générale,
d’après ce que j’ai compris de ce que m’ont dit mes hommes ...
Je ne sais pas comment le décrire ... La vie des Palestiniens,
disons, comptait beaucoup beaucoup moins que la vie de nos
soldats. Pour leur part, ils peuvent justifier ça ainsi. »
Youval Friedman
(instructeur en chef au programme Rabin) : « Il n’y a pas eu un
ordre permanent précisant qu’il fallait une autorisation pour
ouvrir le feu ?
Ram :
« Non. Cet ordre existe, au-delà d’une certtaine ligne. L’idée
est que tu as peur qu’ils ne t’échappent. Si un terroriste
s’approche de trop près, il pourrait faire exploser la maison ou
quelque chose comme ça. »
Zamir :
« Après une tuerie comme ça, par erreur, Tsahal procède-t-il à
une quelconque enquête ? Examine-t-on ce qui aurait pu être
corrigé ? »
Ram :
« Pour l’instant, personne n’est venu de l’unité d’enquête de la
police militaire. Il n’y a eu aucune ... Pour tous les
incidents, il y a des enquêtes individuelles et des évaluations
d’ordre général sur la conduite de la guerre. Mais ils ne se
sont pas attachés à ça en particulier. »
Moshe :
« L’attitude est très simple. Ce n’est pas agréable à dire, mais
tout le monde s’en fiche. On n’enquête pas là-dessus. C’est du
combat, de la routine en matière de sécurité. »
Ram :
« Ce dont je me souviens en particulier, c’est qu’il régnait au
début un sentiment de mission quasi religieuse. Mon sergent
étudie dans une yeshiva. Avant l’attaque, il a réuni tout le
bataillon et conduit une prière pour ceux qui partaient se
battre. Un rabbin de brigade se trouvait là. Après,le rabbinl
est venu dans Gaza et s’est déplacé dans tous les sens pour nous
taper sur l’épaule, nous encourager et prier avec d’autres.
Quand nous étions à l’intérieur [de Gaza], ils nous envoyaient
aussi ces livrets remplis de psaumes, une tonne de psaumes. Je
pense que, au moins dans la maison où nus sommes restés une
semaine, on aurait pu remplir la maison avec tous les psaumes
qu’ils nous ont envoyés, et d’autres livrets du même genre. »
« Il y avait un fossé immense
entre ce que l’Education militaire nous envoyait et ce que nous
envoyait le rabbinat militaire. L’Education a publié un
argumentaire pour les officiers, quelque chose sur l’histoire
d’Israël qui s’est battu à Gaza, depuis 1948 jusqu’à nos jurs.
Le rabbinat a apporté un tas de petits livres et d’articles et
... le message était très cliar. Nous sommes le peuple d’Israël,
nous sommes venus sur cette terre par miracle, Dieu nous a
ramenés sur cette terre, et maintenant, nous devons combattre
pour expulser les Gentils, qui nous gênent dans notre conquête
de la terre sainte. C’était ça le message principal, et beaucoup
de soldats avaient le sentiment que cette opération était une
guerre religieuse. Depuis ma position d’officier qui devait
« expliquer », j’ai essayé de parler de politique, des courants
dans la société palestinienne, du fait que tout le monde à Gaza
n’appartenait pas au Hamas, et que tous les habitants ne
cherchaient pas à nous abattre. J’ai voulu expliquer aux soldats
que cette guerre n’était pas pour la sanctification de Dieu,
mais pour arrêter les Qassams. »
Zamir :
« J’aimerais demander aux pilotes parmi nous, Gideon et Yonatan,
de nous donner un peu leur point de vue. En tant que fantassin,
cela m’a toujours intéressé. Quelle impression a-t-on quand on
bombarde une ville comme ça ? »
Gideon :
« D’abord, à propos de ce que tu as dit sur la folle puissance
de feu. Depuis le tout début des raids aériens, les quantités de
feu ont été impressionnantes, et c’est essentiellement ce qui a
poussé les gens du Hamas à se cacher dans les abris les plus
souterrains et les a empêchés de se montrer jusque environ deux
semaines après les combats. En général, la manière dont ça
fonctionne pour nous, juste pour que vous compreniez un peu les
différences, c’est que j’arrivais la nuit à l’escadrille,
effectuais un raid sur Gaza et puis je rentrais chez moi dormir
à Tel Aviv, au chaud dans mon lit. Je ne suis pas coincé dans un
lit dans une maison palestinienne, la vie est un peu
meilleure. »
« Avec mon escadrille, je ne
vois pas un terroriste qui lance une Qassam, puis décide de
décoller et de l’avoir. Il y a tout un système pour nous
soutenir, qui nous sert d’yeux et d’oreilles, et des
renseignements pour chaque avion qui décolle et qui créent de
plus en plus de cibles en temps réel, chacune avec un niveau de
légitimité plus ou moins grand. En tout cas, j’essaie de croire
que ces cibles sont déterminées selon le dégré de légitimité le
plus haut possible. »
« Ils [les pilotes] lâchaient
des tracts sur Gaza, tiraient parfois un missile depuis un
hélicoptère sur le coin d’une maison, juste pour secouer un peu
la maison et faire fuir tout le monde. Ces techinques ont
marché. Les familles sont sorties, et vraiment, quand les
soldats sont entrés dans les maisons, elles étaient assez vides,
au moins de civils innocents. De ce point de vue, ça a marché. »
« En tout cas, j’arrive à
l’escadrille, on me donne une cible, une description et des
coordonnées. En gros, je m’assure simplement que ça ne se trouve
pas à l’intérieur de nos lignes. Je regarde la photo de la
maison que je suis censé attaquer, je vois qu’elle correspond à
la réalité, je décolle, je pousse sur le bouton et la bombe
atterrit toute seule dans un rayon d’un mètre de la cible. »
Zamir :
« Chez les pilotes, y a-t-il aussi des paroles ou des sentiments
de remords ? Par exemple, j’ai été été terriblement surpris par
l’enthousiasme qui a accompagné la tuerie des policiers de la
circulation de Gaza, le premier jour de l’opération. Ils ont tué
180 flics. En tant que pilote, j’aurais remis ça en question. »
Gideon :
« Il y a deux aspects à ça. Sur le plan tactique, tu les
appelles de "policiers". Dans tous les cas, ils sont armés et
appartiennent au Hamas ... En des temps meilleurs, ils prennent
des gens du Fatah, les jettent des toits et voient ce qui se
passe. Concernant ce qu’on pense, tu passes du temps avec ton
escadrille et il y a quantité de débats sur l’importance du
combat et des valeurs qui lui sont attachées, sur ce que nous
faisons, il y a de quoi parler. Mais à partir du moment où tu
démarres le moteur jusqu’à ce que tu l’éteignes, toutes tes
pensées, toute ta concentration et ton attention sont sur la
mission que tu dois effectuer. Si tu as un doute injustifié, tu
es susceptible de causer une bavure encore plus grande et
détruire une école avec 40 enfants. Si le bâtiment touché n’est
pas celui que j’étais censé toucher, mais une maison avec des
gars à nous à l’intérieur, le prix de l’erreur est très très
grand. »
Question du public : « Y
a-t-il eu quelqu’un dans l’escadrille qui n’a pas appuyé sur le
bouton, qui y a réfléchi à deux fois ? »
Gideon :
« Il faut poser la question à ceux qui participent à des
opérations par hélicoptère, ou aux types qui voient ce qu’ils
font. Avec les armes que j’utilisais, ma capacité de prendre une
décision en contradiction avec ce qu’on m’a dit était proche de
zéro. Je lâche la bombe d’une distance où je peux voir toute la
bande de Gaza. Je vois aussi Haïfa, je vois aussi le Sinaï, mais
c’est plus ou moins la même chose. Ca fait vraiment très loin. »
Yossi :
« Je suis sergent dans un peloton de parachutistes. Nous étions
dans une maison et avons découvert une famille à l’intérieur qui
n’était pas censée se trouver là. Nous les avons rassemblés dans
le sous-sol, posté deux gardes et nous sommes assurés qu’ils ne
causeraient pas d’ennuis. Au fur et à mesure, la distance
émotionnelle entre nous s’est estompée : nous avons fumé des
cigarettes ensemble, bu du café avec eux, parlé du sens de la
vie et des combats à Gaza. Après de nombreuses conversations, le
propriétaire de la maison, un homme âgé de plus de 70 ans,
disait qu’il était bon que nous soyons à Gaza et qu’il était bon
que Tsahal y fasse ce qu’il faisait. Le lendemain, nous avons
fait interroger l’homme et son fils. Le jour d’après, nous avons
reçu une réponse : tous les deux étaient des militants
politiques du Hamas. C’était assez troublant, ils te disent
combien c’est bien que tu sois là, bla bla bla, et tu découvres
qu’ils t’ont menti pendant tout ce temps. Ce qui m’a ennuyé le
plus a été qu’à la fin, après que nous avions compris que les
membres de cette famille n’étaient pas exactement des amis et
qu’ils méritaient pas mal d’être fichus dehors, le commandant du
peloton nous a suggéré, quand nous quitterions la maison, de
nettoyer, ramasser toutes les ordures dans des sacs, balayer et
nettoyer le sol, plier les couvertures que nous avions utiliées,
mettre en piles les matelas et les remettre sur les lits. »
Zamir :
« Que veux-tu dire ? Toutes les unités qui ont quitté une maison
n’ont pas fait ça ? »
Yossi :
« Non, pas du tout. Au contraire. Dans la plupart des maisons,
des graffitis ont été laissés, des choses comme ça. »
Zamir :
« C’est se conduire comme des animaux. »
Yossi :
« Tu n’es pas censé te concentrer sur du pliage de couvertures
quand on te tire dessus. »
Zamir :
« Je n’ai pas beaucoup entendu qu’on voius tirait dessus. Ce
n’est pas que je vous fasse des reproches, mais quand on passe
une semaine chez des gens, on nettoie ses saletés. »
Aviv :
« Un jour, j’ai reçu un ordre. Tout l’équipement de la maison,
tous les meubles : nettoyer toute la maison. Nous avons tout
jeté, tout, par les fenêtres de façon à faire de la place. Tout
le contenu de la maison a volé par les fenêtres. »
Yossi :
« Il y a eu un jour où une Katiusha, un missile Grad, est tombé
sur Beer Sheva et une mère et son bébé ont été blessés.
C’étaient des voisins de l’un de mes soldats. Nous avons entendu
toute l’hitsoire à la radio, et il n’a pas pris à la légère le
fait que ses voisins aient été blessés. Le gars était un peu sur
les nerfs, on peut le comprendre. Dire à quelqu’un comme ça :"Allez,
on va laver le sol de la maison d’un militant du Hamas, qui
vient de tirer une Katiusha sur tes voisins, qui ont eu une
jambe amputée", ce n’est pas facile à faire, en particulier
si l’on n’est pas du tout d’accord avec ça. Quand mon officier a
dit : "OK, dis à tout le monde de plier les couvertures et
d’empiler les matelas", je l’ai mal pris. Ca a gueulé pas
mal. Finalement, j’ai été convaincu et je me suis rendu compte
que c’était la bonne chose à faire. Aujourd’hui j’apprécie et
même, je l’admire, le commandant, pour ce qui s’est passé
là-bas. Au fond, je ne pense pas que n’importe quelle armée,
syrienne ou afghane, aurait nettoyé le sol de maisons de son
ennemi, ni plié des couvertures, ni qu’elle les aurait rangées
dans les armoires. »
Zamir :
« Je pense qu’il serait important que les parents se réunissent
ici et entendent cette discussion. Je pense qu’elle serait très
instructive, et aussi consternante et déprimante. Vous décrivez
une armée aux normes éthiques très basses, c’est la vérité ...
Je ne vous juge pas et je ne vous fais pas de reproches. Je vous
répercute seulement ce que je ressens après avoir entendu vos
histoires. Je n’étais pas à Gaza, et je suppose que, chez les
réservistes, le niveau de retenue et de contrôle se soi seraient
plus haut, mais je pense que, globalement, vous décrivez et
reflétez le genre de situation dans laquelle nous nous sommes
trouvés. Après la guerre de 1967, quand les gens sont revenus du
combat, ils se sont réunis en cercles et ont décrit ce par quoi
ils étaient passés. Pendant des années, ceux qui ont fait ça ont
été décrits sous l’expression "On tire et on pleure". En 1983,
quand nous sommes revenus de la guerre du Liban, on a dit les
mêmes choses sur nous. Nous devons réfléchir à ce qui nous est
arrivé. Nous devons nous colleter avec ça, pour établir des
normes nouvelles, ou différentes. Il est très possible que le
Hamas ou l’armée syrienne auraient eu un comportement différent
du mien. Mais le point essentiel est que nous ne sommes ni le
Hamas, ni l’armée syrienne ni égyptienne. Si des religieux nous
oignent d’huile et nous collent des livres sacrés entre les
mains, et si les soldats de ces unités ne sont pas
représentatifs de tout le spectre du peuple juif, mais seulement
de certains secteurs de la population, à quoi devons-nous nous
attendre ?
A qui faisons-nous des
reproches ?
En tant que réservistes, nous
prenons assez peu au sérieux les ordres des officiers de
brigade. Nous laissons passer les vieux et les familles.
Pourquoi tuer des gens quand vous savez très bien que ce sont
des civils ? Quel aspect de la sécurité d’Israël sera menacé,
qui sera touché ? Faites preuve de
discernement, soyez humains.
[1]
L’armée israélienne est fort inventive quand il s’agit de nommer
ses opérations. Les références sont le plus souvent bibliques.
En tant que « traducteur engagé », tant que ce nom n’apporte
aucune information, je me refuse dorénavant à suivre cette manie
de mêler les références bibliques à des opérations militaires.
Pour info, l’expression « Plomb durci » est tirée d’un poème de
Bialik consacré à la fête de Hanouka, censé être chanté par de
jeunes enfants (l’opération a été déclenchée au moment de
Hanouka (ndt)
mis en ligne le samedi 21
mars 2009
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