Quand on est à la fois
Français et musulman, les questions suivantes peuvent parfois se
poser avec acuité : Est-ce la citoyenneté française qui doit
primer, avec les lois qui lui sont associées, ou bien est-ce que
ce sont les convictions religieuses de l’individu, et les
prescriptions juridiques qui les accompagnent ?
Ainsi, lors du débat sur la
laïcité, il y a quelques années, certains membres de la
communauté musulmane ont-ils adopté des positions extrêmes sur
la question du foulard, alors que certaines jeunes filles
affirmaient fièrement, avec le soutien de leurs parents,
qu’elles préfèreraient abandonner l’école, tout simplement,
plutôt que d’y retourner sans foulard.
Mais, les bienfaits de
l’éducation sont tellement incommensurables, par rapport au fait
de porter un foulard, que la question ne devrait même pas se
poser à un esprit raisonnable. Le Prophète n’a-t-il pas
préconisé de « rechercher la connaissance jusqu’en Chine, si
nécessaire » ? Alors, s’il faut sacrifier un foulard pour
obtenir une éducation dont on recueillera, soi-même et toute sa
communauté, les bénéfices toute sa vie, le prix est-il si
élevé ?
La question s’est également
posée au niveau des structures médicales : « S’il n’y a pas
de chirurgien femme pour pratiquer une opération sur une femme,
faut-il laisser un homme pratiquer l’opération, ou faut-il
laisser la femme mourir tout simplement ? » Seuls, des
hommes accordant bien peu de valeur à la vie humaine en général,
et à celle de leur femme en particulier, la laisseraient mourir
dans de telles conditions, plutôt que de la laisser se faire
opérer par un homme.
La loi française ne laisse
aucune latitude de ce genre à l’homme. La vraie question à se
poser est la suivante : « Qui a donné à l’homme musulman un
tel droit de vie ou de mort sur sa femme ? » Certainement
pas l’islam, ni le droit musulman. Pourtant, de telles
situations sont observées tous les jours dans de nombreux pays.
De tels comportements se
rattachent le plus souvent à l’extrémisme religieux, plutôt qu’à
une vraie connaissance de l’islam et de ses enseignements.
Autrement, comment s’expliquer que les gardes d’une école
primaire d’Arabie Saoudite aient enfermé une vingtaine de
fillettes dans une école en flammes, il y a quelques années, les
laissant délibérément mourir, brûlées vives, ou asphyxiées par
la fumée, sous prétexte que les petites filles ne portaient pas
leur foulard sur la tête, au moment où l’incendie s’est déclaré,
et ne pouvaient donc pas sortir tête nue dans la rue, pour
sauver leur vie ?
De nos jours, de tels
comportements sont d’autant plus incompréhensibles que l’islam
prône l’établissement de la « communauté du milieu » (al
oummat-al-wassat), celle qui se situe par définition loin de
tout extrême, ou à équidistance des positions extrêmes. « Al
oummat-al-wassat » est également la communauté des justes.
Pour sa part, le Prophète a
recommandé, aux musulmans d’éviter tout extrémisme dans la
pratique de la religion (al-ghoulouwwou fiddine), rappelant que
ce sont les prises de position extrémistes qui ont provoqué la
ruine des anciennes communautés humaines.
A un deuxième niveau, encore
plus complexe, se posent au Français musulman des questions de
droit telles que les suivantes :
Faut-il
contester les lois interdisant la polygamie ou la répudiation ?
Faut-il revendiquer un régime spécial les autorisant pour les
minorités musulmanes ?
Faut-il
se soumettre à la loi interdisant aux parents de marier leur
fille, contre son gré, à un homme choisi par eux, ou la
contester ?
Faut-il
se soumettre à la loi mettant à égalité les parts d’héritage,
sans distinction de sexe, ou la contester ?
Mais, la polygamie, la
répudiation, ou le mariage d’une fille, contre son gré, à un
homme choisi par ses parents, ne sont que des indications de
l’usage sélectif, et inique pour les femmes, que beaucoup de
musulmans font des enseignements de la charia. Ils le font
souvent de bonne foi, dans la mesure où la majorité des
musulmans confondent aisément, aujourd’hui, traditions et
prescriptions religieuses.
Mais, une lecture attentive de
la charia démontre l’existence de règles très strictes qui
s’appliquent à de telles situations, et qui en font l’exception
et non la règle. Les hommes, cependant, s’empressent d’oublier
les règles qui les incommodent pour ne retenir que celles qui
les avantagent.
Quant à la question de
l’égalité des parts d’héritage, sans discrimination sur la base
du sexe, elle se pose dans le monde moderne de manière bien
différente de la manière dont elle se posait aux femmes de la
communauté musulmane au 7è s. A l’époque, les femmes de bonne
famille vivaient au foyer, s’occupaient de leur ménage et
d’élever leurs enfants. Elles disposaient d’esclaves pour les
aider dans leurs tâches. L’homme subvenait à tous les besoins de
la famille.
Afin d’empêcher que les
terres, les animaux et autres biens de la tribu ne passent sous
le contrôle d’autres tribus, à travers les mécanismes des
mariages et de l’héritage, la tribu musulmane n’accordait à la
femme que la moitié de la part d’héritage d’un homme. Il faut se
souvenir, cependant, que l’islam a innové de manière
considérable, à l’époque de la Révélation, en introduisant cette
part d’héritage destinée à la femme, alors qu’elle n’en recevait
aucune dans les communautés d’Arabie, avant l’islam.
Mais, aujourd’hui, combien de
foyers doivent survivre sans homme, surtout lorsque le mari peut
répudier sa femme sur un coup de tête, lui laissant la charge de
toutes les dépenses en plus des enfants à élever ? Même dans les
ménages unis, combien de femmes sont obligées de travailler pour
que le ménage dispose de revenus adéquats pour couvrir les
besoins courants de la famille, et pour s’acheter une voiture ou
une maison, ou prendre des vacances ?
Lorsque le ménage a des
enfants à élever, et qu’ils doivent faire des études supérieures
à un coût élevé, la femme n’a-t-elle pas besoin d’argent, autant
que son mari, pour aider à couvrir de telles dépenses ?
Dans les pays musulmans, les
voies de progrès en matière juridique existent, et sont faciles
à repérer, dans la mesure où les codes de la famille appliqués
présentent des différences importantes sur des points
significatifs. Par exemple, les dispositions de la « moudawana »
(code de la famille) adoptée au Maroc en 2004 diffèrent
grandement des dispositions appliquées en Egypte depuis l’an
2000 ou à celles en vigueur en Arabie Saoudite.
Le contraste est encore plus
frappant lorsqu’on compare les dispositions de droit musulman
appliquées sur ces questions dans des pays non-arabes tels que
l’Indonésie, la Malaisie, l’Inde, le Pakistan, le Sénégal, le
Nigéria ou l’Afrique du Sud.
Le droit musulman témoigne
ainsi d’une grande richesse et souplesse pour faire face à
toutes les situations auxquelles la communauté musulmane peut se
trouver confrontée. Mais, les autorités politiques et
religieuses des pays musulmans se refusent à les exploiter,
parce qu’elles ont été habituées pendant 10 siècles
d’immobilisme politique, économique, social et intellectuel à
rejeter tout changement, toute innovation, toute « bid’a ».
Actuellement, les associations
de droits humains et les associations de droits de la femme dans
les pays musulmans se fixent des objectifs relativement
modestes. Elles voudraient simplement obtenir des autorités que
les conventions internationales sur le respect des droits de
l’homme, de la femme et de l’enfant signées par les Etats
musulmans y soient appliquées, confortant les dispositions
énoncées par l’islam lui-même en la matière, et souvent peu
respectées.
Mais, en France, les lois
nationales ont réglé ces questions depuis de nombreuses années,
de manière conforme aux droits humains, à l’esprit de justice,
d’équité et de solidarité familiale, au point que beaucoup
d’associations des pays musulmans les considèrent comme des
modèles de ce qu’elles voudraient réaliser à long terme.
N’est-il pas plus raisonnable pour le Français musulman, dans
ces conditions, de construire son avenir sur la base de ces
acquis, qui sont parfaitement conformes à l’esprit de l’islam,
plutôt que de chercher à les remettre en cause ?
Oumma.com
mardi 8 janvier 2008
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