En direct du terminal de Rafah
Mercredi 21 janvier
2009
Depuis ce matin 5 heures,
notre véhicule se dirige vers Rafah. Nos amis nous attendent
pour nous emmener sur les lieux du massacre. Nous arrivons vers
10 heures, après avoir été bloqués pendant une heure sur la
route qui traverse le désert du Sinaï. En arrivant à la
frontière, nous voyons des dizaines de camions d'aide
humanitaire bloqués. Nous ne comprenons pas pourquoi l'Egypte
n'accélère pas les convois d'aide. Ils sont là depuis des
heures. En arrivant sur le poste de contrôle nous nous
heurtons à un refus des autorités de nous laisser passer. La
délégation est composée d'un député européen président du groupe
de la gauche unitaire européenne au Parlement européen, Francis
Wurtz, du directeur de l'Huma, Patrick Le Hyaric, du secrétaire
général de l'UAM 93, M'hammed Henniche, d'un vice président
communiste du conseil général de l'Oise, Alain Blanchard, de
Meriem Derkaoui, conseillère municipale communiste de
Aubervilliers, de moi-même et Fernand Tuil. On nous refuse le
passage. Bloqués également : 50 pompiers francais venus pour
rétablir l'eau potable, notamment pour un hôpital. Mais aussi
une délégation de Médecins sans frontières. Et tous ces camions
qui s'alignent sur des centaines et des centaines de mètres en
attendant quoi, on se le demande. Nos amis palestiniens de
l'autre côté de la frontière étaient enthousiastes à l'idée de
voir des Français venir dénoncer les massacres et l'agression
sauvage des généraux israéliens, venir apporter leur soutien
politique, et venir prendre des contacts pour évaluer les
besoins afin de mettre sur pieds une initiative concrète de
solidarite avec les familles palestiniennes. Ce soir nos amis
sont effondrés. Ils se sentent seuls. Terriblement seuls. Au
milieu de tous ces morts que les décombres révèlent au fur et à
mesure. Demain nous y retournons. Avec l'espoir de pouvoir
entrer à Gaza.
(oooOooo)
Je suis entré dans Gaza
Jeudi 22 janvier
2009
16 heures : au bout de deux
jours d'insistance, nous parvenons à entrer dans la bande de
Gaza par Rafah. Nos amis sont heureux. Ils nous emmènent de
suite dans le camp de Rafah où un F16 a jeté des bombes et fait
des morts. De là, nous allons au camp de Jabaliya qui a été
bombardé jour et nuit pendant toute la durée de l'agression
militaire. Un homme qui a perdu sa fille dans le massacre de
l'école de l'ONU nous dit, devant le cimetière bombardé :
"ici nous vivons comme des morts vivants". Le camp est
plongé dans le noir. Israël a coupé l'électricité. Quelques
groupes électrogènes tournent ici et là. Un homme nous dit sa
peine. 11 personnes de sa famille sont mortes sous les bombes.
85% des morts sont des civils. Ici personne ne comprend cet
acharnement israélien. Cela dépasse toutes les horreurs que nous
avons vécues jusque-là, nous dit-on. On nous raconte que la
résistance palestinienne n'était pas du seul fait du Hamas.
Toutes les factions étaient engagées. Les morts israéliens
seraient probablement au nombre de 100. Pour dire l'intensité
des combats. Ce soir, ce qui me frappe c'est la joie des
Palestiniens. Joie du cessez-le-feu. Joie de vivre. Joie blessée
par la douleur des meurtrissures. Mais surtout, joie immense
d'être un peuple debout. A demain.
(oooOooo)
Crimes de guerre à
Gaza
Vendredi 23 janvier
2009
Nous sommes dans la bande
de Gaza depuis 24 heures. Nous y avons vu un peuple martyrisé
par l'armée israélienne. En quelques heures, nous avons fait le
tour des camps de réfugiés à Rafah, Jabaliya, Deir el-Balah,
Khan Younes. Passage aussi à Gaza City. Partout la même
désolation. Des milliers de maisons par terre. L'hôpital Al-Quds
du Croissant rouge est entièrement détruit. Des milliers de
familles dorment à même le sol dans des salles de sport. Soheila
et ses soeurs de misère nous disent : "Nous voulons nos
maisons" au milieu de leurs enfants. Les stocks
alimentaires de l'ONU ont été détruits ainsi que 150 tonnes de
médicaments. Une batterie de poulets est dévastée, comme une
station d'épuration d'eau. Le parlement palestinien est
totalement détruit. Il ne reste qu'une carcasse de béton noircie
par le feu. Partout les dégâts sont les mêmes. Aveugles et
sauvages. Et puis, nous tombons sur les quartiers qui ont été
les plus exposés durant les bombardements et aussi l'occupation
militaire. Je prendrai le temps demain de vous transmettre le
constat de crime de guerre que nous avons dressé. Des pères de
familles qui ont assisté impuissants à l'assassinat gratuit de
leurs enfants. Des exécutions sommaires sous leurs yeux. Oui les
soldats de Tsahal se sont comportés commes des criminels. Rien
ne peut justifier de tels actes. Ils doivent être condamnés. Il
faut une commission d'enquête internationale pour recueillir
tous ces témoignages. Cela ne peut rester impuni. Un peu partout
les cérémonies d'enterrement avaient lieu ce vendredi, jour de
prière pour de nombreuses personnes. Ce soir, nous quittons
Rafah sous la pluie. Fine. Dans les mosquées les prêches de ce
midi étaient très politiques. Le Hamas était très présent.
L'unité palestinienne avec le Fatah n'était pas au coeur des
discours. Au contraire. Les Palestiniens devront choisir leur
voie. Nous souhaitons que ce soit celle de l'intérêt de tous les
Palestiniens pour bâtir la Palestine. Bien que fin, comme la
pluie qui accompagne notre sortie, le chemin de l'avenir soulève
un immense espoir. Immense, comme le coeur des Palestiniens. A
demain.
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Compte rendu de mission à Gaza : 1ère partie
Lundi 26 janvier
2009
Le 21 janvier
nous arrivons à Rafah vers 10h15. Le terminal, point de passage
à la frontière entre la Palestine et l’Egypte, entre en fonction
chaque jour à 10h30. Nous ne sommes pas autorisés à entrer. Au
bout de plusieurs heures de démarches de notre part, nous
obtenons la possibilité de pénétrer à l’intérieur du terminal
afin de pouvoir rencontrer les responsables de la sécurité
égyptienne qui veillent sur les passages à la frontière. Malgré
nos nombreuses interventions auprès de l’ambassade de France, et
aussi auprès de contacts que nous possédons, on nous répond
cordialement mais froidement : « je ne vous mettrais le
tampon sur votre passeport que si le général m’appelle sur ce
téléphone ». Le téléphone en question est branché
directement sur l’entourage immédiat du général Omar Souleimane,
chef des renseignements égyptiens, véritable numéro deux du
pouvoir égyptien, qui a la charge de la médiation égyptienne
entre le Hamas et Israël. Cette autorisation téléphonique
n’arrivera pas. En fin d’après-midi, nous avons eu un peu
d’espoir alors que l’Egypte autorisait le passage d’une centaine
de journalistes internationaux. Ils attendaient la possibilité
d’entrer depuis plusieurs jours. Nous pensions pouvoir entrer
avec eux. Cela se révéla impossible. Ni pour nous, ni pour les
47 pompiers français venus apporter leur aide pour rétablir
l’eau potable notamment dans un hôpital. Quelle était la raison
du blocage ? On ne nous le dira jamais. Nous pensons tout de
même que les pressions du pouvoir israélien auprès de l’Egypte
sont fortes. Le passage de Rafah est devenu en effet l’un des
enjeux politiques et diplomatiques majeurs de l’après
cessez-le-feu. Israël tient à ce que les convois de fret, y
compris humanitaires, soient plus surveillés. En principe, les
camions de fret doivent passer par le poste frontière de Kerem
Shalom, à quinze kilomètres, contrôlé par Israël. Mais des
camions passent aussi directement par Rafah, ce qui ne plaît pas
à Israël. Pendant un temps, nous songeons à passer, nous aussi,
par Kerem Shalom, puisque le terminal de Rafah est fermé. Les
journalistes présents nous disent que c’est inutile. Ils en
reviennent. Là-bas aussi tout est bouclé. Nous décidons
d’insister sur Rafah. La position égyptienne à notre égard et
envers les autres personnes est sans doute motivée par la
volonté des Egyptiens de donner des gages de bonne volonté aux
Israéliens sur la rigueur du contrôle de la frontière. En effet,
le blocus n’est toujours pas levé. Les Israéliens mettent toute
la pression, notamment celle des pays arabes, sur le dos de
l’Egypte. Pendant qu’Israël maintient fermés les cinq autres
points de passage vers Gaza, le seul qui est « ouvert » est
celui de Rafah. Tout passe par là. Au compte goutte. Dès lors,
les Egyptiens doivent faire face seuls et sont considérés soit
comme des vendus aux Israéliens parce qu’ils contrôlent tout en
détail, soit comme des laxistes ou des complices des
Palestiniens par les Israéliens, les Etats-Unis et les pays
européens qui les accusent de fermer les yeux sur une partie de
la contrebande. La réalité est certainement constituée de tout
cela à la fois. Nous ressortons amers du terminal vers 18
heures. Direction la ville côtière de El Arish, à 40 kilomètres,
pour y passer la nuit et revenir dès le lendemain à la première
heure.
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Compte rendu de mission à Gaza : 2ème partie
Lundi 26 janvier
2009
Le 22 janvier, nous
retournons à Rafah. A 10 heures, nous arrivons au terminal. A la
différence de la veille, nous entrons, à l’intérieur des
voitures de l’ambassade de France, directement dans le terminal,
qui ouvre ses grandes portes métalliques noires derrière
lesquelles se massent des dizaines de personnes qui cherchent
elles aussi à entrer, notamment un groupe de l’association
humanitaire malaisienne Mercy. L’ambassadeur de France, Jean
Félix-Paganon, est là également. Officiellement, les autorités
égyptiennes lui présentent le terminal. Il prépare ainsi la
venue dans quelques jours de Bernard Kouchner. L’ambassadeur
profite de cette visite des installations pour rappeler la
présence des pompiers français et de notre délégation. Il
passera une bonne partie de la journée avec nous dans le
terminal, à attendre la réponse. Dans l’immense hall d’attente,
quasiment vide en dehors de notre délégation, nous constatons
que les Palestiniens sont rares. Depuis des jours et des jours,
ils ne parviennent pas à passer la frontière. Des familles
entières se présentent chaque jour et font demi-tour.
Vers 14 heures, nous voyons Jacques Fath
(responsable international du PCF) et Daniel Voguet (avocat)
traverser la frontière de retour de Gaza. Ils sont entrés dès le
lundi 19 janvier. Les Egyptiens avaient laissé passer une
délégation de médecins au milieu de laquelle s’étaient faufilés
des responsables politiques comme eux et aussi notamment Alima
Boumédiene-Thiery (sénatrice Les Verts) et Mireille
Mendès-France. Ils viennent de passer trois jours dans la bande
de Gaza. Ils nous décrivent l’horreur de ce qu’ils viennent de
voir. Ils nous racontent rapidement le contenu de leurs
rencontres avec les personnalités palestiniennes qu’ils ont pu
voir. Ils ne sont pas allés dans les camps de réfugiés
palestiniens. A Gaza-Ville, nous disent-ils, les bateaux
israéliens qui verrouillent le bord de mer tirent tous les
matins sur les pécheurs palestiniens qui à bord de leurs barques
à rames tentent de s’éloigner de quelques centaines de mètres
pour prendre des poissons.
A 15 heures, après des heures usantes d’attente
et de pressions de notre part, nous voyons subitement un sourire
sur le visage de notre interlocuteur égyptien chargé de nous
apporter la réponse. Malgré notre détermination, nous ne nous
laissons pas emballer. Et pourtant la réponse est là : positive.
Y compris pour les pompiers. Cris de joie. Nous récupérons nos
passeports tamponnés et nous prenons en vitesse nos effets
personnels. Nous montons dans un car. Il faut obligatoirement
emprunter ce car pour passer la frontière, cela facilite le
contrôle des personnes par la sécurité égyptienne. Nous passons.
Nous entrons en Palestine.
Il est 16 heures. De l’autre côté les moyens
sont modestes. Les forces de l’ordre sont habillées de tenues
dépareillées. Un responsable vient vers nous. Rapide mot
d’accueil. Il nous dit sans attendre : « vous êtes
maintenant sous la responsabilité de l’Autorité palestinienne à
Gaza. » Ici, c’est le Hamas qui exerce le pouvoir au nom de
l’Autorité palestinienne. On nous demande de présenter nos
passeports. Pour l’entrée, coup de tampon de l’Autorité
palestinienne à Rafah. Nous remontons dans un car jusque vers la
grille de sortie du terminal. Nous prenons conscience que cette
zone le long de la ligne dite « Philadelphie » de séparation
entre la bande de Gaza et l’Egypte et Israël a été pilonnée jour
et nuit pendant trois semaines par les tapis de bombes de
l’aviation militaire israélienne. C’est là en effet que se
trouvent les fameux tunnels. La frontière palestinienne s’ouvre
devant nous. Zyad est là. C’est Fernand Tuil qui le voit en
premier. Depuis la fenêtre du véhicule il l’appelle :
« Zyad, Zyad. » Zyad tourne la tête en entendant son nom. A
la vue de Fernand, son agitation est devenue totale et son
sourire immense et magnifique. Zyad entre dans le minibus et
tombe dans les bras de Fernand Tuil et de Meriem Derkaoui :
« Kifak Fernand, kifak habibi, kifek Meriem. » « Kifak Zyad »
lui répondent-ils.
Zyad est le président du Comité populaire du
camp de réfugiés de Rafah. Il nous conduit immédiatement dans le
camp. Dès notre arrivée, au bout de deux minutes, nous sommes
entourés de dizaines et de dizaines d’enfants. Ils jouaient
jusque-là au milieu des décombres provoqués dans la nuit de la
Saint Sylvestre. Le 31 décembre au soir, un avion F16 israélien
est passé. Il a largué une seule bombe. Une bombe qui se
fragmente en une multitude d’éclats qui ont ravagé un quartier
entier en lisière du camp de réfugiés où vivent 160000
personnes, l’équivalent d’une personne au mètre carré. Zyad, le
président du comité populaire, nous dit : « On ne sait pas
ce que visait officiellement Tsahal, car ici il n’y aucune arme.
Il semblerait que le pilote, une femme, avait reçu l’ordre de
passer une deuxième fois pour larguer à nouveau une bombe.
Compte tenu des dégâts causés, celle-ci aurait refusé de
survoler à nouveau le camp. A son retour, elle aurait été
arrêtée et condamnée à deux ans de prison pour
insubordination. »
Zyad est au Fatah. Il y a quelques mois, nous
dit-il, les militants du Hamas voulaient le tuer. Il a du
s’enfuir. Chaque jour, il s’est caché dans une maison différente
avec sa femme et ses deux enfants. Une vie très difficile. Mais
depuis quelques temps, tout s’est calmé. Le Hamas a accepté que
Zyad continue à être le président du comité populaire. Zyad peut
donc maintenant se montrer en public. C’est pour lui une fierté
de conduire notre délégation dans les passages du camp. Nous
entrons dans les maisons. Ici ils vivent à huit dans 25 mètres
carrés. Les maisons sont construites avec des toits de taule
ondulée. Une sorte de bidonville. A l’image de nombreux camps de
réfugiés palestiniens. Le docteur Hussein Atar nous fait voir le
toit de sa maison. Tout est cassé. Le 31 décembre, un des éclats
s’est abattu sur sa maison. Ses deux filles qui préparent le
baccalauréat, dont une pour devenir dentiste, étaient dans la
pièce d’à côté. Elles nous racontent. Puis nous sortons dans la
rue. Toutes les boutiques sont éventrées. Les façades effondrées
au milieu de la chaussée. A quelques mètres de là, se trouve une
place sur laquelle se dresse une immense étoile de béton. La
Place Nedjma. La Place de l’Etoile. Le seul triomphe ici est
celui du marché noir. C’est là, en effet, que se vendent tous
les produits de contrebande qui proviennent des tunnels. Ils
sont vendus dix fois plus chers qu’en Egypte. On n’y trouve
aucun produit de première nécessité, mais des cigarettes, des
ordinateurs, des fers à repasser, des ustensiles de cuisine, des
radios, des télévisions, des motos chinoises qui passent en
pièces détachées, etc. C’est le Hamas qui tient le marché. On
trouve aussi de l’essence, à 7 dollars le litre. Les tunnels
sont au nombre de 1500, nous explique t’on. Les bombardements en
ont détruits certains. « Assez peu en définitive » nous
disent nos interlocuteurs. Ils sont nombreux à fonctionner
encore. Ceux qui faisaient passer l’essence ne se sont pas
arrêtés, car les tuyaux même écrasés n’ont pas été coupés par
les éboulements que les bombes ont provoqués. Pour les tunnels
détruits, les Palestiniens se sont mis au travail dès la fin des
bombardements pour les remettre en ordre ou en creuser de
nouveaux. Les creuseurs de tunnels avancent au rythme de dix
mètres par jour. Dans deux ou trois mois, tout aura été remis en
place comme au premier jour des bombardements. Ces tunnels
servent à 85% à faire passer de la contrebande civile. Ils sont
creusés à des profondeurs qui vont entre 11 et 20 mètres. Les
bombes perforantes des militaires israéliens peuvent aller
jusque là. Mais pour les armes, les tunnels sont à 70 mètres de
profondeurs. Trop profonds pour les bombes adverses. Ici tout le
monde le dit sur un ton moqueur : les Israéliens n’ont pas
détruit notre capacité de contournement du blocus. Toutes ces
bombes n’ont servi à rien. D’ailleurs au milieu de la nuée
d’enfants qui nous entoure, un gosse nous dit : « on
préférait quand il y avait les bombardements ! » « Mais
comment est-ce possible ? » lui avons-nous répondu surpris
et en chœur. « Mais si, il n’y avait pas école ! » a
répondu un autre du tac au tac, entraînant un éclat de rire de
tous les enfants. Ces propos d’enfants nous ont fait sourire une
demie seconde et nous ont aussitôt ramenés dans cette sinistre
réalité qui s’appelle la vie des Palestiniens. Ce qui nous
apparaît exceptionnel est pour eux la banalité du quotidien.
Quelle vie mène t’on ici ? Peut-on encore appeler cela « la
vie » ? C’est plutôt de la survie, en état de stress,
d’angoisse, de peur, de déstabilisation permanents. Que
deviendront ces enfants une fois adolescents et adultes ? Ce
sont des victimes, mais je sais déjà qu’en Israël et dans la
bouche des politiciens occidentaux on les insultera en les
traitant de « terroristes ».
Nous quittons Rafah et nous partons pour le camp
de Jabaliya au nord de la bande. Dans le minibus Pierre
Barbancey, grand reporter du journal L’Humanité, le
premier correspondant de la presse nationale française a être
entré dans la bande de Gaza, nous informe du comportement de
Tsahal auprès des civils. Il nous raconte l’histoire suivante.
Dans le quartier de Talel Halwa dans Gaza-Ville, les militaires
israéliens sont arrivés vers 6 heures du matin. Avec les
mégaphones ils ont demandé à tous les habitants de sortir de
l’immeuble. Une fois en bas, ils ont mis les hommes d’un côté et
les femmes et les enfants de l’autre. Ils ont ensuite demandé
aux hommes de se déshabiller et de se mettre nus devant tout le
monde. Et là les militaires israéliens sont arrivés avec des
chiens pour qu’ils reniflent les hommes nus, ainsi humiliés en
public. Dans l’immeuble d’en face, les militaires ont sorti tout
le monde et ont fouillé chaque appartement pour voler les
bijoux, les choses de valeur, les ordinateurs. Comme une armée
de pillards sans morale ni valeurs.
Autant d’attitudes terribles, surtout pour le
premier exemple, que l’on retrouve à travers l’histoire dans les
pays où l’on a considéré l’autre peuple comme un peuple de
sous-hommes. Comme si les jeunes juifs israéliens d’aujourd’hui
voulaient se libérer des images tragiques des juifs d’Europe
centrale humiliés, massacrés, considérés comme des sous-hommes
et exterminés par les nazis. Pensent-ils, inconsciemment sans
doute, qu’en se comportant durement et cruellement avec
d’autres, ici les Palestiniens, cela les libèrera de cette
hantise ? Bien sûr, il ne s’agit pas de comparer la Shoah avec
quoi que ce soit d’autre. Nous avons lu Primo Levi. Et pour les
communistes français, nous avons combattu les nazis dans la
résistance et nous avons sauvé des milliers de juifs de France
de l’extermination nazie. Nous n’avons donc aucune leçon à
recevoir sur ce sujet. Il ne s’agit donc pas pour nous de
comparer la Shoah au malheur que subissent les Palestiniens.
Mais nous voulons néanmoins comprendre pourquoi un peuple dont
la création de l’Etat est le fruit de la décision de la
communauté internationale se comporte de la sorte. Tenter de
comprendre ne signifie pas excuser. Ce mal est très certainement
de même nature, d’un point de vue psychanalytique, mais cette
fois-ci à l’échelle d’un peuple tout entier, que celui de
l’enfant qui a vu son père battre sa mère. Il aura une très
grande probabilité lui aussi de battre à son tour sa femme comme
pour se libérer de la honte d’avoir assisté, enfant, impuissant
à cette violence insupportable. Ce mécanisme de renversement de
la violence est évidemment très présent au cœur de l’esprit
israélien. Parce que l’histoire de la Shoah est toujours vivante
et la souffrance encore vive. Le militant pacifiste Michel
Warschawski qui anime le Centre d’information alternative (AIC)
à Jérusalem évoque régulièrement ce phénomène pour expliquer la
dureté et la haine qu’éprouvent, trop nombreux, les Israéliens
envers les Palestiniens. Plutôt que d’aider les Israéliens à
sortir de leur profonde souffrance, et de les aider à se
réconcilier avec le monde qui les a tant fait souffrir, en
apprenant à bâtir un monde plus fraternel autour d’eux, il faut
déplorer l’usage de cette souffrance par de nombreux politiciens
qui y voient le moyen de convaincre de nombreux juifs en Israël
que la meilleure sécurité pour leur peuple tient exclusivement
dans l’exercice de la violence et de la suprématie militaire
comme moyen de dissuasion. Certes, il ne faut pas tomber dans la
naïveté et l’angélisme. La sécurité nécessite des moyens
militaires. Personne ne le conteste. Mais comment admettre cette
dérive-là ? Comment admettre en effet, sauf à dynamiter
l’ensemble du droit international qui n’a d’ailleurs pas besoin
de cela, que les dirigeants israéliens aient un droit moral et
exclusif à l’impunité au regard des règles internationales ?
Israël est champion du monde toutes catégories du non respect
des résolutions de l’ONU qui la concerne. Les politiciens qui en
Israël et ailleurs entretiennent cet état d’esprit général sont
de dangereux irresponsables. Ils font bien sûr le malheur des
Palestiniens mais aussi des juifs d’Israël qu’ils condamnent à
la violence, celle exercée comme celle subie. En lisant le
bloc-notes de Jean-Emmanuel Ducoin dans L’Humanité du
samedi 24 janvier je trouve cette phrase de Nelson Mandela tirée
de son livre « Un long chemin vers la liberté ». Je
cite : « L’Etat était responsable de la violence et c’est
toujours l’oppresseur, non l’opprimé, qui détermine la forme de
la lutte. Si l’oppresseur utilise la violence, l’opprimé n’aura
pas d’autre choix que de répondre par la violence. Dans notre
cas, ce n’était qu’une forme de légitime défense. » Le
malheur des hommes, quels qu’ils soient, doit cesser. Les
Israéliens comme les Palestiniens ont donc besoin d’unir leurs
forces pour bâtir un autre monde, de paix, de justice, et de
fraternité.
« Ici, nous vivons comme des morts-vivants ! »
Un homme nous parle dans la nuit sans électricité de Jabaliya.
Dès notre descente du minibus, on nous montre au milieu de la
nuit, à l’aide des phares d’une voiture, le cimetière bombardé
dont la presse internationale a parlé. L’homme se tient là au
milieu des décombres. Il s’appelle Ramadan Debbes. Son fils,
Mohamed Debbes, est mort dans ses bras. Il venait tout juste de
l’extraire de l’école de l’UNRWA ou 43 enfants sont morts suite
au bombardement de Tsahal. Cette école est l’une des trois
structures de l’UNRWA où Israël a commis ce que le secrétaire
général de l’ONU, Monsieur Ban Ki-moon, considère lui-même comme
des actes devant être jugés. Au-delà de l’agression criminelle
des dernières semaines, la vie quotidienne est aussi un enfer.
Ici 85% de la population vit sous le seuil de pauvreté. La
guerre des riches contre les pauvres est l’un des aspects de la
domination israélienne. Il n’y a pas d’électricité. Sauf à
travers les quelques groupes électrogènes que seulement quelques
familles, sûrement moins miséreuses que les autres, peuvent se
payer. Pas d’eau non plus. En fait si : une fois deux heures par
semaine. Ceux qui peuvent remplir des citernes sur le toit de la
maison arrivent à garder des réserves bien utiles pour le reste
de la semaine.
Nous sommes accueillis à quelques mètres de là
dans la maison de l’un de nos amis. Très vite une quarantaine de
personnes sortent de chez elles et viennent nous rejoindre.
Chacun évoque les trois semaines de guerre. Nous apprenons la
présence, dans la rue d’à côté, du médecin gynécologue
palestinien Ezzedine al-Aish que nous avons tous vu crier sa
douleur depuis l’hôpital de Tel-Aviv lors d’une émission en
direct de la télévision israélienne. Sa maison est dans le camp
de Jabaliya. Ses deux filles mortes vivaient là. Leur mère,
malade d’un cancer, est morte il y a cinq mois. La troisième
fille, blessée, a pu être sauvée. Il est venu enterrer ses deux
filles.
Depuis la maison de notre hôte, je décroche mon
téléphone pour m’adresser en duplex aux 220 Bagnoletais venus au
Cin’Hoche pour une soirée de solidarité avec Gaza et la
Palestine. Je parle de la sauvagerie de l’agression que j’ai pu
constater, de la véritable résistance que les Palestiniens ont
opposée, et de ce peuple meurtri mais debout, les yeux remplis
de larmes et d’angoisse mais tournés vers l’avenir.
Notre hôte continue à nous parler. « Les
bombardements et les tirs touchaient surtout les civils. C’était
très violent. Pourquoi ? Nous ne le savons pas. » « Tsahal
distribuait des tracts par avion pour dire aux civils de
s’éloigner de deux kilomètres. Les civils ont fui. Mais ils
n’avaient pas où aller. Les gens partaient jours et nuits. Ils
étaient affolés. C’était dur. J’ai été marqué par cet homme avec
ses quatre filles adolescentes, effondré sur un banc, devant
chez moi, qui se prenait la tête dans les mains en hurlant :
« où vais-je aller avec mes filles ? Je n’ai nulle part où
aller. » » « Toute la partie nord de la bande de Gaza était en
danger. Comme ici. La maison d’à côté a été détruite par une
bombe. Cela aurait pu être la mienne. Si cela avait été le cas,
nous étions onze à l’intérieur. » « Nous avons subi les bombes
au phosphore. Ce sont des bombes incendiaires. Un peu comme le
napalm. Beaucoup de frappes étaient lancées depuis des bateaux
en mer. Cette situation a duré jusqu’au dernier jour. Il y a eu
des choses qu’on n’a pas vu mais dont on entend parler : des
crimes contre des ambulances, contre la sécurité civile. On ne
cesse de déterrer des cadavres ensevelis sous les décombres et
que les bulldozers ont enfouis sous la terre qu’ils ont
entièrement retournée. Ils ont frappé l’hôpital qui accueillait
les blessés et disposait d’un stock de 150 tonnes de
médicaments. Tout a été détruit. On a tout vécu, l’occupation et
tout le reste. C’était dur. Mais on ne pouvait pas imaginer une
seconde un tel déferlement de bombes. C’est l’opération
militaire la plus meurtrière jamais engagée par Israël depuis
quarante ans.
Un homme arrive depuis la nuit noire de la rue.
Ses voisins lui ont dit qu’une délégation française était
présente. Il est donc venu nous dire qu’il est le seul survivant
d’une famille de 12 personnes. Une bombe est tombée sur sa
maison et tout le monde sauf lui est mort de l’explosion et de
l’effondrement.
La soirée se termine. Une partie de la
délégation va dormir chez notre hôte. L’autre partie, va chez
Zyad. Un immeuble de dix étages, avec un ascenseur qui ne marche
pas puisqu’il n’y a pas d’électricité. Nous buvons un verre de
thé. Zyad repart acheter du pain pour le petit déjeuner de
demain matin. Nous discutons avec lui, sa femme, et ses deux
garçons jusqu’à 1 heure du matin. Le groupe électrogène tourne
sur le balcon et son bruit couvre en partie le son de nos voix.
Nous nous couchons par terre sur des couvertures pour dormir car
demain nous avons prévu de nous lever à 6 heures pour reprendre
notre mission dès 7 heures.
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Compte rendu de mission à Gaza : 3ème partie
Lundi 26 janvier
2009
Le 23 janvier, à 7h30
nous entrons dans un centre culturel et sportif de Jabaliya. Le
gymnase est plein de gens qui dorment à même le sol à côté des
quelques effets personnels qu’ils ont pu récupérer dans les
décombres de leurs maisons. Ici 575 personnes sont accueillies.
Toutes les salles sont occupées : la bibliothèque, la salle des
fêtes, les salles de cours. Les gens ne savent pas où aller. La
première nuit, beaucoup de témoins nous disent que les gens
dormaient à même le sol devant leur maison détruite, car ils ne
savaient pas où aller se réfugier. Nous voyons bien que les ONG
manquent terriblement de moyens. Il y a très peu de matelas en
mousse par terre. Seulement des couvertures pour se protéger du
froid. La nuit il fait très vite entre 0 et 2 degrés. Un froid
insupportable quand il n’y a ni électricité, ni chauffage, ni
gaz. De nombreuses femmes sont accueillies dans ce centre. Dès
notre arrivée, elles veulent nous parler. Raconter leur
histoire. Dire leurs soucis. Demander des moyens. « On veut
des solutions pour nos maisons, pour l’école des enfants, pour
la nourriture, pour tout ce que nous avons perdu. On ne vit pas
comme des êtres humains normaux. Portez notre message. » « On
veut des maisons pour vivre. » Elles s’appellent Sana,
Amal, Soheila. Elles sont entourées d’autres femmes qui
acquiescent, et de leurs nombreux enfants, souvent en bas age.
Leur message est clair, fort, humain. Nous repartons
bouleversés.
Nous passons devant la maison du gynécologue
palestinien Ezzedine el-Aish, appelé aussi Aboul Aich. Il est
reparti en Israël après l’enterrement de ses filles hier. Nous
ne pourrons donc pas le rencontrer.
Nous poussons quelques centaines de mètres plus
loin, à l’Est de Jabaliya. Et nous faisons d’autres rencontres.
Le quartier est entièrement rasé. Ce quartier est en limite de
la frontière. Sur des kilomètres, la totalité des maisons sont
par terre. Les personnes que nous trouvons, errent-là, aculées
depuis des jours après que les militaires de Tsahal aient
perpétré des crimes de guerre. Je mesure à cet instant la portée
du titre de une de L’Humanité lorsque son journaliste a
écrit « Ici, c’est terrible ».
Au numéro 599 du secteur Hazbet Abd Rabo dans
Est-Jabaliya nous rencontrons un vieil homme. Il s’appelle
Rachid M’hammed M’hammed. Voila ce qu’il nous a dit. « Les
militaires ont jeté des grenades à l’arrière de la maison. Ils
sont montés à l’étage. Nous étions là avec les enfants. Ils nous
ont fait mettre les mains en l’air. Ils ont séparé les hommes et
les femmes. Ils ont plaqué tout le monde au mur. Ils ont pris
mes deux fils. Ils les ont mis à part. Ils ont fouillé
l’ensemble des pièces. Puis ils sont montés à l’étage supérieur
avec mon fils Samir. Nous avons entendu un coup de feu. Ils sont
redescendus et ont dit à mon autre fils : on vient de tuer ton
frère avec une balle. En fait il était encore en vie. Il fallait
lui porter secours en urgence. Mon autre fils, criait pour qu’on
porte secours à son frère. Il a demandé l’autorisation de sortir
dans la rue. On lui a dit de la fermer. Et puis ils ont accepté.
Ils l’ont laissé sortir. Et une fois dehors ils lui ont tiré
dessus. Je pense qu’ils voulaient lui tirer une balle dans la
tête. Mais le tir n’était pas précis et comme il marchait les
mains en l’air ils ont touché sa main. Il avait les doigts
tranchés. Ils pendaient de sa main. Ils lui ont dit de revenir à
l’intérieur. Une fois dans la maison ils lui ont demandé de se
déshabiller nu. Il n’y arrivait pas avec sa main blessée. Ils
lui hurlaient dessus. Il devait ensuite se rhabiller puis se
déshabiller et se rhabiller à nouveau. Il demandait à ce qu’on
le soigne. Ils n’ont rien fait et l’on laissé ainsi pendant
trois jours. Ensuite ils sont partis. Mais pendant dix jours ils
nous ont empêché de sortir de la maison et d’évacuer le corps
mort de Samir qui s’était vidé de son sang. Samir était un
employé de l’UNRWA. Son nom est Samir Rachid M’hammed M’hammed.
Quand le directeur de l’UNRWA a su que Samir était là il est
intervenu à plusieurs reprises pour tenter de le sortir. Quand
la jeep de l’UNRWA est venue devant la maison, ils ont tiré
dessus. La jeep est venue une deuxième fois. Ils lui ont tiré
dessus une nouvelle fois. Le directeur de l’UNRWA a pris contact
avec un député de la Knesset. Il s’agit de Jamal Zahalka (leader
du parti arabe Balad). Il est intervenu auprès de Ehud Barack
lui-même. Et il n’a pas eu d’autre réponse de sa part que « Là
où il y a l’armée, c’est elle qui décide. » « Samir avait 43
ans. Il est mort exécuté gratuitement. Son frère qui a perdu la
main a 40 ans. Samir avait une famille de huit enfants. » A
ce moment-là, le père qui nous parle depuis dix minutes
s’effondre en larmes. Au moment de se quitter, il nous dit :
« Je sais que vous ne pouvez rien faire, mais témoignez de tous
les crimes. »
Notre délégation est sous le choc.
Nous parlons entre nous. Nous prenons la mesure
de la gravité des propos que nous venons d’entendre. Nous nous
organisons un peu car nous n’avions pas pensé que nous allions
être parmi les premiers à découvrir en direct l’existence de
crimes de guerre.
Le quartier où nous allons est à quatre cents
mètres d’où nous sommes. Il est visible depuis les villes
frontières d’Israël. Est-ce de Sdérot ou d’une autre ville, je
ne sais pas, que l’on regardait à la jumelle, le soir, en
famille ou entre amis, les explosions qui se déroulaient ici ?
La presse internationale rapporte avoir vue en Israël des
regroupements de personnes installées des heures durant comme
s’il s’agissait d’un spectacle. Le spectacle de la haine.
L’indécence de la disproportion que plus personne ne remarque,
sauf celui qui est écrasé sous la botte. Le bonheur des uns
peut-il se construire sur le malheur des autres ? Quel type de
valeurs peut-il bien y avoir dans le cœur et dans l’esprit de
ceux qui pensent que cela est possible. Seuls des tyrans, des
exploiteurs, des colons, des voyous, ou des inconscients peuvent
penser ainsi. Les Israéliens avaient-ils conscience de ce qui se
déroulait de l’autre côté ? Avaient-ils conscience que leurs
soldats ne faisaient peur qu’à des civils dépourvus de tous
moyens et martyrisaient des enfants ? Bien évidemment rien
n’était fait pour les informer de cela. Au contraire, tout
l’appareil de propagande était en place pour chauffer les
esprits à blanc et faire de toute voix dissonante la voix d’un
extrémiste antisémite en puissance. Insupportable. Est-ce cela
la lutte contre le terrorisme ? Est-ce cela le but de guerre
d’Israël : martyriser les civils pour dire qu’Israël était
largement supérieure du point de vue militaire ? Bernard
Henry-Lévy, « embedded », c’est-à-dire témoin embarqué et
complice dans un véhicule blindé d’une unité d’élite de Tsahal,
déclarait dans le Journal du Dimanche que les
militaires ne ciblaient que les « terroristes ». Pourtant, il
semble maintenant que rien de cela ne soit vrai. BHL a menti.
Peu de combattants palestiniens ont été tués. Il apparaît dès
lors que l’un des buts de guerre d’Israël était de redresser la
crédibilité de la dissuasion militaire israélienne sérieusement
entamée en juillet 2006 lors de son échec au Liban. Pour
redresser sa crédibilité, sachant que Tsahal ne pouvait pas
gagner une véritable guerre dans Gaza, les militaires ont donc
manifestement reçu l’ordre de faire exprès des dégâts et des
morts civils pour impressionner et laisser une image de très
grande supériorité militaire.
Nous parcourons les quatre cents mètres avec le
minibus. Nouvel arrêt. Silence de plomb dans le véhicule. Nous
n’osons pas croire ce que nous voyons. Un spectacle de
désolation. Tout est rasé. Aux pieds de sa maison totalement
effondrée, un homme est assis sur un parpaing. Avec quatre pieux
de bois, il a constitué un abri de fortune. Il a fait un petit
feu. Une autre personne vient le rejoindre. Au dessus des ruines
de sa maison, il est allé dresser un drapeau de la Palestine.
Et puis, au hasard de notre rencontre, nous
abordons un homme seul qui tourne autour de l’amas de béton que
constitue sa maison détruite. L’homme s’appelle Khaled M’hammed
Abd Rabo. Il nous parle. L’indicible est dans son regard.
« Le 7 janvier, entre 12 heures et 13 heures trois chars
israéliens se sont postés dans notre quartier. Ici nos maisons
sont à découvert. Israël est proche. Il n’y a pas de Hamas ici.
Nous sommes plutôt des communistes. Nous n’avons pas d’armes.
Pas dans ce quartier. Un des trois chars est venu prendre
position avec son canon juste en face de la porte d’entrée de la
maison. Avec le mégaphone, ils nous ont hurlé de sortir de la
maison. Je vivais là avec ma femme, ma mère qui a soixante ans,
et mes trois filles. Nous sommes sortis avec un drapeau blanc
que nous avons confectionné avec un bout de tissu. En sortant,
au bout d’un petit moment, nous avions en face de nous deux
soldats qui étaient assis sur le char avec le canon pointé vers
nous. Les deux soldats mangeaient des barres de chocolat et des
chips. Ils ne nous ont rien dit. On est resté debout devant la
maison comme cela pendant un bon moment. Et puis un troisième
soldat est sorti du char avec un fusil mitrailleur et s’est mis
à tirer sur les enfants. Ma fille de deux ans a été touchée.
Elle gisait par terre avec le ventre ouvert. J’ai essayé de
remettre ses entrailles à l’intérieur. Mais ils m’ont ordonné
d’arrêter. Ensuite ils ont tiré sur ma deuxième fille de sept
ans. Ma femme criait au secours. Elle hurlait partout. Et puis
ils ont tiré sur elle à trois reprises. Ils ont tué aussi ma
mère. Et enfin sur la troisième fille. Qui n’est pas morte. Son
corps s’est comme plié en deux et comme si son dos s’était
retrouvé devant. Les deux autres soldats continuaient pendant ce
temps-là à manger des chips. Au bout de deux heures et demie,
une ambulance du Croissant rouge est venue. Le char a tiré sur
elle et est allé l’écraser en lui roulant dessus. A ce
moment-là, j’ai voulu mourir moi aussi. J’attendais qu’ils me
tuent. Je les ai imploré de le faire. Ils m’ont répondu que
maintenant je pouvais rester en vie. J’ai pris ma fille blessée
et encore en vie dans mes bras. J’ai marché en direction de
l’hôpital qui est à deux kilomètres. Un vieil homme sur une
carriole tirée par un âne s’est arrêté pour me secourir et
m’aider à transporter ma fille. Ils ont tiré sur le type en lui
mettant une balle dans la tête. J’ai réussi à aller à l’hôpital.
Ma troisième fille a ensuite été emmenée en Belgique. Les
médecins ont dit qu’elle sera paralysée à vie. Voilà, moi mes
enfants ils les ont abattus. Dites leur que c’est pas le Hamas
ici. C’est des communistes. » Khaled nous conduit voir ce
qu’il reste de l’ambulance complètement détruite. Des jeunes,
venus écouter le témoignage, nous amènent des morceaux de
phosphore. Nous ne les avions pas remarqués. En fait le sol est
truffé de ces morceaux qui ressemblent à des petites pierres.
Ils mettent un de ces morceaux dans une flamme pour nous montrer
les qualités incendiaires du phosphore. Un feu très puissant et
blanc qui dure plusieurs longues minutes. De quoi mettre le feu
partout et tout brûler en un temps record. Des personnes comme
Khaled, il y en a plusieurs dans cette zone qui ressemble à
l’enfer. Une équipe de M6 se trouve là. Nous lui indiquons la
présence de Khaled qui vient de nous apporter son témoignage. Le
lendemain, j’ai appris que M6 avait donné la parole à Khaled
dans les informations du soir. Les journalistes étaient comme
nous, saisis d’effroi. Dans ses situations nous ressentons un
sentiment d’immense humiliation. On se sent soi-même touché.
Notre part d’Humanité est souillée, violée, piétinée. On atteint
ce qu’il y a de pire au fond de chaque être humain. Et puis
immédiatement c’est le sentiment de colère et de révolte qui
prend le dessus. Dans la délégation, quelqu’un a dit :
« cela pourrait bien ressembler à Oradour-sur-Gaza. »
Oui, ce que nous avons vu constitue un crime de
guerre. Pas un, mais des crimes de guerre. Combien ? Nous n’en
savons rien. Personne ne le sait d’ailleurs, car les faits
n’apparaissent qu’au fur et à mesure. Nous pensons que doit être
constituée une commission d’enquête internationale pour recenser
tous les témoignages, établir les faits, afin de procéder à des
condamnations. Les soldats israéliens se sont mal comportés.
Très mal. Ils ont agi comme des criminels de basse besogne.
Manifestement les faits sont tels qu’il ne peut être question de
bavures ou d’actes isolés.
On se dit alors : les buts de guerre d’Israël ne
sont pas ceux qui ont été rendus publics. Les enfants de deux
ans et de sept ans ne sont ni des terroristes, ni des lanceurs
de Kassam, ni des combattants, ni des adultes à qui l’on
pourrait reprocher d’être des extrémistes antisémites. Et puis
surtout, ils n’ont pas été tués à l’occasion d’un bombardement
comportant son inévitable quota de morts civils innocents. Non.
Ils ont été tués froidement, gratuitement, calmement,
collectivement. Des exécutions sommaires. Ici les criminels et
les seuls extrémistes sont bel et bien les militaires de Tsahal.
Et toute tentative de renvoyer dos à dos les victimes de ces
crimes de guerre avec les victimes elles aussi innocentes des
Kassam est vaine. Certes, il n’est pas bon de tenir un bilan
comptable des morts des uns et des morts des autres. Toutes les
victimes innocentes doivent être respectées. Tel est notre état
d’esprit. Mais là, la ligne sensée nous protéger de ce qu’il y a
de plus barbare dans la nature humaine a été franchie par
Tsahal. Ses responsables et les exécutants sur le terrain
doivent être condamnés comme des criminels de guerre. Le Conseil
de sécurité de l’ONU aura-t-il le courage et l’audace de dire à
Israël que le temps de l’impunité totale est fini. Cette limite
là sera-t-elle rappelée aux dirigeants politiques et militaires
d’Israël ? Il suffirait pour cela que les Etats-Unis n’apportent
pas leur veto. La question est sur nos lèvres : qu’allez vous
faire Monsieur Obama de cette demande de commission d’enquête
internationale ?
Les heures passent. Vite. Très vite. Et notre
temps est compté. A 16 heures nous devons nous trouver à nouveau
au terminal de Rafah. Alors nous accélérons le pas. Direction
Gaza Ville. Le commissariat central est détruit. Juste à côté le
parlement palestinien n’est plus qu’une carcasse vide et noircie
par le feu. Nombre de députés palestiniens, élus lors des
dernières élections, pourtant réclamées par l’Europe, Israël, et
les Etats-Unis, sont actuellement emprisonnés en Israël.
L’université Al Azhar a elle aussi été bombardée. Vitres
cassées. Incendies. Un ministère a proximité est également dans
le même état. L’hôpital Al Qods du Croissant rouge palestinien
est détruit ainsi que le service des urgences qui se trouve dans
le bâtiment Al-Nour City. Cet immeuble ne s’est pas effondré sur
lui-même contrairement aux autres. En revanche tout a été
détruit à l’intérieur. Comme si un feu violent avait tout brûlé
en quelques secondes. C’est là d’ailleurs que se trouvait la
pharmacie avec ses 150 tonnes de médicaments. Probablement la
pharmacie centrale de l’ensemble de la bande de Gaza. On nous
dit que par manque de moyens médicaux les quelques structures
médicales encore en fonction ont du procéder à des amputations
en masse. Souvent sans anesthésie. Dans le quartier Talel Halwa
autour de l’hôpital on voit des carcasses d’ambulances détruites
par des tirs. Le Parc Barcelone a servi de poste de tir à des
chars israéliens qui l’ont complètement ravagé. Il ne reste rien
du parc si ce n’est une vaste esplanade de terre retournée par
les chenilles des tanks. A quelques pas de là une usine de
limonade et de Pepsi Cola a été prise pour cible. On y dénombre
27 morts.
Nous arrivons au quartier Zeitoun en bordure de
Gaza-Ville, au sud-est de la ville. 110 personnes de la famille
Samouni et de deux autres familles ont été massacrées dans des
conditions similaires à ce que nous avons vu une heure plus tôt
à Jabaliya-Est. Ici tout est rasé. Des milliers de poulets morts
jonchent le sol. Il y avait ici une batterie d’élevage de
poulets. Il y a des plumes blanches partout. Et une épouvantable
odeur de charogne. Nous ne voulons pas déranger les quelques
survivants qui se regroupent autour d’un camion de l’association
humanitaire LIFE qui leur apporte notamment un peu d’huile et de
farine. Nous ne nous attardons pas sur les conditions dans
lesquelles ces familles ont été massacrées. Pierre Barbancey
nous dit en effet qu’il a écrit à ce sujet un article paru dans
L’Humanité-Dimanche du jeudi 22 janvier. Libération
évoquera elle aussi ce crime de guerre dans son édition du
vendredi 23 janvier. Nous retournons sur Gaza-Ville. Nous
passons devant le dépôt alimentaire de l’UNRWA qui a été
bombardé et a entièrement brûlé. Sur les murs de toutes les rues
dans lesquelles nous passons on peut lire des slogans peints à
la bombe. On y trouve aussi des adresses de sites internet :
Ashala.com, Snawat.net, Sayiz.com, 2rwa7.com, 7coma.com. Nous
longeons le bord de mer. L’ancien QG de Yasser Arafat, lorsque
celui-ci est revenu à Gaza après les accords d’Oslo est
totalement ravagé par les bombes. Tout comme le port de pèche de
Gaza-Ville. Le long de la route qui nous emmène au camp de
réfugiés de Deir El-Balah, célèbre pour ses palmiers dattiers
qui donnent des dattes succulentes. Les dattiers ont été
ravagés. Tout est rasé. Comme ailleurs, la terre agricole est
retournée par les passages de chars. En mer nous constatons la
présence de petits bateaux israéliens postés à mille mètres de
la côte. Ils sont espacés de mille mètres environ les uns des
autres. Un véritable blocus naval. Les pécheurs n’osent pas
mettre leurs barques à l’eau. Dès qu’ils le font ils essuient
des tirs de sommation puis des tirs ciblés. Certains en sont
morts. La veille cinq pécheurs ont ainsi été blessés.
Nous arrivons à Deir El-Balah. Il est 12 heures.
Aussitôt les gens nous rejoignent. Au bout d’un instant, un
vieux monsieur dit à Meriem Derkaoui : « Toi, t’es avec
nous, pas parce que tu es française, mais parce que tu es
algérienne. Tu vois l’autre, en montrant une autre personne
de la délégation, il n’est pas comme toi. » Nous lui
expliquons que cela n’a rien à voir. Et que nous sommes là en
solidarité avec les Palestiniens. Il ne nous croit pas sur le
moment. A ce moment là, Patrick Le Hyaric sort une affiche que
L’Humanité a éditée reproduisant la une du journal
titrant « C’est la Palestine qu’il faut sauver ». A la
vue de cette affiche, le vieil homme était bouleversé.
« Alors c’est vrai, en France, il y a des gens avec nous ? ».
Oui, nous lui répondons. « Et si Nicolas Sarkozy a été élu,
ce n’est pas grâce à nous » lui répond Patrick Le Hyaric.
C’est alors que le vieil homme nous dit : « Sarkozy, il
n’est pas clair avec nous, il n’est pas bon pour nous. »
A 12h30, nous arrivons au camp de Khan Younes,
plus au sud. C’est l’heure de la prière du vendredi. A la
mosquée Al Mojamma Al Islami, surmontée d’un immense dôme vert,
près de 600 fidèles sont venus écouter le prêche. Celui-ci est
énergique. On l’entend à travers les hauts parleurs qui se
trouvent à l’extérieur. Voici quelques passages qui nous ont été
traduits. « Nous le Hamas, on est les plus forts. On est
nombreux. De plus en plus nombreux. On aura la victoire. Ceux
qui ont été des spectateurs comme Abbas ne sont que des beaux
parleurs. Nous, on a envoyé des Kassam. Nous vaincrons. Nous
vengerons ce qu’ils ont fait dans nos maisons, à nos femmes, à
nos enfants. Ils utilisent le phosphore contre nous. Cette
situation est due à Abbas. C’est à cause de lui. Si on veut
libérer Gaza, il faut libérer Ramallah. La foi est notre force
et notre persévérance. Et avec l’aide de dieu nous allons
vaincre. Nous sommes déjà victorieux de tout ce qui s’est passé
ces derniers jours. »
Alors que nous nous trouvons à l’extérieur de la
mosquée, à plus d’une centaine de mètres, dans le même temps
Jawad El-Tibi, membre du Fatah, ancien ministre de la santé de
l’Autorité palestinienne, nous dit : « Ici aussi, à Khan
Younes, il y a eu des conflits. Moins qu’ailleurs cependant. Le
camp de Khan Younes compte 23000 personnes. La densité de
population est aussi forte qu’à Gaza-Ville, celle où l’on compte
la plus forte densité au monde. La moindre frappe aurait était
mortelle pour beaucoup d’habitants. Nous n’avons pas les moyens
de soigner les blessures faites par les bombes au phosphore.
Pourquoi ont-ils détruits des maisons vides ? Nous ne
connaissons pas toutes les armes qui ont été utilisées. Par
exemple, nous n’avons toujours pas compris pourquoi quand une
bombe arrivait sur un point ciblé, c’est en fait tout ce qu’il y
a autour qui est détruit. Nous ne connaissons pas ces armes.
Nous manquons même de mots pour dire ce que nous avons vu. Nous
ne savons pas encore l’expliquer. Par ailleurs, nous savons que
beaucoup de gens sont encore sous les décombres. Avec la très
grande complexité de la situation où les destructions se
superposent. Comme s’il y avait eu en même temps un tsunami, un
violent tremblement de terre, et une guerre. C’est très
difficile de faire face à cela. »
13h30 : retour à Rafah.
Dans la campagne nous constatons l’un des aspects de
l’intervention terrestre israélienne. Les troupes et les chars
ne sont pas entrés par les axes importants de circulation,
contrairement à ce qui s’était produit au sud Liban en 2006. Les
Israéliens avaient le souvenir d’avoir été attendus par de
nombreux pièges le long de ces axes. Cette fois-ci, la
pénétration s’est faite à partir des zones rurales. Du coup,
tous les champs sont dévastés. A El Foukhari, quartier rural de
Khan Younes, le maire nous montre les champs de blé écrasés,
tout comme les vignes, les serres, les oliviers. Une station
d’épuration d’eau potable a été détruite par des chars. Elle
alimentait toute la région. Il en va de même pour une centrale à
béton aux silos complètement éventrés. Dans la maison d’à côté,
des soldats étaient postés là pour veiller sur cette station
détruite. Nous entrons dans la maison. Sur les murs, à côté des
fenêtres, il y avait des petits dessins avec des commentaires
écrits en hébreu. Ces petits plans indiquaient, à chaque soldat
de Tsahal présent, les cibles potentielles et les angles de tir.
Sur un meuble renversé par terre, nous trouvons un étui de fibre
de verre cassé en deux qui appartenait à un lance-roquette. Les
instructions de tir sont encore collées sur le tube. Cette
intervention terrestre donne le sentiment que les objectifs
militaires étaient faibles. Il s’agissait plutôt d’une véritable
punition collective. Et tout ce qui gênait sur le passage a été
détruit.
15h30 : nous saluons nos amis devant l’entrée du
terminal de Rafah. Nous aurions eu besoin de plusieurs jours
supplémentaires pour procéder à des constats plus importants.
Mais les contraintes du passage de la frontière s’imposent à
nous. Nous savons que la situation est très tendue et que le
terminal peut être fermé à n’importe quel instant. Nous
profitons donc de son ouverture momentanée pour sortir de la
bande de Gaza. Avec la peine de quitter nos amis qui ont besoin
de tout, mais avec la responsabilité de porter à la connaissance
du plus grand nombre le témoignage de ce que nous avons vu et
entendu. Les Palestiniens ont évidemment besoin de tous les
gestes de solidarité ainsi que de la compassion humanitaire.
L’AJPF annonce déjà qu’une initiative importante sera prise dans
ce sens dans les jours qui viennent. Le Secours Populaire
Français annonce aussi un « Avion pour Gaza ». Mais
malgré la misère qui alourdit terriblement leurs conditions de
vie, les Palestiniens ont avant tout besoin d’une solution
politique, pour construire eux-mêmes leur propre Etat et leur
propre avenir.
*
maire de Bagnolet
Le 25 janvier 2009
Les membres de la
délégation de l’AJPF étaient :
Fernand Tuil,
co-président de l’AJPF,
Patrick Le Hyaric,
directeur du quotidien L’Humanité,
Francis Würtz, député
européen, président du groupe de la Gauche Unitaire Européenne
au Parlement européen,
Marc Everbecq, maire
de Bagnolet,
M’hammed Henniche,
secrétaire général de l’UAM 93,
Meriem Derkaoui,
conseillère municipale de Aubervilliers,
Alain Blanchard,
conseiller général de Saint-Leu d’Esserent – Montataire,
vice-président du conseil général de l’Oise,
Pierre Trovel,
photographe reporter de L’Humanité,
Yazid Djebara,
secrétaire général de l’AJPF
Hassen Allouache,
militant pacifiste, responsable de l’AJPF.
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