L'attaque israélienne contre les Palestiniens de Gaza a creusé
davantage le fossé parmi les juifs au sujet d'Israël et du
sionisme. Nombreux sont les juifs qui tentent d'aborder la
question des contradictions existant entre le judaïsme tel
qu'ils le professent et l'idéologie sioniste qui s'est emparée
d'eux. Et ceci au moment où de profondes préoccupations sur ce
que fait l'État d'Israël soulève l'ire des peuples à travers la
planète, dont les juifs constituent à peine deux millièmes de la
population.
Ce
rappel est important vu l'ampleur des problèmes que soulève le
comportement de l'État d'Israël qui prétend d'agir au nom de
tous les juifs. Cette prétention est d'autant plus dangereuse
que les médias à travers le monde associent automatiquement cet
État avec les juifs en le surnommant «l'État juif» ou «l'État
hébreu». Les juifs de différents pays se trouvent donc otages
des actes d'un État étranger dont ils n'ont aucun contrôle.
Certains juifs demandent maintenant publiquement si l'État
nation ethnique, source de la violence incessante au
Moyen-Orient, est «bon pour les juifs». Beaucoup parmi eux sont
perturbés par le fait que le sionisme militant détruit les
valeurs morales juives et met en danger les juifs en Israël et
ailleurs. Cette discussion est également entrée dans le champ de
la culture populaire: le dernier film israélien Valse avec
Bachir se focalise sur le coût moral pour Israël qu'entraîne
l'utilisation permanente de la force.
Or,
certains juifs, tant en Israël qu'ailleurs ont depuis longtemps
échangé leurs valeurs morales contre un nationalisme débridé. Ce
sont eux qui se positionnent comme «les» représentants de «la»
communauté juive. En fait, ils agissent comme agents de l'État
d'Israël et, en le faisant, mettent en danger les juifs qu'ils
prétendent représenter.
Le
lobby israélien aligné sur les positions des nationalistes de la
droite israélienne vilipende toute critique d'Israël, dont
plusieurs livres édités lors des dernières années - Prophets
Outcast, Wrestling With Zion, The Question of Zion,
The Myths of Zionism - tous écrits par des juifs qui sont
préoccupés par ce même conflit entre le sionisme et les valeurs
juives. Le lobby israélien dénonce tout juif qui proteste comme
«traître» ou bien comme «juif qui se haït». Mais l'ampleur de la
protestation ne cesse d'augmenter. Elle couvre tout un spectre
de juifs, des rabbins hassidiques d'un côté, en passant par
l'ancien président de la Knesset, jusqu'aux anarchistes
israéliens de l'autre.
Il y
a quelques jours, à Londres, le rabbin Avraham Greenberg, barbu
et en chapeau noir, brûle son passeport israélien devant une
foule manifestant contre l'attaque israélienne. Dans une
entrevue après la manifestation, il explique que, selon la
tradition juive, il est impérieux de parler ouvertement lorsque
la réputation du judaïsme est profanée. Il n'offre aucune
analyse politique de la réalité au Moyen-Orient, mais souligne
que l'idée même d'un État réservé aux juifs, et le prix humain
et moral qu'il exige, va a l'encontre de tout ce que le judaïsme
enseigne, en particulier les valeurs clés de l'humilité, de la
compassion et de la bonté. Il conclut que l'État d'Israël
constitue «le plus grand danger pour les juifs».
En
Israël même, nombreux sont ceux qui s'opposent fermement à
l'idée même d'attaquer Gaza. Le vétéran de la presse et de la
politique israélienne Uri Avnery compare l'attaque au siège de
Leningrad et le bombardement de Londres par les forces nazies
lors de la Seconde guerre mondiale. Ce genre de comparaison -
que peu de journaux occidentaux auraient osé publier de peur
d'être accusé «d'antisémitisme» - est monnaie courante en
Israël. En fait, les dénonciations les plus fermes de la
politique israélienne proviennent des juifs israéliens qui sont
autant divisés que leurs coreligionnaires ailleurs.
À
Montréal, la succursale locale du groupement international Voix
juives indépendantes/ Independent Jewish Voices monte un piquet
devant une synagogue qui sert de lieu d'un rassemblement
sioniste pour appuyer - sans broncher – les actions d'Israël.
Ils portent une pancarte «Juifs pour Gaza» et soulignent que «ce
pays voyou» n'agit pas à leur nom.
Plus
de six cents juifs ont signé un appel aux soldats israéliens de
désobéir et de déserter. Cet appel est également signé par une
brochette d'organisations juives, toutes opposées à ce que fait,
voire ce qu'est l'État d'Israël. Car la dernière attaque
israélienne souligne de nouveau un fait essentiel mais souvent
occulté: c'est la vision sioniste de l'État d'Israël comme une
ethnocratie exclusive qui est à la racine des violences qui
secouent la Terre sainte depuis six décennies. Tandis que
partout au monde, de l'Iran au Canada, les juifs vivent en paix
parmi d'autres groupes, ce n'est qu'en Israël qu'ils se sont
ségrégués dans un ghetto armé qui ne leur pourvoie guère la
sécurité et menace tous les autres autour.
Il
reste à voir si la rupture entre ceux qui s'en remettent a la
tradition morale juive et les convertis au nationalisme juif
peut un jour être réduite. Tous ceux qui perpétuent
l'association automatique des juifs à l'État d'Israël ne font
pas seulement une grave erreur ils contribuent ainsi à la cause
sioniste.
L'auteur est professeur d'histoire à l'Université de Montréal;
son dernier ouvrage est
Au nom de la Torah: une
histoire de l'opposition juive au sionisme (PUL).
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