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2009-01-26

Des Israéliens démontent le mythe sioniste : Avraham Burg et Shlomo Sand - Pierre Stambul

 

 

On ne sortira pas de la fuite en avant criminelle de la politique israélienne vis-à-vis des Palestiniens sans une forme de rupture avec le sionisme. Depuis quelques années, une critique radicale émanant de diverses personnalités israéliennes s’attaque à cette idéologie. En effet en Israël, l’éducation, l’histoire, la loi, la propriété, la façon de penser, l’air qu’on respire, sont sionistes. Il est interdit de douter. Et pourtant, certain-e-s s’échappent. Ils/elles sont journalistes, écrivain-e-s, cinéastes ou  historien-ne-s. Ils/elles ont parfois fait de la politique dans les partis de gauche avant de rompre. Ils/elles passent une partie de leur temps à l’étranger comme 15% de la population. Ils/elles s’appellent Amira Hass, Michel Warschawski, Ilan Pappé, Nurit Peled, Gideon Levy, Avi Mograbi, Idith Zertal … Deux livres très différents sont sortis en 2008. Ce sont «Vaincre Hitler» d’Avraham Burg et «Comment le peuple juif fut inventé» de Shlomo Sand(l’un et l’autre édités par Fayard). Deux livres très différents mais indispensables pour comprendre et donc pour combattre l’oppression.

 

Une critique radicale venue de l’intérieur.

 

Avraham Burg n’est pas «l’un des nôtres», ce qui a parfois indisposé des militant-e-s engagée-e-s pour la Palestine. Il est un pur produit de l’establishment sioniste. Son père, Yossef Burg, a été le représentant du principal parti religieux dans divers gouvernements israéliens de 1951 à 1986.

Il fut un des deux ministres opposés à la pendaison d’Eichmann. C’est plus tard que le Parti National Religieux est devenu un parti d’extrême droite, fer de lance des colons fanatiques. Avraham a grandi dans l’univers protégé des enfants de dirigeants. Il a été un des politiciens en vue du parti travailliste, président de l’agence Juive et président de la Knesset (le Parlement israélien). Dans le monde sioniste, les ruptures, partielles ou totales viennent souvent d’en haut à l’image de Nahum Goldman ou Théo Klein(qui ont dirigé le Congrès Juif Mondial pour l’un et le CRIF pour l’autre). Burg a brusquement rompu. Il a quitté toutes ses fonctions officielles. Il a redécouvert le judaïsme combattant pour l’émancipation. Il songe aujourd’hui à créer un grand parti de gauche qui déborde le parti travailliste et le marginalise. Expérience probablement vouée à l’échec vu l’état de la société israélienne.

Le livre de Burg fourmille de «perles» révélatrices de l’état d’esprit sinistre et cynique des dirigeants sionistes. Ainsi Abba Eban qui fut pendant des années le ministre des affaires étrangères (et devint une «colombe» à la fin de sa vie) a déclaré en réponse à une question de l’ONU après la guerre de 1967 qu’il était hors de question qu’Israël retourne aux «frontières d’Auschwitz» (la ligne verte de 1949). Ainsi quand les troupes de Sadate attaquent sur le canal de Suez en 1973, Moshé Dayan compare cette attaque à «une destruction du troisième temple». Quand l’armée Israélienne attaque l’OLP à Beyrouth en 1982, Menachem Begin déclare : «j’ai eu le sentiment d’attaquer le bunker d’Hitler». Le même Begin dira que l’alternative à l’invasion du Liban, c’est Treblinka. Ehud Barak est tout aussi pitoyable quand il affirme lors de l’anniversaire de l’insurrection du ghetto de Varsovie : «les soldats israéliens sont arrivés 50 ans trop tard».

Burg dissèque la mentalité israélienne qui produit l’occupation et la négation de l’autre : «Israël est tombé dans le piège du destin. Nous sommes les bons et eux les ennemis ultimes. Plus l’adversaire est méchant, plus nous sommes bons». Il décrit la dérive raciste de sa société où les graffitis : «mort aux Arabes» ou «Pas d’Arabes, pas d’attentats» pullulent en toute impunité. Face à la propagande incessante qui assimile les «Arabes» aux Nazis, Burg s’interroge au contraire sur l’ancienne victime devenue bourreau : «sommes-nous totalement happés par cette effroyable ressemblance avec nos bourreaux ?»

Dans le processus qui l’a conduit à la rupture, il y a une part d’histoire familiale. La mère d’Avraham appartenait à une famille installée en Palestine depuis plusieurs générations à Hébron. En 1929, c’est la première révolte palestinienne contre la colonisation sioniste. 67 Juifs sont tués à Hébron. La mère d’Avraham fait partie des rescapé-e-s grâce à une famille palestinienne qui a caché les siens. Plus de 60 ans plus tard, Avraham rencontre cette famille de «Justes» pour reprendre la terminologie appliquée à celles et ceux qui ont sauvé des Juifs pendant la guerre mondiale. Cet épisode et cette rencontre ont sûrement été déterminants dans son désir d’une vraie paix basée sur l’égale dignité. Comme avant lui le philosophe Yeshayahou Leibowitz qui, épouvanté par les conséquences des conquêtes de 1967, a été le premier à parler de judéo-nazisme, Burg considère que «la mise sous tutelle de millions de personnes signifie la remise en cause de l’essence juive».

Burg est très sévère avec l’instrumentalisation du génocide nazi. Le titre du livre «Vaincre Hitler», c’est en finir avec la victimisation, avec la célébration morbide, c’est refuser l’idée que la mémoire d’un massacre puisse légitimer la conduite d’une société. Dans son livre «La Nation et la Mort», l’historienne Idith Zertal aboutit à la même constatation. Burg constate : «nous nous conduisons comme si la Shoah est notre monopole». Il remarque d’ailleurs que beaucoup d’Israéliens nient le génocide arménien de peur que celui-ci ne porte ombrage au seul génocide valable à leurs yeux : celui des Juifs. « Halte au judaïsme craintif et au sionisme paranoïaque ! » conclut-il. Toujours sur l’idée que le souvenir des génocides appartient à tout le monde pour qu’ils ne se reproduisent pas, Burg rappelle un génocide oublié, celui de la quasi-totalité du peuple Herero en Namibie, par le colonialisme allemand. Personne n’a condamné ce crime à l’époque. Un des criminels était le père de Goering. Burg fait l’éloge de Marek Edelman, commandant en second de l’insurrection du ghetto de Varsovie, toujours vivant, toujours bundiste et hostile à l’Etat d’Israël. Il s’élève contre toutes les tentatives de rayer Edelman de l’histoire parce qu’il est antisioniste. Burg qui est profondément croyant propose qu’on vide la religion juive de tout texte qui pourrait être exploité à des fins de colonialisme ou de haine. Et il souhaite que les autres religions fassent de même. Vaste programme … À l’inverse des lectures intégristes des textes sacrés, il met en avant l’idée de la responsabilité de chaque être humain vis-à-vis de ses actes.

 

Quand Shlomo Sand dissèque la mythologie sioniste.

 

Sand est un historien dont la famille a fui la Pologne. C’est un homme de gauche, étranger à la religion. Il a fait une partie de ses études à Paris avec Pierre Vidal-Naquet qui a préfacé son livre précédent : «les mots et la terre, les intellectuels en Israël».

Dans les conférences où il présente «Comment le peuple juif fut inventé», Sand s’excuse à l’avance du nombre de notes qui accompagnent son livre. Il sait que celui-ci, qui est déjà un best-seller en Israël, sera l’objet de très vives critiques et il tient à préciser ses sources et ses recherches. L’idée centrale du livre de Sand est la suivante. Pour créer l’Etat d’Israël et pour l’amener dans la situation actuelle, les sionistes ont dû tout fabriquer : une histoire, une identité, un peuple, une mentalité, des valeurs. Mais fondamentalement, tout est plus que discutable. L’histoire antique est très largement légendaire. Et surtout, il n’y a eu ni exil, ni retour : les Juifs ne sont pas massivement partis au moment de la destruction du temple par Titus. Autrement dit, les descendants des Hébreux de l’Antiquité sont essentiellement les Palestiniens. Ben Gourion lui-même a écrit (avec Ben Zvi, le futur président d’Israël) en 1918 que ces «fellahs» étaient probablement des descendants de Juifs et qu’ils s’intègreraient au projet sioniste. Il a changé d’avis après la révolte palestinienne de 1929 en se ralliant à l’idée de les expulser. Sand explique longuement que les Juifs d’aujourd’hui sont les descendants de convertis de différentes époques.

On peut discuter sur le titre provocateur du livre de Sand. Y a-t-il oui ou non un peuple juif ? On peut discuter sur l’origine Khazar des Ashkénazes par rapport à l’hypothèse de l’origine ouest-européenne ou sur ce qu’il écrit du marxisme. Mais pour toutes celles ou ceux qui considèrent à juste titre que le sionisme est une idéologie criminelle pour les Palestiniens et suicidaire à terme pour les Israéliens, le livre de Sand est fondamental : le cœur de l’histoire telle que les sionistes la racontent (l’exil, le fait que la diaspora soit une parenthèse et que la création d’Israël permette aux Juifs de retourner dans le pays de leurs ancêtres et de reconstituer le royaume unifié), toute cette fable est FAUSSE et sciemment inventée pour justifier un projet colonial. Et c’est un argument fondamental dans la lutte idéologique opiniâtre que nous devons mener contre les ravages du sionisme.

«C’est le nationalisme qui crée les nations et non pas l’inverse» a écrit Ernest Gellner (un théoricien de la modernité mort en 1995). Dans le cas du sionisme, il a dû créer au départ une histoire «politiquement correcte» des Juifs. Avant l’apparition du sionisme, des historiens juifs allemands, très inspirés par les idées «raciales» de l’époque, se mettent à imaginer que les Juifs seraient un peuple-race. Idée plus tard partagée par les Nazis avec les conséquences que l’on sait. Les concepts de races aryenne, sémite etc… sont tout aussi stupides et inexacts que dangereux.

Dans leur grande majorité, les fondateurs du sionisme n’étaient pas croyants. Certains étaient même farouchement antireligieux, considérant les rabbins comme les représentants d’une forme d’arriération. Au contraire, pendant très longtemps, les religieux orthodoxes ont été hostiles au sionisme. Encore aujourd’hui, un courant religieux comme les Nétouré Karta condamne le sionisme comme hérétique, comme porteur de l’idée (fausse à leurs yeux) que le Messie, c’est l’Etat d’Israël. C’est à partir de 1967 que le courant national-religieux, reprenant les théories du rabbin Kook, s’est rallié au sionisme et au colonialisme. Ce courant représente aujourd’hui près d’un quart de la société israélienne.

Les fondateurs du sionisme et plus tard les historiens «officiels» de l’Etat d’Israël sont allés rechercher dans la Bible tout ce qui pouvait justifier la décision, prise lors d’un congrès sioniste, de créer le «foyer» juif et plus tard «l’Etat juif». Sur l’histoire antique, les archéologues israéliens Finkelstein et Silberman parlent de «la Bible dévoilée» quand Sand parle de «mythistoire». Ils sont d’accord sur l’essentiel. De toute façon, dans la communauté des archéologues et des historiens, il n’y a plus que des divergences de détail. La Bible diffère peu de l’Iliade et l’Odyssée. Un livre extraordinaire qui a frappé et impressionné des millions d’humains à travers les siècles. Mais une histoire largement légendaire.

Sand confirme : les épisodes de l’arrivée des Hébreux depuis la Mésopotamie ou celui de l’entrée et la sortie d’Egypte sont inventés. Ils correspondent à la volonté des auteurs de la Bible de se donner des origines, une histoire et une raison d’être politiquement correctes. Quand le fasciste Baruch Goldstein massacre 29 Palestiniens (en 1994) dans le «caveau des patriarches» censé être le tombeau d’Abraham, la fiction devient meurtrière.

L’épisode le plus horrible de la Bible, la conquête sanglante de Canaan par

Josué, premier texte d’apologie du «nettoyage ethnique» est aussi inventé.

Les Hébreux sont un peuple autochtone, ils n’ont rien conquis. Ce texte constitue le socle idéologique du courant national-religieux pour qui «Dieu a donné cette terre au peuple juif». Au nom de ce texte, près d’une moitié de la société israélienne est favorable au «transfert», la déportation des Palestiniens au-delà du Jourdain.

Le royaume unifié de David et Salomon est également une fiction. À l’époque présumée de la reine de Saba, Jérusalem était un village et les fouilles incessantes sous Jérusalem ne font que confirmer cette thèse. Il est probable que le royaume d’Israël (détruit en 722 av JC par les Assyriens) et celui de Judée (détruit en 586 av JC par les Babyloniens) ont toujours été des entités distinctes. Or le sionisme aujourd’hui prétend ressusciter le royaume unifié et occuper toutes les terres sur lesquelles il se serait étendu.

La Bible a été écrite essentiellement pendant l’exil à Babylone. Une partie importante de la population judéenne n’est pas revenue. Ses descendants sont les Juifs Irakiens, Iraniens ou ceux de Samarkand. Sand analyse les documents historiques sur la guerre menée par Titus et 60 ans plus tard sur la dernière révolte juive dans la région, celle de Bar Kochba. Il analyse le principal texte, le livre de Flavius Josèphe «La guerre des Juifs». Il montre qu’il n’y a pas eu expulsion, qu’il y avait déjà avant d’importantes communautés juives à Babylone, Alexandrie ou Rome. Il n’y a aucune trace d’un départ massif de la population. C’est l’histoire officielle sioniste qui a inventé, en gonflant les chiffres, le mythe de l’expulsion.

De toute façon, les quelques milliers de Judéens partis n’auraient pas pu engendrer l’importante population juive (le chiffre de 8 millions paraît vraisemblable) dans l’empire romain. C’est tout simplement parce que jusqu’à l’empereur Constantin qui fait du christianisme la religion officielle, la religion juive est prosélyte et en concurrence avec les Chrétiens ou le culte de Mithra.

Les persécutions des Chrétiens arrêtent ce prosélytisme qui se prolongera dans d’autres régions. Sand montre à partir de personnages historiques (la Kahéna, Tariq, celui qui a conquis l’Espagne) l’importance des conversions au judaïsme de tribus Berbères. Il ne fait pas de doute que les Juifs du Maghreb et en partie les Juifs Espagnols sont les descendants de ces convertis.

Pour les Ashkénazes (les Juifs d’Europe Orientale), Sand revient sur l’histoire des Khazars, peuple turc qui a établi pendant plusieurs siècles un empire entre la Caspienne et la Mer Noire. Il y a la preuve historique de la conversion de l’aristocratie de ce peuple au judaïsme. Sand estime que la population (y compris les Slaves) de cet empire est à l’origine du peuple Yiddish. Il montre aussi l’existence d’anciens royaumes juifs au Kurdistan ou au Yémen. Bref les Juifs d’aujourd’hui sont des descendants de convertis.

Cette minorité religieuse n’a jamais exprimé le souhait concret d’un «retour» à Jérusalem. D’ailleurs, ni les Juifs de Babylone (qui ont préféré Bagdad), ni les Juifs Espagnols expulsés (qui ont préféré le Maghreb ou les grandes villes ottomanes) n’ont fait ce choix quand ils en ont eu l’occasion. Le retour est une fiction et la «loi du retour» (qui permet à tout juif de devenir très rapidement un citoyen israélien) est basée sur un mensonge.

Pour Sand, l’existence d’un peuple juif est une fiction. Le seul point commun entre juifs yéménites, espagnols ou polonais, c’est la religion. Avec un pareil écart entre la réalité historique et l’histoire officielle, il a fallu créer de toutes pièces en Israël la définition de ce qu’est un Juif. Cette politique identitaire a tourné le dos aux idées progressistes du Bund qui prônait l’autonomie culturelle du peuple Yiddish sur place, dans le cadre de la révolution. Elle s’oppose à toute l’histoire des Juifs comme minorité religieuse dispersée. C’est une définition à la fois biologique et religieuse du judaïsme qui s’est imposée en Israël. Une définition excluant les Non-Juifs dans un Etat qui n’est pas le leur. Sand explique que se définir «Etat Juif et démocratique» est un oxymore (une contradiction). Et que les dérapages racistes incessants de la société israélienne sont dans l’ordre des choses d’une telle définition.

 

Vraiment deux livres qu’il faut lire.