Silvia Cattori s’est entretenue avec
M. Abou Habel (*) qui réside dans le camp de réfugiés de
Jabaliah ; un camp très pauvre et très exposé aux tirs
meurtriers de l’armée israélienne depuis des années. Le
témoignage d’Abou Habel, livré ici, a été souvent interrompu par
le bruit terrible des bombes lâchées au loin sur Gaza City, et
par les hurlements des enfants saisis de panique.
« Nous venons de passer trois
jours et trois nuits de terreur effroyable. Le 27 décembre, en 3
minutes, 85 bombardiers F16 des forces de l’air israéliennes ont
largué plus de cent tonnes d’explosifs en allant du nord au sud,
de Beit Hanoun jusqu’à Rafah.
Ils disent que ce n’est que le
début ; qu’ils veulent frapper « 800 objectifs stratégiques »
avant de lancer leur invasion terrestre. Ils se comportent comme
s’ils étaient en train d’attaquer un pays qui a un Etat, une
armée moderne, des chars, des avions ; alors que, à Gaza, il n’y
a rien de tout cela.
L’armée israélienne continue
depuis samedi de bombarder à l’aveugle. Ce sont aussi des foyers
et des mosquées qui sont maintenant bombardés. Il n’y a pas une
maison, pas un coin de terre, ici à Gaza, où les gens sont en
sécurité. Où que l’on aille, la mort nous attend.
Les autorités égyptiennes
maintiennent la frontière bouclée. Leur police a tiré sur des
Palestiniens qui voulaient s’enfuir, blessant sept d’entre eux.
A Gaza, tout le monde est menacé. Elles ont trahi le
gouvernement du Hamas en l’assurant qu’Israël n’allait pas
attaquer avant d’autres pourparlers, alors qu’elles savaient
qu’Israël allait attaquer de suite. Les gens, ici à Gaza, ont
cru aux assurances données par les services de sécurité
égyptiens. Et ils ont été frappés par surprise. C’est à cause de
cette trahison du régime Moubarak, que nous avons eu des
centaines de martyrs depuis le 27 décembre, que des policiers
qui s’étaient rendus à leur travail, des enfants et des parents
qui étaient allés à l’école, ont été lâchement assassinés par
les bombardements israéliens.
On entend Abou Mazen (Mahmoud
Abbas), notre prétendu chef, rendre le Hamas responsable du
carnage qu’Israël est en train de perpétrer, pour n’avoir pas
prolongé la trêve [1] !
Abou Mazen attend d’Israël qu’il
réussisse à liquider le Hamas et à renverser son gouvernement ;
il s’imagine ainsi pouvoir ensuite revenir à Gaza. Je pense
qu’Abou Mazen ne reviendra jamais au pouvoir ici. Ni lui, ni les
voyous qui l’entourent. Ils ne sont même pas capables d’avoir un
mot humain pour les souffrances de la population qu’Israël
écrase.
Hier, dimanche, les bombardiers
ont bombardé l’Université islamique ; c’est un lieu d’étude et
de culture de grande valeur pour la jeunesse à Gaza. Elle était
dotée des meilleurs laboratoires de recherche de la région.
Israël les a détruits. Il a osé prétendre qu’il s’agissait d’un
« centre clé du pouvoir du Hamas ».
L’objectif des Israéliens est
clair ; ils veulent humilier la religion, détruire tout ce qui a
un lien avec le mouvement religieux ; mosquées, maisons
caritatives.
Nous vivons avec les drones au
dessus de nos têtes en permanence. Ils ne quittent jamais le
ciel. Ils surveillent tous nos gestes. Ils sont dans la chambre
où vous habitez.
Les enfants ne dorment plus ;
ils sursautent à chaque explosion. Personne n’a pu dormir durant
ces jours et nuits. Avec ma famille nous avons dû quitter hier
notre maison proche de la ligne de tir des chars israéliens.
Nous sommes en ce moment réunis avec trois familles dans le même
petit appartement. Personne ne sort.
Il n’y a pas de farine, pas de
sucre. Rien. Les marchés sont fermés. Nous n’avons plus
d’essence, plus de gaz, plus rien.
Nous n’avons, pour nourrir les enfants, que quelques boîtes de
conserves.
Personne n’a plus d’appétit dans
ce climat d’effroi et de mort. Dans chaque rue, il y a des
tentes mortuaires. Hier, ici à Jabaliah, cinq sœurs de la même
famille ont été tuées lorsque les avions ont bombardé la mosquée
voisine.
Ce qui nous fait terriblement
mal, là, au milieu du carnage, c’est de savoir que les régimes
arabes qui nous entourent se taisent ; c’est de savoir qu’ils
collaborent avec Israël pour que son armée se charge de nous
écraser. Ce sont des dirigeants comme Abou Mazen et Hosni
Moubarak qui ont donné le feu vert au bouclage qui nous affame
et nous ruine depuis une année et demie.
Les réactions des gouvernements
européens nous affectent aussi beaucoup. Nous ne comprenons pas
comment les représentants de l’Union européenne peuvent mettre
sur le même plan l’agresseur et les agressés. Quand ils
appellent les deux parties « à la retenue », ils font comme s’il
y avait deux armées de force égale sur le terrain, en train de
se battre avec des avions et des chars ; comme si les deux
parties avaient une armée régulière ; comme si la victime
palestinienne, qui n’a pas d’armée, était en mesure, sous les
bombes israéliennes, de faire cesser le feu ! Ils ne nous
considèrent pas comme des victimes. Ils font comme si Israël
n’était pas en train de nous attaquer avec une armée aguerrie,
mais qu’il était en train de « se défendre » !
Mme Tzipi Livni a dit et répété
que l’objectif d’Israël est de renverser le Hamas, de le
liquider une fois pour toutes. Mais ils n’y arriveront pas. Le
Hamas est aujourd’hui, après ce carnage, plus fort qu’hier. Le
Hamas fait maintenant plus que jamais un seul corps avec le
peuple. Chaque bombardement apporte au Hamas plus de soutien
populaire et de forces. Soutenir le mouvement du Hamas, en ce
moment, c’est donner à ses hommes plus de motivation pour
résister et nous défendre.
Après la barbarie que nous
venons de subir de la part d’Israël, il n’y a plus personne qui
soit neutre à Gaza. Maintenant, hormis une minorité de
collaborateurs avec l’occupant, l(iés au parti Fatah de Mahmoud
Abbas), tout le monde soutien le Hamas. Israël avec toute sa
puissance militaire, malgré ses armes de guerre destructrices,
ne pourra pas en finir avec la résistance du peuple qui
s’identifie au mouvement du Hamas. Jamais les Palestiniens ne
perdront.
Israël peut assassiner, une
partie de ses chefs, une partie de ses membres, mais jamais il
n’arrivera à abattre la résistance des Palestiniens. Même si
l’armée israélienne devait poursuivre la guerre durant une
année. Le mouvement du Hamas sortira renforcé de chaque guerre.
Jamais, jamais les Israéliens
n’arriveront à liquider le Hamas. Le Hamas est un parti
politique démocratiquement élu qui défend nos droits. Il est là
pour rappeler que les Israéliens nous ont spoliés, chassé hors
de notre terre.
Si Tzipi Livni et Ehoud Barak
veulent liquider les gens du Hamas, leur armée devra éliminer
presque toute la population qui vit sur la Bande de Gaza. »
Propos recueillis par
Silvia Cattori
(*) M. Abou Habel, 39 ans,
n’est pas un membre du Hamas. Manager dans un hôtel, il a
également travaillé comme interprète et conseiller pour des
journalistes étrangers en reportage à Gaza. Depuis qu’Israël a
bouclé l’entrée de Gaza, en 2006, il n’a plus de travail. Comme
tout Palestinien, soumis à la cruauté des bouclages, des
privations, des destructions et des massacres, il se dévoue
aujourd’hui avec confiance et courage à apporter aide et
réconfort à plus démuni que lui.
[1]
Dans
un récent article,
le journaliste palestinien Ali Abunimah relevait : « Ce que
les médias ne mettent jamais en question, c’est la conception
israélienne de la trêve. C’est très simple : sous une trêve à la
mode israélienne, les Palestiniens ont le droit de se taire
pendant qu’Israël les affame, les assassine et continue de
coloniser leur terre par la violence. »
Mondialisation.ca,
Le 30 decembre 2008
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