Historien de l’Algérie concerné par la question des migrations,
je tiens à alerter, à mon tour, sur une grave mesure que vient
de prendre le gouvernement concernant la défense du droit des
étrangers en centres de rétention administrative (CRA) par
décret du 22 août 2008, visant à expulser de ces centres la
Cimade, qui assure la défense juridique
des retenus. La convention la chargeant de cette mission,
renouvelée jusqu’alors régulièrement, arrive à échéance fin
2008.
La Cimade a été créée en 1939 à l’initiative de mouvements de
jeunesse protestants, au départ pour secourir les évacués
d’Alsace-Lorraine pendant la drôle de guerre. Son champ
d’activité s’est étendu à l’aide aux réfugiés - espagnols,
allemands… - en France et aux juifs pourchassés par le régime de
Vichy. Elle a réussi à être présente dans ses camps, comme elle
le sera plus tard dans les camps de la guerre d’Algérie, pendant
laquelle elle a assisté et soutenu les Algériens luttant pour
leur libération.
Le sigle Cimade signifie : Comité intermouvements d’aide aux
évacués. Aujourd’hui la Cimade se dénomme : Service oecuménique
d’entre-aide. Elle travaille en partenariat avec plusieurs
associations d’Afrique, qui oeuvrent à la solidarité sociale, à
l’éducation et à la défense des droits de l’homme. Depuis la
fermeture des frontières en 1974, elle s’est
de plus en plus vouée en France à l’aide aux étrangers en
situation irrégulière.
Jusqu’à présent, la Cimade avait été la seule association à
répondre à la demande, faite au départ par le ministre Pierre
Joxe : il s’agissait, depuis la mise en place en 1984 des CRA,
de faire contrepoids à l’administration par des fonctionnaires
de police de ces centres fermés.
Un nouvel appel d’offres public vient d’être lancé en vue du
renouvellement de cette mission. Or le ministère Hortefeux a
rajouté des exigences qui visent clairement
la Cimade :
- la division du marché de la rétention en huit lots,
fragmentant la capacité d’avoir
une vision d’ensemble sur la rétention, et mettant fin à toute
possibilité d’élaborer le rapport annuel de la Cimade sur les
CRA, qui fait autorité ;
-
l’engagement de « respecter une confidentialité », empêchant
désormais toute action de témoignage sur les CRA ;
-
la réduction du rôle des intervenants dans les CRA à une
fonction d’« information sur les droits », droits - notamment en
matière de recours juridiques - que les étrangers retenus ne
pourront désormais exercer que par leurs propres moyens : c’est
la fin d’une vraie défense des étrangers.
À
travers la Cimade, ainsi éliminée, et perdant du même coup une
grande partie de ses ressources budgétaires, le gouvernement
attente à l’action de vigilance citoyenne de la société civile,
indispensable à l’exercice de la démocratie : peu
d’associations, sinon aucune, ne peuvent prétendre aujourd’hui à
une telle qualité d’expertise, d’écoute et de réconfort en
matière d’aide aux étrangers : il y a par exemple des membres du
Secours catholique qui sont engagés sur ce terrain sous la
bannière de la Cimade.
L’objectif clair du gouvernement est de faire évoluer les CRA en
centres fermés destinés à accueillir tous les migrants dès leur
arrivée sur le territoire français : il sera dès lors impossible
de formuler une demande de régularisation en dehors de ces
centres. Et, en cas de refus, l’expulsion n’en sera que plus
facilement exécutée.
En signifiant à tous ces humains désorientés, qui ont cru
trouver dans l’émigration la solution à leur situation
désespérée dans leurs pays d’origine, qu’ils seront désormais
livrés à eux-mêmes pour leur défense, ces mesures portent
atteinte aux droits fondamentaux des migrants. Et elles portent
en germe une aggravation supplémentaire des tensions sociales et
intercommunautaires.
Source : L'Humanité
du 23 septembre 2008 (France)
Historien, professeur
émérite à l’université de Nancy-II.
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