Cela fait sept mois maintenant que la région de Gafsa est en
ébullition. Ce bassin minier pauvre, aux confins de la frontière
algérienne, est devenu pour le pouvoir tunisien le plus long
foyer de contestation depuis l'arrivée au pouvoir, en 1987, du
président Zine el-Abidine Ben Ali, candidat à un cinquième
mandat. Vendredi 25 juillet, la ville de Redeyef, épicentre de
la contestation, a été le théâtre d'une nouvelle manifestation,
dispersée sans ménagement par les forces de l'ordre, et suivie
de l'arrestation de quatre nouveaux responsables d'associations
et de syndicats, dont Zakia Dhifaoui. Cette enseignante et
militante du Forum démocratique pour le travail et les libertés
(FDTL) a été arrêtée par des agents en civil chez Jomaa Hajji,
l'épouse du leader de la protestation dans la région de Gafsa,
Adnan Hajji, lui-même emprisonné depuis le 22 juin. La marche de
dimanche rassemblait quelque 500 proches de détenus.
Privilégiés. La révolte à Redeyef a débuté le 5 janvier,
lorsque la direction de la Compagnie des phosphates de Gafsa
affiche les noms des nouveaux embauchés. Le chômage est
particulièrement élevé, surtout chez les jeunes diplômés, les
vagues d'embauche sont rares. Quand les habitants découvrent que
les enfants des cadres de l'entreprise, par ailleurs membres de
la centrale syndicale UGTT, sous étroit contrôle du gouvernement,
ont été privilégiés, la colère explose. D'autant que les
instances régionales du syndicat sont contrôlées par des gens
venus de Tunis et du reste du pays et non par des «enfants du
pays», dans une région très tribalisée. Les forces de l'ordre,
débordées dans un premier temps, réagissent avec d'autant plus
de violence. Mais, à la surprise générale, les habitants ne
cèdent pas. Les femmes et les enfants descendent dans la rue fin
janvier pour obtenir la libération des hommes emprisonnés. Face
au mouvement, qui s'étend à tout le bassin minier de Gafsa (Oum
Larayes, Metlaoui, Feriana, etc.), plusieurs familles partent
s'installer dans la montagne, voire en Algérie toute proche,
pour échapper à la répression. A partir du mois de mars, la
région vit un encerclement quasi-permanent. Les véhicules sont
contrôlés à l'entrée et à la sortie de la région.
L'escalade est constante, entrecoupée de pauses. Le 6 juin,
la police tire à balles réelles, tuant un manifestant et en
blessant 26 autres. En juin, l'armée a été envoyée sur place
face à l'incapacité de la police à contenir les manifestations.
Elections. C'est que le pouvoir craint avant tout une
contagion de ce conflit social et politique au reste du pays. La
révolte de Gafsa résume bien à elle toute seule nombre de maux
tunisiens : chômage des jeunes, pauvreté extrême des zones
marginales du pays, népotisme, infiltration des instances
syndicales par le pouvoir, absence de tout espace d'expression
et de représentation, syndicale comme politique, et enfin
gestion sécuritaire de toute contestation. Mais étrangement, la
cause des mineurs de Gafsa n'a guère mobilisé, jusqu'à présent,
les opposants et militants de droits de l'homme à Tunis, plus
focalisés sur les élections présidentielle et législatives de
l'année prochaine, jouées d'avance.
Meilleure preuve du refus du pouvoir d'enclencher toute forme
de dialogue ou de négociation, tous les leaders du mouvement de
protestation à Gafsa ont été arrêtés et sont en instance de
jugement, quand ils ne sont pas en fuite. A commencer par Adnan
Hajji, le chef du mouvement, ainsi que Tayeb Ben Othman et
Béchir Laabadi. A ce jour, selon une liste nominative dressée
par des militants des droits de l'homme, au moins 190 personnes
ont été écrouées. Seule une minorité d'entre elles ont été
jugées, et condamnées à des peines allant de deux mois à trois
ans de prison. Plusieurs cas de torture ont été signalés durant
la détention. Mais des peines beaucoup plus lourdes pourraient
frapper les «têtes» du mouvement. Hajji, qui était entré dans la
clandestinité, est accusé de «constitution de bande de
malfaiteurs, association en vue de porter atteinte à des
personnes et à des biens publics, et rébellion». Il risque
vingt ans de prison.
A la mi-juillet, le pouvoir a tenté une ouverture, sans
succès. Le PDG de la société des mines a été renvoyé pour
«incompétence» et le président Ben Ali a promis un grand
plan d'investissement dans cette région sous-développée. Il en
faudra plus, et surtout plus d'avancées concrètes, pour
restaurer une confiance en miettes entre les habitants de la
région de Gafsa et le pouvoir à Tunis.
samedi 2 août 2008
Source : Journal Libération
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