COMMISSION ARABE DES DROITS HUMAINS

Arab Commission for Human Rights
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  English 2008-06-18    
 

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L’Europe politique et le traité de Lisbonne -   Philippe Arondel & Jean-Michel Vernochet

 

 

Avec la ratification du Traité de Lisbonne, l’Union européenne tente laborieusement de sortir de l’impasse où elle s’est elle-même enfermée… par sa propre faute, par son obstination à refuser d’entendre la voix de « ceux d’en bas », celle de l’Europe réelle. Le rejet massif par les peuples français et hollandais de la constitution est déjà loin, cependant l’Europe supranationale « cet ensemble gazeux, incertain et trop dilaté » que stigmatise avec un certain courage Hubert Védrine dans « Continuer l’histoire », poursuit obstinément sa marche en avant, aveugle aux nouveaux défis surgissant, jour après jour, de l’émergence d’un monde de plus en plus complexe et instable.


Une Europe soumise aux impérialismes dominants


L’ancien ministre des Affaires étrangères ne manquait pas non plus de lucidité lorsqu’il écrivait que « l’Europe ne sait plus qui elle est, ni ce qu’elle veut ». Un constat de blocage et d’impuissance que ne compense pas « la seule réussite » dont se prévalent les tenants d’une Europe juridique et abstraite, sans corps et sans âme, à savoir « la paix ». Revendiquer la « paix » comme le grand résultat de la construction européenne, c’est vouloir ignorer que l’Union n’a pas été absente de certains théâtres de guerre ambigus. Les Balkans en sont un exemple, où l’engagement européen fut loin d’être exempt de toute équivoque et passablement marqué par un certain déficit de transparence. Cela, indépendamment du désir européen d’incarner une voie dissidente face à la « conjuration» d’ingérences humanitaires masquant difficilement la réalité des logiques impériales.

C’est également faire l’impasse sur le fait que l’Union, sous couvert de l’Otan, est aujourd’hui engagée sur le théâtre d’opérations afghan dans un conflit dont nul ne peut raisonnablement présager l’issue. D’autres fronts, d’autres crises pourraient s’ouvrir très vite, au Levant en particulier, dans la confusion « idéologique » et géopolitique la plus totale, poussant l’Union à s’impliquer dans des conflits périphériques et chaotiques, à contresens de ses propres intérêts.


Une indépendance à reconquérir

 

Est-il encore possible d’espérer que, face à la montée des périls, l’Europe trouve le courage et le bon sens, en un mot, la capacité de parler d’une seule voix, de renouer avec la vision d’une indépendance rejetant, dans un même mouvement, tous les impérialismes, que ceux-ci soient inspirés par l’intégrisme marchand ou les sectarismes, voire les fanatismes, religieux ou athées, de toutes obédiences ? Il est permis, hélas, d’en douter. Lorsque la France et l’Allemagne se sont opposées en 2003, au nom du strict respect du droit international, à une guerre d’agression contre l’Irak, les pays séduits par les sirènes de l’Atlantisme tels la Pologne, se sont désolidarisés d’un choix dicté tant par la sagesse que par la raison ! Et quoique les événements eussent donné raison au camp du refus «motivé», l’on continue encore aujourd’hui même de faire grief à la France de ne pas avoir apporté sa caution hasardeuse à des aventures armées théorisées dans les « think tanks » américains néo-conservateurs, avec d’ailleurs les mirifiques et consternants succès que l’on sait.

À nouveau, lors du conflit israélo-libanais de juillet 2006, l’Union européenne a fait la preuve de son impuissance, tout comme d’ailleurs le Conseil de Sécurité des Nations Unies, puisqu’une issue à la crise ne commença d’être esquissée qu’à travers le groupe informel du G-8 alors réuni à St Petersbourg. L’Union européenne porte également la triste responsabilité de s’être associée au boycott du gouvernement palestinien, pourtant élu démocratiquement sous contrôle de la Communauté internationale. Attitude qui a engendré un authentique désastre humanitaire dans la Bande de Gaza et fait de la Palestine le lieu d’une guerre civile inexpiable, fratricide, propice à terme aux pires dérives partisanes et « anti-occidentales ». Deux crises profondément déstabilisatrices ayant débouché, par un paradoxe qui n’en est pas un, sur un résultat rigoureusement inverse aux buts recherchés : le renforcement d’organisations comme le Hamas ou le Hezbollah que l’on voulait écarter, voire éliminer de la scène politique, et en tout cas désarmer.

Oser rompre avec un certain mondialisme délétère


À moins d’être totalement aveugle, l’impasse de l’Union est donc un fait d’évidence et pas seulement dans le domaine des Affaires extérieures, ceci malgré le mirobolant projet d’Union pour la Méditerranée ; une initiative française sans doute mort-née tant elle oscille entre l’utopie et un volontarisme politique de toute évidence irréaliste si l’on considère l’état réel - situation économique, sociologique et politique - des pays de la rive sud et orientale de la Méditerranée et des relations qu’ils entretiennent entre eux.

Or, nous dit encore Hubert Védrine, il est inutile d’espérer « une relance de l’Europe si l’on ne tire pas au préalable les leçons du passé »… sauf bien évidemment si l’on s’obstine à vouloir que la vieille Europe ne soit plus qu’un « vaste espace méditerranéo-asiatique » ! Et qui le souhaite vraiment si ce n’est une petite poignée d’idéologues, d’experts médiatiquement autoproclamés dont beaucoup vont puiser l’essentiel de leur inspiration dans les boîtes-à-penser de Washington, et pour lesquels la construction européenne est d’abord et avant tout synonyme d’effacement des souverainetés et des identités, soit le vecteur d’un arasement de toutes les valeurs enracinées au nom d’un mondialisme sans mémoire et sans visage ?

Le projet de Constitution abrégée et prétendument simplifiée que les oligarchies au pouvoir en Europe veulent maintenant imposer aux peuples de l’Union sans débat et sans consultation - car ils craignent plus que tout l’expression de la volonté populaire, mais est-ce cela la démocratie ? – incarne l’entêtement de la classe dirigeante européenne à persévérerdans une voie sans issue.

 Des choix qui ne feront qu’aggraver le divorce déjà existant entre l’Europe réelle, celles des hommes et des peuples, et leurs « élites » issues des mécanismes complexes, voire pervers, de la démocratie représentative. Or, dans le contexte actuel de crise économique internationale et compte tenu des tensions persistantes entre le camp atlantique et un monde islamique présent à nos portes et dans nos murs, de plus en plus tenté de rejeter un modèle occidental qu’on souhaite lui imposer, et dans certains cas par la guerre, il est à craindre que le volontarisme dogmatique des eurocrates créera de nouvelles et profondes ruptures que l’Europe est assurée, à terme, de devoir payer au prix fort...

En finir avec le néo-libéralisme d’importation anglo-saxonne


Reste qu’il n’est pas encore trop tard pour essayer, avec l’aide de tous ceux qui ne se résignent pas au pire, c’est-à-dire à la soumission de la vieille Europe aux diktats de la pensée unique d’inspiration anglo-saxonne, de rendre viable, de redonner vie à un projet d’organisation commune s’efforçant de faire la synthèse entre les impératifs de la justice sociale et de l’efficacité économique ; soit le ferme refus de la société du tout marchand, autrement dit l’idolâtrie de la marchandise et de la marchandisation du lien social qui accompagnent l’essor incontrôlé de la modernité industrielle. La vérité oblige à dire que cette synthèse n’aura de chance d’être autre chose qu’un vœu pieux à la seule et expresse condition que l’on rompe définitivement et sans états d’âme, avec le néo-libéralisme mortifère qui inspire ce que l’on appelle par antiphrase et malheureusement sans ironie, la « politique économique » de l’Union !

L’Europe ne sera donc l’Europe que si elle parvient à trouver la ressource morale de s’émanciper des dogmes monétaristes et du délire libre-échangiste à sens unique, pour devenir de cette façon un espace exemplaire de liberté et de prospérité dans l’intérêt immédiat des Européens mais également dans celui de ses voisins, et parmi eux, bien entendu, ceux du Maghreb et du Machrek, ou encore ceux de l’Afrique sub-saharienne.

C’est ce que les hommes qui font l’Europe - en particulier tous les laissés-pour-compte d’une globalisation financière sans foi ni loi - attendent d’une organisation communautaire. Les Européens souhaitent en effet profondément que leur soit enfin offerte la possibilité, via un modèle social adéquat, car protecteur des conséquences d’une déréglementation et d’une dérégulation irresponsable des marchés, de retrouver la maîtrise de leur existence et de leur destin … Un modèle social exemplaire qui pourra alors peut-être nous envier le reste monde…

L’Europe ne pourra en fin de compte reconquérir les cœurs et les esprits que par une rupture historique avec toutes les dérives ultralibérales, lesquelles nourrissent les crises internes ou périphériques et une instabilité internationale croissante alors que la planète devrait plutôt maintenant unir ses talents et ses moyens pour affronter les conséquences des changements climatiques et préserver de toute urgence la diversité du vivant aujourd’hui gravement menacée.

De ce point de vue, en raison même d’un long passé trois fois millénaire, l’Europe, dont l’existence précède de loin la fausse idée que s’en font les européistes, doit à présent se réapproprier cet essentiel « souci de l’âme » que le penseur tchèque Jan Patocka avait placé au centre de son combat contre tous les impérialismes ; un combat au service d’une humanité de plus en plus asservie aux mirages périlleux d’un économisme conquérant, négateur de l’homme et destructeur de sa dignité et de ses libertés.

 

- Source: Le site des resistants au nouvel ordre mondial

 

 

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