Lorsqu’en mai 2007, la chaîne de
télévision américaine ABC a révélé que
le Président Bush avait donné l’ordre
secret à la CIA d’engager une campagne
de subversion visant à déstabiliser le
gouvernement iranien (1), les officiels
du Département d’Etat, interrogés par
les journalistes, n’ont pas même pris la
peine de démentir l’information, se
contentant d’affirmer qu’ils ne
souhaitaient pas «communiquer » sur des
questions de « sécurité nationale ».
Selon les informations données par ABC,
le plan de la CIA, validé par Bush
contre l’opinion du Vice-Président Dick
Cheney – qui s’affirmait pour sa part
partisan de frappes militaires (2) –, «
inclut une campagne coordonnée de
propagande, de désinformation et de
manipulation de la monnaie iranienne
ainsi que de ses transactions
financières internationales» 3).
Les Américains semblent donc avoir
engagé, en premier lieu, une véritable
offensive « non-léthale » relevant de la
guerre économique. Les sanctions votées
par le Conseil de sécurité des Nations
Unies en décembre 2006 ne sont que l’un
des aspects de cette guerre. Le
Département américain du Trésor (Treasury
Department) et d’autres agences
gouvernementales US se sont engagés dans
un vaste travail de lobbying et de
propagande à l’échelle internationale,
visant à empêcher la conclusion de
contrats commerciaux et industriels
entre l’Iran et les firmes européennes
et asiatiques (4). Une autre arme est
évoquée dans les cercles gouvernementaux
américains : le sabotage. Le journaliste
américain Seymour Hersh a ainsi
interrogé début 2007 Patrick Clawson,
expert sur l’Iran et directeur adjoint
de la recherche du Washington Institute
for Near East Policy, un think tank
proche de l’Administration Bush, qui lui
a dit qu’il « préférerait [à l’option
militaire] le recours au sabotage et
autres actions clandestines, telles que
“l’accident industriel” » (5). Il n’est
pas absurde de penser que les problèmes
que rencontre actuellement le président
Ahmadinejad sur le plan économique (6),
pourraient avoir, au moins en partie,
leur origine dans les conséquences des
actions de guerre économique menées de
l’étranger, voire peut-être de
l’intérieur même de la République
islamique, plus que dans la nullité
réelle ou supposée de l’actuel
gouvernement iranien.
L’offensive actuelle n’est pas
entièrement « non-léthale », loin s’en
faut. Plusieurs sources concordantes
indiquent que les Américains soutiennent
et financent divers groupes armés
séparatistes (7), notamment les
mouvements Jundallah (sunnite) et
Mujahedin-e Khalq (MEK) (8), qui ont
déjà conduit plusieurs incursions
meurtrières en Iran (9) à partir de
bases situées au Pakistan, en
Afghanistan, voire même en Irak
(s’agissant du MEK). Des forces
spéciales américaines (et peut-être
aussi britanniques) opèrent à
l’intérieur du pays au moins depuis
l’été 2004, comme l’a révélé un rapport
récent de The Century Foundation (10).
Seymour Hersh a interviewé pour sa part
plusieurs responsables des services de
renseignements et de l’armée US, qui ont
admis que le but de ces incursions est
autant de « marquer » électroniquement
les futures cibles des frappes
américaines, que de coordonner
l’activité des forces séparatistes : «
les groupes de planification de l’armée
de l’air sont en train de dresser des
listes de cibles et (…) des équipes de
troupes de combat américains ont été
clandestinement infiltrés en Iran afin
de collecter des données sur les cibles
et d’établir des contacts avec les
groupes ethniques minoritaires
anti-gouvernementaux (…).Si l’ordre
d’attaquer devait être donné, les
troupes de combat américains qui
manœuvrent actuellement en Iran seraient
en position de signaler les cibles par
des rayons laser, pour guider avec
précision les bombardements et minimiser
le nombre de victimes civiles. Il y a
quelques mois, un conseiller du
gouvernement proche des civils du
Pentagone, m’a dit que ces unités
travaillaient avec les groupes
minoritaires en Iran, dont les Azéris,
au nord, les Baloutchis, au sud-est, et
les Kurdes, au nord-est. Les troupes
“étudient le terrain, distribuent de
l’argent aux tribus, et recrutent des
éclaireurs parmi les tribus locaux et
les bergers.” m’a dit le consultant. Un
des objectifs était “d’avoir des yeux
sur place” - et citant une phrase
d’Othello, il a dit “donnez moi une
preuve visible”. Le consultant a dit que
l’objectif plus large était
“d’encourager les tensions ethniques” et
de saper le régime » (11).
On sait également que le Corps des
Marines (U.S. Marine Corps) a commandé
en 2006 au cabinet Hicks and Associates
une étude sur les minorités ethniques en
Iran, dont il ne fait pas de doute
qu’elle vise à déterminer les
potentialités liées à l’exacerbation des
tensions inter-ethniques, dans la
perspective d’un renversement du
gouvernement de Téhéran (12).
On le voit, il n’est pas exagéré
d’affirmer, comme l’a fait en juin
dernier Alain Gresh dans l’éditorial du
récent supplément du Monde Diplomatique
consacré à l’Iran, que «
silencieusement, furtivement, à l’abri
des caméras, la guerre contre l’Iran a
commencé » (13).
1 - Voir « Bush Authorizes New
Covert Action Against Iran »,
May 22, 2007, ::
Lien
2 – « Vice President Cheney
helped to lead the side favoring
a military strike, » said former
CIA official Riedel, « but I
think they have come to the
conclusion that a military
strike has more downsides than
upsides. »
(Ibid.)
3 - Il est intéressant de noter
que parmi les stratèges de cette
offensive contre l’Iran, on
retrouve, toujours selon ABC,
Elliott Abrams, du National
Security Council. Impliqué dans
le scandale de l’affaire «
Iran-Contra » pour avoir
dissimulé au Congrès américain
des informations concernant les
opérations de déstabilisation du
gouvernement sandiniste du
Nicaragua, Abrams plaide
coupable et reçoit l’absolution
du président Bush (père) en
décembre 1992. Il est nommé en
juin 2001 par Condoleezza Rice à
la tête de l’Office for
Democracy, Human Rights and
International Operations du
National Security Council (NSC),
puis en février 2005, conseiller
spécial du Président et «
Conseiller adjoint de sécurité
nationale » pour la « stratégie
de démocratie globale » (Deputy
National Security Advisor for
Global Democracy Strategy), ce
qui en fait l’un des personnages
les plus haut placés de
l’Administration Bush dans le
domaine de la politique
étrangère. Il est également
actif dans l’American Jewish
Committee et a été l’un des
artisans de la création de la
National Endowment for Democracy.
4 - Les puissants fonds de
pensions privés américains font
également pression sur les
entreprises désireuses
d’investir en Iran. Ainsi, la
firme Shell vient d’être invitée
à renoncer à un important projet
d’infrastructure de gaz naturel
en Iran par plusieurs fonds de
pensions. Il semble difficile
d’évaluer dans quelle mesure les
fonds de pensions en question
sont eux-mêmes l’objet de
pressions de la part de
Washington.
Voir Steve Hawkes, « US pension
funds ask Shell to scrap £5bn
Iran project », The Times, 26
juillet 2007, p. 48.
5 - Seymour Hersh, « The Iran
Plans », The New Yorker, 17
avril 2006.
6 - Notamment en ce qui concerne
l’essence, dont le rationnement
a été décrété en juin dernier,
provoquant des troubles à
Téhéran, qui ont été, comme on
pouvait s’en douter, longuement
commentés par les média
occidentaux.
7 - Voir William Lowther et
Colin Freeman, « US Funds Terror
Groups to Sow Chaos in Iran»,
Sunday Telegraph (Londres), 25
février 2007; et l’étude de
Gregory Elich, « Subverting Iran
- Washington's covert operations
inside Iran », à laquelle nous
avons emprunté plusieurs
références, ::
Lien.
8 - Voir Syed Saleem Shahzad, «
Sleeping Forces Stir in Iran »,
Asia Times, 26 juin 2003; Gian
Marco Chiocci et Alessia Marani,
« Iranian Mujaheddin Gather
Funds in Italy », Il Giornale
(Milan), 2 octobre 2006.
9 - Voir Ali Akbar Dareini, «
Explosion Kills 11 Members of
Iran’s Elite Revolutionary
Guards », Associated Press, 14
février 2007.
10 - Sam Gardiner, « The end of
the “summer of diplomacy” :
Assessing US military options on
Iran », Washington, DC, 2006,
::
Lien – PDF.
11 - Seymour Hersh, « The Iran
Plans », The New Yorker, 17
avril 2006.
12 - Guy Dinmore, « US Marines
Probe Tensions Among Iran’s
Minorities », Financial Times
(Londres), 23 février 2006.
13 - Alain Gresh, « Compte à
rebours », Manière de voir-Le
Monde diplomatique, n°93,
juin-juillet 2007, p. 4.
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