8 août 2007
Après l’échec dûment constaté d’un
‘’Processus de Barcelone ‘’, entamé il y
a dix ans dans l’enthousiasme, voici que
se font jour d’insistantes
sollicitations, ciblant directement les
pays du Maghreb. Elles se disent
porteuses d’idées nouvelles pour la
gestion du futur de la Méditerranée
occidentale et émanent tout
particulièrement du président de la
République française qui les a
développées au cours de sa campagne
électorale et lors d’autres instances :
(N.Sarkosy - Romano Prodi (Paris 28
mai), avec Zappatero (Madrid le3 1 mai,
déplacement à Tunis, juillet 2007 ).
A première vue, ces propositions se
présentent, comme un moyen pour le
président français d’adouber quelque peu
ses prises de position radicales bien
connues relatives à l’adhésion de la
Turquie à l’U.E., prises de positions
qui n’auraient pas encore recueilli
l’accord de plusieurs de ses partenaires
européens. Le très hypothétique concept
de l’U. Euro-méditerranéenne, encore mal
défini dans ses contours et dans ses
limites, ne serait donc, selon de
nombreux observateurs, qu’une tentative
supplémentaire destinée à éluder pour un
temps le lancinant problème de
l’élargissement de l’Europe à la
Turquie.
Ces ‘’ ouvertures’’ en direction des
pays du Sud étaient d’autant moins
convaincantes que jusqu’à présent, il
faut bien en convenir, les discours
européens, sur les thèmes de la
solidarité euro - méditerranéenne ou de
l’aménagement de ‘’l’espace humain
sous-tendant l’espace économique’’,
paraissaient tellement en porte-à- faux
avec la réalité qu’ils ne pouvaient
susciter la moindre crédibilité. Le
déséquilibre économique était tellement
flagrant, les dissemblances entre les
états démocratiques du Nord et les
régimes autocratiques du Sud tellement
marquées qu’elles ne pouvaient déboucher
que sur un partenariat boiteux. Ainsi
par exemple, promouvoir l’organisation
rationnelle des échanges dans cet espace
dit‘’privilégié’’ assurant la libre
circulation des marchandises, tout en
restreignant formellement la circulation
des personnes, ne pouvait être considéré
que comme une démarche contradictoire
supplémentaire et peu viable.
A la vérité, l’image de l’Europe
marquant le plus volontiers l’imaginaire
des populations maghrébines est celle
d’une ‘’Europe forteresse’’, certes très
attractive à bien des égards, mais un
genre de ‘’Grande Suisse’’ prospère
entourée de ‘’banlieues turbulentes et
misérables, une Europe focalisée
exclusivement sur un objectif double et
immuable, la sécurité et le contrôle
strict de l’immigration. C’est ce qu’a
parfaitement compris, par exemple le
secrétaire général de l’Union du Maghreb
Arabe (U.M.A.), Habib Boularès,
lorsqu’il a affirmé lors d’une
conférence préparatoire au sommet 5+5,
en septembre à Tunis :‘’Il ne faut pas
que nous acceptions de n’être qu’une
frontière d’une Europe qui veut être
sécurisée ’’..
Il s’y surajoute cette incontestable
remontée en puissance de l’islamophobie
en Europe, entamée après le 9/11,
reprenant plus de vigueur depuis
Maestricht, et qui nous laisse
clairement sur la fâcheuse impression
d’une Europe en mal d’identité,
cherchant à se définir identitairement
par une opposition farouche au monde
arabe et musulman;‘Comme si être
européen c’est d’abord ne pas être
arabe, turc ou musulman, à l’extérieur
comme à l’intérieur’, c’est selon la
formule consacrée : ‘’eux et nous’’.
La stigmatisation de l’Islam servant de
stimulateur de l’identité européenne,
d’apparition relativement récente, n’a
peut-être que des rapports lointains
avec l’héritage colonial, mais elle
n’affecte pas seulement les couches
populaires en Europe. Sa diffusion dans
tous les milieux revêt, en certaines
occasions, des exacerbations
inquiétantes. Iyadh ben Achour évoquant
le rôle des civilisations dans le
système international dénonce : ‘’la
construction contemporaine des figures
de l’hostilité et la cristallisation
dans le discours politique et juridique
des lignes de fractures entre les
civilisations au détriment des visions
d’appartenance à la même humanité ‘’.
(Iyadh ben Achour :Le
rôle des civilisations dans le système
international (Bruxelles, Bruylant 2003)
Si donc l’on excepte le petit peuple des
candidats à l’immigration qui, souvent
au péril de leur vie, tentent de forcer
les frontières de la forteresse, ou le
petit groupe des hommes d’affaires
‘’pré-sélectionnés’’ par les grandes
entreprises européennes et les
représentants officiels des offices
économiques du Sud, on peut dire que
dans leur grande majorit é, les
populations maghrébines sont demeurées
jusqu’ici peu concernées, largement
indifférentes au‘’Fait Euro- Maghrébin’’
et à ses développements. Une des raisons
en est que les partenaires européens
avaient eu exclusivement pour
interlocuteurs les représentants de
régimes autocratiques pour lesquels le
respect de la liberté d’expression, les
usages démocratiques et la promotion de
l’état de droit, se situaient - c’est le
moins qu’on puisse dire - au dernier
rang des préoccupations. Ces
dispositions d’esprit convenaient
parfaitement d’ailleurs aux Européens, à
partir du moment où elles contribuaient
à leur assurer les critères essentiels
de la sécurité et de la stabilité.
Rarement les représentants authentiques
de la société civile maghrébine et
encore moins ceux de l’opposition
démocratique ont été conviés à prendre
officiellement part à ces débats ou à
exprimer leur avis de quelque façon que
ce soit. N’y a t-il pas là, aussi, à
bien y réfléchir, un important motif
‘’d’enlisement et de dysfonctionnement’’
du processus de Barcelone ou des
arrangements similaires ?
Il y avait bien pourtant parmi les
clauses du Processus de Barcelone une
clause politique qui prenait en compte
le respect des droits de l’homme et des
libertés démocratiques. Mais qui osait
en faire état ? C’est à peine si dans la
discrétion feutrée des antichambres
ministérielles quelques remarques
modérées avaient pu être glissées au
hasard de la conversation et adressées
avec toute la prudence requise à un
acteur de second ordre de régimes
ombrageux. C’étaient, de plus rares
fois, les éclats de voix d’un député
européen particulièrement ému et révolté
par une iniquité récente, qui avaient
défrayé la chronique et tenté de faire
bouger un parlement européen peu enclin
à écouter de telles interventions
considérées ‘’ intempestives’’. Dans la
règle, nous avions eu surtout droit aux
déplacements de députés européens ou
nationaux, d’hommes politiques, de
patrons d’entreprise, souvent à l’invit
ation des gouvernements locaux (par
exemple : récents déplacements en
Tunisie au cours de l’année écoulée,
Jean –Pierre Raffarin, Philippe Seguin,
Pierre Lellouche ). Leurs passages se
soldaient en général par des
déclarations lénifiantes louant la bonne
gouvernance et les prouesses, voire
‘’les miracles’’ économiques des pays
qu’ils visitaient. Elles se terminaient
par l’affirmation de leur foi en
l’avenir radieux de la coopération
euro-maghrébine.
Tout compte fait, le sentiment général
qui prévaut maintenant au Sud est que
l’Europe, en proie à d’énormes
difficultés internes, a ‘’d’autres chats
à fouetter’’. Les réalisations concrètes
qui vont dans le sens du partenariat
Nord-Sud restent limitées, bien en deçà
du discours.
Au cours d’un symposium tout récent
organisé à Tunis, les 26 et 27 juin
derniers par le C.J.D.(centre des jeunes
dirigeants), Khaled Lajimi, secrétaire
d’état chargé de la coopération
internationale et de l’investissement
extérieur a fait état de deux chiffres
particulièrement édifiants(La Presse 28
juin 2007): Les investissements directs
étrangers(I.D.E.)dans la zone
euro-méditerranéenne nr représentent que
3% du flux dans le monde et seulement
0,2% des investissements réalisés par
les pays de l’Union Européenne à
l’étranger.
Les échanges commerciaux demeurent
déséquilibrés puisque la part des pays
méditerranéens du Sud dans les échanges
mondiaux de service demeure faible avec
à peine 2,5% en 2006. Par contre, rien
de comparable en ce qui concerne les
moyens mis à la disposition des pays de
l’Est dans le cadre du processus
d’intégration. Un exemple : la Pologne
recevra en 2007l’équivalent de 2,7% de
son P.I.B. ; la Tunisie recevra 9 fois
moins, 0,3% de son P.I.B.
Les peuples maghrébins qui sont de plus
en plus conscients de ce décalage
impressionnant se reportent plus
volontiers sur des préoccupations d’un
autre ordre touchant à leur libération
véritable et à leur accès à la
démocratie. Même si certaines instances
o nt affiché leur approbation de
principe de la proposition Sarkosy, que
d’autres, plus rares il est vrai, rêvent
de l’élargissement de l’Europe qui
hâterait leur affranchissement, elles
n’ont guère entamé le mur épais de
méfiance et de doute, présent également
aux deux bords.‘’L’union
méditerranéenne, cette chimère’ titre
Daniel Vernet dans Le Monde du 11juillet
2007. Le parcours hérissé d’obstacles et
de ‘’mesquineries renouvelées’’(Abdallah
Gull) qui parsèment la voie de
l’adhésion turque est en soi
suffisamment instructif.
Mais voici que d’autres voix se sont
exprimées, par ailleurs, principalement
au niveau des pays latins riverains de
la méditerranée occidentale pour
souligner que la proposition Sarkosy,
quelle qu’en soit la motivation, ne s’en
attaque pas moins à un problème crucial
pour l’avenir de l’Europe, celui de
définir une conception plus actualisée
et surtout plus équilibrée de ses
relations futures avec ses voisins du
Sud. L’élément novateur vigoureusement
affirmé cette fois-ci plaide en faveur
d’un recentrage de la stratégie qui ne
saurait évidemment s’effectuer sans un
recentrage des mentalités et des
comportements. L’avoir perdu de vue
constituait sûrement l’un des motifs de
‘’l’enlisement’’ de Barcelone et des
arrangements similaires.
La dernière rencontre appelée, (Dialogue
5+5,Tunis dec.2003) avait laissé
quelques menus espoirs en vue d’une
avancée appréciable. Le ‘’Fait
Euro-Maghrébin’’ s’était manifesté là,
têtu, incontestable.
Ce retour remarqué de la propension vers
la méditerranée occidentale, assimilé
parfois à un réaménagement de la
stratégie globale est diversement
évoqué. Chirac parle d’un‘’ élan
fondateur esquissant un destin commun’’
; Tunis,dec.2003)
Jean R.Henry (op Cité) est plus
explicite :’’Le bassin occidental fait
figure d’espace privilégié dans cette
méditerranée inquiète même si le
déséquilibre économique et social
croissant entre le Nord et le Sud est
source de tensions préoccupantes’’..
Depuis la fin de la ‘’décennie de sang’’
en Algérie (1991-2001), depuis le retour
de la Libye dans le concert des nations,
une relative stabilité régnant dans les
autres contrées, la méditerranée
occidentale apparut comme un espace
relativement privilégié. Le recentrage
sur cette méditerranée tranquille permet
d’échapper aux tempêtes du Moyen-Orient,
de tenter pour certains de faire
l’impasse sur le douloureux problème
palestinien et peut-être pour d’autres
d’échapper à une trop lourde pression
américaine ; encore que les Américains
eux non plus, ne se disent guère fâchés
de voir s’effectuer ce recentrage vers
la méditerranée occidentale, eux qui
font des efforts pour étendre leur
influence politique et militaire au
Maghreb pour en faire une pièce
maîtresse de leur stratégie globale,
même si cela peut contrarier parfois les
intérêts européens.
A l’évidence, les protagonistes de ce
recentrage vers les pays d’Afrique du
Nord ne forment encore qu’un groupe
restreint d’économistes, de chercheurs
sociologues et historiens. En dépit des
déclarations appuyées de quelques rares
hommes politiques, l’impact de leurs
réflexions qui traduiraient une
évolution réelle des dispositions
européennes, reste limité et l’on ne
peut présager à l’heure actuelle de
l’avenir qui leur sera réservé.
Néanmoins partant d’une constatation
claire, celle d’une indéniable
dynamisation des échanges observée ces
dernières années et attribuée en grande
partie à l’émergence de jeunes
dirigeants économiques maghrébins, pour
lesquels cette ‘’nouvelle politique de
‘’voisinage ne saurait être une
politique de dépendance ou de seule
réserve de main d’œuvre’’, ils avancent
deux types d’arguments qui ne sont pas
dénués de pertinence :
Ils font valoir, en premier lieu, le
manque flagrant de main d’œuvre pour des
domaines très sensibles, dans la plupart
des pays européens, coexistant avec le
constat d’une population européenne
vieillissante risquant au niveau actuel
de compromettre sérieus ement le
financement des retraites ; alors que
d’autre part l’on prévoit un rythme de
croissance continue pendant au moins
vingt ans de la population maghrébine,
en dépit des efforts qui y sont
poursuivis pour tenter de limiter la
démographie.
Ils appellent, en second lieu, à prendre
beaucoup plus sérieusement en
considération, l’existence d’une
population de plusieurs millions de
bi-nationaux nord-sud, une population
parfaitement emblématique de cet espace
euro - méditerranéen qu’elle accapare
par ses préoccupations politiques et
économiques et qu’elle enrichit par ses
apports culturels et ethniques. Cette
population constitue évidemment le
catalyseur naturel de toute avancée et
la clef de voûte de ce nouveau type de
partenariat
Le rythme des échanges s’est intensifié
ces dernières années ; c’est un fait
patent, mais n’a-t-il pas du même coup,
aux yeux de plusieurs observateurs,
exagéré le déséquilibre au détriment des
pays du Sud ? Ira-t-on jusqu’à y voir,
comme certa ins l’ont écrit en Europe,
une revanche sur la décolonisation, ou
que d’autres, beaucoup plus rares,
survivant des vieilles générations,
aient cru y découvrir les séquelles de
‘’l’Union Française’’, chère aux
politiciens de la IVe République ? La
domination économique est manifeste ne
va- t-elle pas logiquement accentuer les
impacts culturels et raviver les
craintes de ceux qui, nombreux au
Maghreb, peuvent y redouter, à leur
tour, à l’instar de l’Europe, une
atteinte à leur identité ? Aucune
démarche concrète, aucun débat clair ne
sont venus jusqu’ici appuyer les
discours et traduire les nouvelles
dispositions.
Faut-il donc se dissimuler qu’ils sont
encore très nombreux au Maghreb, ceux
qui persistent à voir la bouteille à
moitié vide. Faut-il être surpris de
constater qu’ils sont encore plus
nombreux à se demander s’ils ne seront
pas victimes d’un ‘’nouveau miroir aux
alouettes’’ ?
(Source: Le site de
Kalima mis en ligne le 08 aout 2007)
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