Les
notions de citoyenneté ont pendant
longtemps été conceptualisées comme des
droits et des responsabilités liés à
l'adhésion à une communauté politico
juridique. Le caractère subjectif de ce
concept s’apprécie par rapport à un état
de civilisation donné, même si l’on
affirme le caractère universel de
certaines valeurs, inséparable de toute
notion politique dans les temps
modernes.
Dans la culture
francophone, le mot citoyenneté est un
concept surchargé d’idéalisation et de
flou idéologique. Tandis que les écrits
anglo-saxons ont accepté le ralliement
entre nationalité et citoyenneté.
Autrement dit, ils ont limité les
différences, si différence il y a, entre
le droit et son exercice actif.
Dans la littérature
américaine, le mot citizenship
est employé à la place de la
nationalité dans les écrits francophones
qui établissent en général une
distinction entre citoyenneté et
nationalité, même si on peut dire avec
Oppenheim et Lauterpacht,
"Nationality of an individual is his
quality of being subject of a certain
state, and therefore its citizen".(1)
Mais quelques soient les
origines et les convergences
nationalité- citoyenneté, les deux
notions sont intimement reliées à nos
identités comme citoyens et aux
questions de justice sociétale. Le
niveau auquel les institutions et les
pratiques de citoyenneté sont inclusives
ou exclusives des intérêts et des
inquiétudes de la plupart des groupes
vulnérables, sert de baromètre des
valeurs de justice liées à des
individus, groupes et communautés
particuliers dans chaque civilisation.
Le citoyen de la
Révolution française
A la Révolution, comme
le signale Danièle Lochak, « Le mot se
charge d’un sens radicalement nouveau :
Le citoyen, ce n’est plus simplement
l’habitant, c’est le membre de la nation
–concept neuf, lui aussi, qui désigne
l’entité collective formée par
l’ensemble des citoyens et seul
dépositaires de la souveraineté dans l’Etat.
Le mot citoyen condense donc désormais
en lui deux significations conceptuelles
distinctes, mais indissociables : il
désigne le national du pays et le
titulaire des droits civiques en tant
qu’ils sont une seule et même
personne».(2)
A la différence de la
Constitution américaine, la déclaration
des droits de l’Homme et du citoyen de
1789 ne construit pas une distinction
claire entre les droits de l’Homme et
les droits du citoyen. Est-ce
l’expression, comme l’interprète Jacques
Zylberberg, d’une volonté
d’élargissement de la sphère du
politique à l’ensemble des individus
mâles et majeurs dans le territoire, ou
plutôt l’expression d’un lien organique
entre la citoyenneté et les principes
généraux du droit naturel de
l’humanité ? (3)
A l’assemblée
constituante, l’idée dominante en 1789
fut que l’électorat n’était pas un
droit, mais une fonction. A tout
individu vivant en société, on
reconnaissait un droit à l’individu
s’imposant au législateur, le droit de
citoyen. Mais ce droit n’était pas le
droit de voter, c’était le droit d’être
reconnu comme partie composante de la
nation. Le citoyen ne pouvait voter que
si le législateur lui avait conféré
cette fonction. Mais en 1793, les idées
de Rousseau triomphent et le droit
électoral de tout citoyen est affirmé :
Tout homme âgé de 21 ans est citoyen,
tout citoyen est électeur. En plus, on a
le sentiment que la république
triomphante va chercher les citoyens
au-delà de ses propres nationaux, parmi
ceux qui ont bien mérité de la liberté,
dans un état d’assurance de sa propre
légitimité.
La défense des droits
des femmes à la citoyenneté, dans cette
décennie enflammée, n’est pas réservée
aux pionnières. Bien que dans sa vie
publique l’homme politique n’était pas à
la hauteur du philosophe, Condorcet
écrit sur le sujet : « Les droits des
hommes résultent uniquement de ce qu’ils
sont des êtres sensibles, susceptibles
d’acquérir des idées morales, et de
raisonner sur ces idées. Ainsi les
femmes ayant ces mêmes qualités ont
nécessairement des droits égaux. Ou
aucun individu de l’espace humaine n’a
de véritables droits, ou tous ont les
mêmes ».(4)
En 1791, Olympe de
Gouges publie sa « déclaration des
droits de la femmes et de la
citoyenne ». L’article 1 stipule que la
femme naît libre et demeure égale de
l’homme, et l’article 4 définie le but
de toute association politique par la
conservation des droits naturels et
imprescriptibles de la femme et de
l’homme. Arrêtée le 20 Juillet 1793,
alors qu’elle placardait elle-même ses
affiches, elle est condamnée à mort et
exécutée le 3 novembre 1793.(5)
Enfant légitime d’une
révolution politique dans la pensée
européenne engendrée par la révolution
française, le concept de la citoyenneté
n’a pas eu la même force avec sa
restriction à l’époque coloniale. La
conquête privilégie le colonisateur, qui
cumule les statuts, au détriment du
colonisé qui ne dispose, au mieux, que
de l’amorce de celui de national, mais
presque jamais à de celui de citoyen. Et
comme le décrit si bien Claude Emeri,
« Quand la colonisation entre dans sa
phase de reflux, et après elle quand la
France est sinon assiégée par ses
anciennes « populations indigènes », au
moins convaincue de l’être, le
nationalisme frileux se rétrécit sur le
champs de la citoyenneté qui le recouvre
totalement ». (6)
La déclaration
universelle des droits de l’Homme de
1948 redonna à la révolution française
son droit de cité. La Convention
européenne des droits de l’homme et des
libertés fondamentales a codifié, après
les années noires de la 2ème
guerre mondiale, les droits minima de la
citoyenneté. Mais c’est le Pacte
international relatif aux droits civils
et politiques qui refuse, dans son
article 25, toute discrimination dans
les droits des citoyen(ne)s, en
demandant :
a) de prendre part à
la direction des affaires publiques,
soit directement, soit par
l’intermédiaire de représentants
librement choisis;
b) De voter et d’être
élu, au cours d’élections périodiques,
honnêtes, au suffrage universel et égal
et au scrutin secret, assumant
l’expression libre de la volonté des
électeurs; c) D’accéder, dans des
conditions générales d’égalité, aux
fonctions publiques de son pays.
Ceci dit, la beauté des
textes ne peut nous faire oublier la
cruauté du réel. Deux siècles après la
Révolution, un sondage IFOP, publié dans
« le monde » du 30/11/1989 révèle que
66% des Français sont hostiles à
octroyer le droit de vote aux Musulmans
de France, aux seules élections
locales !
Ce va et vient nous
amène à constater que la citoyenneté
est, quelques soient les valeurs
idéologiques et polémiques du terme, un
concept de " clôture",
déterminant les limites à (ou l'exclusion
de) la participation à certaines
interactions sociétales. L'ambiguïté de
ce mot réside dans le fait qu'il est,
dans le vécu, l'expression à la fois, du
germe du nationalisme constitutionnalisé
et de la capacité d'un système politique
à faire avancer les valeurs
démocratiques d'intégration au détriment
d'une entité fermée et homogène. Car la
naturalisation est en soi une agression
à l'égard des sentiments nationalistes
basés sur une logique de différence
(linguistique, religieuse, sexiste ou
dépendant de la couleur de peau ...),
voire "un mariage mixte" dans une tribu
endogamique.
Quelle soit inspirée de
Jus sanguinis ou de Jus
soli, la citoyenneté est une affaire
purement nationale. Elle est dépendante
du concept vague de la souveraineté de
l'État. Le seul texte non-national sur
la nationalité (la convention de La Haye
du 12 avril 1930) ne fait que confirmer
cela :
" - Qu'il appartient à
chaque État de déterminer par sa
législation quels sont ses nationaux,
- que seule cette
législation permet d'établir si un
individu est ou non ressortissant de cet
Etat".
La variabilité
interétatique nous frappe à la lecture
des codes de nationalité à travers le
monde : la nationalité obtenue de fait (narodowski
dans la terminologie polonaise)
ou de droit (obywatelstwo),
attribuée ou acquise, réglée par le
mariage, la filiation, la légitimation,
l'adoption, l'établissement de la
parenté, la loi de retour, l'unité de la
famille ( juris communicatio),
pour cause honorifique (honoris causa)
ou une représentation légale ...
L’on peut cependant
constater avec amertume, que les
conditions d’adhésion citoyenne sont de
plus en plus difficiles, surtout avec la
recomposition étatique post communiste
en Europe de l’est et dans les Etats
post Yougoslaves. Ainsi, la
dénaturalisation de plus de 400
bosniaques musulmans, qui ont obtenu la
nationalité par mariage pendant la
guerre, par une commission
multinationale ad hoc, est
l’exemple d’une dégradation juridique
qui peut envahir l’Europe. D’autant plus
que l’interrogation sur les exigences de
l’administration américaine, au nom de
la guerre contre le terrorisme, n’est
pas à la hauteur des dégâts occasionnés
envers et contre la citoyenneté.
Il va sans dire que « le
code de nationalité » est presque
toujours influencé, pas seulement par
des particularités socioculturelles,
mais aussi par des facteurs passionnels
alimentés par les idéologies et les
mécanismes de peur de l’étranger. Même
s’il est conditionné par une dynamique
d'intérêt, pour emprunter l'expression
de Max Weber.
Pour cela, le défenseur
des droits humains ne peut qu’exiger que
le concept de citoyenneté, quelques
soient le pays et les origines
socioculturelles, demeure sous le
microscope puissant des valeurs
universelles des droits de l’Homme.
Médecin psychothérapeute et Docteur en
anthropologie, Président du Bureau
International des ONG humanitaires,
porte parole de la Commission arabe des
droits humains, Manna est l’auteur d’une
trentaine de livres en arabe, anglais et
français.
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1)
voir : art.
citoyenneté, Haytham Manna, Short
Universal Encyclopeadia of Human Rights,
Beyrouth-Damas, ACHR- Al Ahali,Bisan,
Eurab,2000, Vol 1, P.483,
2)
Dominique Colas, Claude Emeri, Jacques
Zylberberg, Citoyenneté et nationalité,
perspectives en France et au Québec,
PUF, 1991 : Danièle Lochak La
citoyenneté : Un concept juridique flou.
3)
Ibid, La
citoyenneté dans tous ses états, P.12.
4)
Cité par Diane Lamoureux, La
citoyenneté : de l’exclusion à
l’inclusion, in Citoyenneté et
nationalité, op.cit
5)
Déclaration publié dans : La conquête
mondiale des droits de l’Homme, Le
Cherche Midi et l’UNESCO, 1998.
6)
Citoyenneté et nationalité, op.cit, P.4
- Lille le
23/06/2007, l’institut Avicenne des
sciences humaines. Colloque les
musulmans en occident et la citoyenneté.
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