Intervention
de Violette Daguerre, présidente de la
Commission Arabe des Droits Humains,
devant être donnée à l'occasion de la
Journée internationale des femmes dans
le cadre du séminaire de la WAFE du 3
mars 2007
Une nouvelle fois à
l'occasion de la journée mondiale des
femmes, nous nous réunissons pour
dénoncer, comprendre, expliquer et
essayer d'analyser les problèmes qui
agitent notre monde. Pour ma part,
permettez moi de commencer par m'élever
contre la condamnation à mort de 3
femmes iraquiennes qui attendent dans
une prison irakienne leur exécution et
ce, comme beaucoup d'autres femmes et
hommes qui ont été avant eux arrachés à
la vie ou vont l'être par des peines
prononcées dans des parodies de justice
après toutes sortes de menaces, tortures
et traitements cruels et inhumains.
C'est l'occasion de clamer haut et fort
la demande d'abolition de cette peine
capitale partout où elle se pratique et
surtout dans les pays alentours avec
l'Iran et l'Arabie saoudite à leur tête,
et de dénoncer les exécutions sommaires
contre d'hommes et de femmes aux mains
de tous les extrémistes quels qu'ils
soient.
Je continue en revenant
au thème de la journée où les
organisateurs ont voulu se focaliser sur
le rôle clé des femmes face à
l'intégrisme, puisque ce sont elles les
plus lésées par cet pathologie, et en
vous soumettant mon analyse des
problèmes qui me semblent expliquer en
partie la situation qui prévaut dans
cette zone de forte turbulence qu'est le
Moyen et le Proche Orient.
Ma contribution ne sera
pas longue, elle va porter sur le
diagnostic de la maladie qui nous ronge
et non pas sur le seul symptôme désigné.
L'intégrisme n'est malheureusement pas
un phénomène manifeste seulement dans
cette région du monde ou propre à la
seule religion musulmane ou à un groupe
défini. C'est un état d'esprit ou une
disposition que l'humanité a dû
connaître à divers moments de son
histoire, chez les athées comme chez les
adeptes des différentes religions. Ce
qui a jalonné l'histoire pas trop
lointaine de génocides, croisades,
chasse aux sorcières, inquisitions,
déportations, holocaustes, Takfir,
attaques terroristes, coups d'état,
atrocités de guerres et autres
violations des droits humains. Les
femmes dans tout cela étaient les
premières touchées en tant que groupe
vulnérable.
Aujourd'hui, des formes
d'intégrisme continuent à avoir lieu et
à alimenter même les politiques de ceux
qui mènent le monde, que ce soit dans
cette région ou ailleurs. Elles sont
très dangereuses, surtout parce qu’elles
constituent la grille d’analyse du chef
du pays le plus puissant au monde lequel
dit: « Notre nation a été choisie par
Dieu et mandatée par l’Histoire pour
servir de modèle de justice ! ».
Voilà de quoi faire des
ravages sur la scène géopolitique
internationale. Et l'on n'a pas fini de
payer le prix qui s'alourdit de jour en
jour avec des psychopathes et autres
psychotiques qu'ils nous gouvernent ou
pas. Il faut noter là la dimension intra
personnelle qui est aussi importante que
l'interpersonnelle qu'il s'agisse
d'individus ou de groupuscules.
Pour expliciter quelque
peu la dimension interpersonnelle, l'on
peut dire que si cette région du monde
est celle qui fait le plus parler d'elle
à propos d'intégrisme, et ce
indépendamment du rôle des médias du
palais, c'est surtout parce qu'il y a
conjonction de raisons qui font monter
les tensions et les contradictions: une
demande croissante des pays riches pour
un pétrole bon marché, nécessitant une
soumission politique de la région qui
jouit de l'or noir; existence depuis un
soixantaine d'années d'Israël, laquelle
veut mener sa politique comme elle
l'entend au détriment des peuples de la
région et des résolutions de l'ONU; des
multinationales qui cherchent à
renflouer leurs caisses en écoulant
leurs marchandises d'armes par les
équipements militaires imposés aux
gouvernements en place; des chefs d'Etat
et de gouvernements qui, pour
s'éterniser, doivent servir les intérêts
de leurs maîtres en Occident au dépens
des intérêts de leurs propres
populations; des peuples gouvernés avec
autoritarisme, violation croissante de
leurs droits, pillage des richesses de
leurs pays, corruption, exil ou
émigration vers les portes de l'Europe.
Ajoutons à cela l'idéologie néolibérale
des multinationales qui sème sur son
chemin: pauvreté, désespoirs,
répressions, et injustices, et ce avec
la conjonction des politiques fiscales
du FMI, de la Banque Mondiale et autre
Organisation Mondiale du Commerce.
Un mélange qui ne peut
être que détonateur de toute forme
d'intégrisme notamment chez des laisser
pour compte, errants dans les banlieues
surpeuplées des grandes villes qui
regorgent d'une population émigrant de
sa campagne à la recherche de travail et
de nourriture et se logeant dans les
bidonvilles.
Donc s'il est vrai que
les intégristes musulmans sont des
enragés qui font du tort à tout le
monde, et surtout lorsqu'ils sont en
haut de l'échelle sociale, ils ne sont
que le symptôme identifié d'une maladie
qui ronge les relations internationales
et qui est elle-même pathogène.
La question qui s'impose
à ce stade est: si l'autre est
intégriste, que sommes-nous pour lui et
qu'elle est l'image qu'il s'est fait de
nous, ici en Occident par exemple?
A-t-on réalisé que dans ces systèmes
vivants qui interagissent selon des
circuits en feedback aucune partie ne
peut avoir le contrôle sur l'ensemble du
système ou avoir un contrôle définitif,
quelle qu'elle soit sa force ou la durée
de sa prise de pouvoir?
Au delà des limites de
l'individu, l'inconscient humain nous
réunit tous. Et si problème il y a, il
ne se trouve pas que dans l'autre. Il
est dans la relation du soi à son alter
ego. Ainsi, le problème que cet autre
pose ne sera pas résolu en déployant la
contre violence comme solution.
Finalement, nous sommes
tous responsables de ce qui se commet en
notre nom. Et c'est à nous, surtout
femmes, d'agir avec un esprit de
responsabilité universelle. Pas en nous
positionnant comme éternelles victimes,
mais en tricotant autrement nos
identités et en oeuvrant pour une
justice sociale et une paix civile et
davantage de droits humains. Car l'on ne
peut pas chercher son salut lorsque la
dignité de l'autre est bafouée. Les
solutions sécuritaires n'ont produit que
plus de répressions et de frustrations
et moins de sécurité.
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