Liban : réflexions autour d'une paix possible
Georges Corm
LE
MONDE | 24.07.06 | 13h23 • Mis à jour le 24.07.06 | 13h23
Les décideurs
internationaux ont la mémoire courte. Face à l'immensité de l'agression
israélienne sur le Liban, ils pensent pouvoir l'exploiter pour mettre en oeuvre
par la force la fameuse résolution 1559 qui a rendu le Liban à son statut d'Etat-tampon où se règlent en toute impunité les tensions et
conflits régionaux.
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En proposant la
constitution d'une force multinationale à déployer au sud du Liban, la
"communauté internationale" risque fort de rééditer les mêmes erreurs
que celles qui ont présidé à la constitution de
Comme aujourd'hui, où la
totalité du Liban est prise en otage par l'armée israélienne, la moitié du pays
le fut alors, au cours de l'été 1982, par cette même armée ; elle fut aussi,
comme en cet été 2006, bombardée nuit et jour durant deux mois et demi par
terre, par mer et par air, sans distinction entre objectifs militaires et
civils ; l'eau et l'approvisionnement furent coupés aux habitants de Beyrouth
encerclée. Yasser Arafat était l'objet de poursuites aériennes, tout comme
l'est aujourd'hui le chef du Hezbollah.
On peut se rappeler aussi
qu'en juillet 1982 les dirigeants du G7 étaient alors somptueusement réunis au
château de Versailles et trop occupés par leurs agapes pour daigner même
regarder mourir des milliers de Libanais et de Palestiniens ensevelis sous les
décombres de leurs habitations ou bombardés alors qu'ils tentaient de fuir
l'enfer. Il n'y avait pas à l'époque de Hezbollah, mais Israël voulait
éradiquer le "terrorisme" palestinien présent au Liban et imposer un
gouvernement libanais à sa solde qui termine le travail d'éradication violente.
La force d'interposition
débarqua effectivement à Beyrouth, fit sortir Yasser Arafat et deux ou trois
mille combattants palestiniens, s'assura de l'élection d'un président
phalangiste (Bachir Gemayel) qui avait cautionné
l'invasion israélienne, puis rembarqua. La suite fut un désastre : assassinat
du président, entrée des troupes israéliennes à Beyrouth et massacres horribles
de femmes et d'enfants palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila.
François Mitterand obtint alors le retour précipité de
Aussi bien le secrétaire
général des Nations unies que
Si le Hezbollah n'est
qu'une émanation de la volonté de Téhéran et de Damas qui veut agresser
indirectement et sans raison Israël, il est totalement aberrant dans ce cas de
laisser Israël s'en prendre au Liban. Il faudrait même imposer à l'Etat hébreu
qu'il s'engage à ne plus martyriser ainsi le Liban de façon récurrente et
inutilement cruelle. Militairement ou par la négociation, qu'Israël ou les
Etats-Unis règlent leur contentieux pour l'hégémonie régionale avec ces deux
pays, mais non avec le Liban.
Si, en revanche,
l'existence du Hezbollah au Liban, comme celle du Hamas en Palestine, n'est pas
une simple création machiavélique de l'axe Téhéran-Damas,
mais le résultat des quarante ans d'occupation par Israël de
Le Liban, en effet, ne se
gouverne pas par la force ni par la loi de la majorité. Il est une démocratie
consensuelle et fragile du fait justement du contexte régional si agité, mais
aussi de son régime communautaire. C'est pourquoi les décideurs internationaux
seraient avisés de ne pas tenter, comme en 1982, de forcer la main au
gouvernement actuel. Celui-ci est d'autant plus fragile qu'il n'est pas un
gouvernement d'union nationale - même si le Hezbollah y dispose de deux
ministres - et qu'il résulte d'élections menées dans des conditions peu
reluisantes sous la houlette des Etats-Unis et de
Il faudrait aussi
reconnaître la complexité des forces politiques en présence au Liban et ne pas
présenter exclusivement le point de vue des factions sympathisantes de la
politique américaine ou française et hostiles au Hezbollah. Il en est ainsi du
général Aoun, de très loin le dirigeant le plus populaire de la communauté maronite,
mais qui a disparu des médias français pour avoir refusé de se lancer dans des
attitudes hostiles au Hezbollah afin de préserver l'unité des rangs et la
concorde communautaire au Liban. Il en est de même de Sélim
El Hoss, ancien premier ministre du Liban, issu de la
communauté sunnite, et qui, aux pires moments de la guerre passée (1975-1990),
a su maintenir l'unité du Liban ; celui-ci, depuis l'adoption de la résolution
1559, n'a pas arrêté de recommander aux ambassadeurs occidentaux en poste à
Beyrouth de faire appliquer l'ensemble du droit onusien sur le conflit
israélo-arabe afin que le Liban soit en mesure de mettre en oeuvre toutes les
dispositions de la résolution 1559 sans provoquer de graves discordes internes.
La "communauté
internationale" ne doit pas instrumentaliser encore plus le Liban dans la
partie de bras de fer régionale actuelle et ne doit pas tenter d'exaspérer les
divisions des Libanais ou d'ignorer les uns au profit des autres. Ne serait-il
pas temps d'ailleurs au Proche-Orient de tenter une autre voie que la politique
de la canonnière, qui a si bien caractérisé le XIXe siècle colonial
et qui renaît de ses cendres aujourd'hui de façon scandaleuse.
Georges
Corm, ministre des finances du Liban de 1998 à 2000,
est l'auteur du "Liban contemporain. Histoire et société",
Article
paru dans l'édition du 25.07.06