La fin du droit
international ?
( Alain
GRESH, 16 août 2006 )
On l’a souligné, depuis le
11-Septembre, un débat agite les responsables politiques : dans la guerre
contre le terrorisme, dans l’affrontement entre « la civilisation »
et « la barbarie », le droit international, le droit humanitaire,
peuvent-ils s’appliquer ? Le président George W. Bush a instauré une
nouvelle catégorie, celle d’« ennemis combattants », qui ne sont pas
justifiables des procédures légales, et que l’on peut enfermer à Guantanamo,
voire torturer, au nom de la défense de « la civilisation ». La
sixième guerre israélo-arabe, qui se déroule au Liban, et qui est
(provisoirement ?) suspendue, a fourni une nouvelle occasion aux partisans
de ces théories de défendre leur point de vue.
John Podhoretz,
un des théoriciens néoconservateurs américains,
s’interroge dans un article du New York Post du 25 juillet : « Est-ce
que les démocraties libérales n’ont pas évolué à un point où elles ne peuvent
plus mener de guerres efficaces à cause du niveau de leurs préoccupations
humanitaires pour les autres... ? » Et il poursuit : « Et
si notre erreur tactique en Irak était que nous n’avions pas tué assez de
sunnites au début de notre intervention pour les intimider et leur faire tellement
peur de nous qu’ils accepteraient n’importe quoi ? Est-ce que ce n’est pas
la survie des hommes sunnites entre 15 et 35 ans qui est la raison de
l’insurrection et la cause fondamentale de la violence confessionnelle
actuelle ? » Tuer tous les hommes entre 15 et 35 ans, c’est ce que
les milices serbes ont fait à Srebrenica...
Podhoretz de
poursuivre : « Qu’en serait-il si Israël avait toutes les capacités
d’atteindre ses objectifs, mais ne pouvait se déployer sans contrainte contre
un ennemi plus dangereux, avec moins de scrupules et de principes, plus barbare
même que les monstrueux leaders de l’Intifada... »
Et il conclut :
« Est-ce que c’est un terrifiant paradoxe de l’art de la guerre au XXIe
siècle ? Si Israël et les Etats-Unis ne peuvent être défaits militairement
au sens conventionnel, est-ce que nos ennemis ont découvert un nouveau moyen de
gagner ? Est-ce qu’ils ne cherchent pas la victoire à travers notre
démoralisation seulement, en nous mettant au défi d’atteindre leur niveau de
barbarie et en sachant que nous ne le ferons pas ? (...) Serait-il
possible que la grandeur morale de notre civilisation - son étonnante attention
à la valeur de l’individu - ne mette pas en cause aussi l’avenir de notre
civilisation ? »
Ce raisonnement
terrifiant, on aurait tort de le croire confiné à
quelques cercles isolés. Certes, il est avant tout porté aux Etats-Unis par le
courant néoconservateur. Ainsi, le professeur de
droit à Harvard Alan Dershowitz, un défenseur acharné
de toute action israélienne, explique-t-il que « le droit international et
ceux qui l’administrent devraient comprendre que les vieilles règles » ne
s’appliquent pas à cette guerre sans précédent contre un ennemi brutal et
fanatique et que « les lois de la guerre et les règles de morale doivent
s’adapter à ces réalités » [1].
Par ailleurs, Michael Rubin appelle tranquillement le gouvernement américain à
revoir sa politique de refus d’assassinat des dirigeants politiques [2]. Voici
bien longtemps qu’Israël n’existerait plus s’il ne réagissait pas avec
démesure, affirme Claude Lanzmann, dans Le Monde du 4
août, reprenant l’argument développé par Bernard-Henri Lévy.
Tous les deux semblent
ignorer que même les « guerres justes » sont contraintes par des lois
internationales. Ou plutôt, ils ne l’ignorent pas, mais pensent qu’elles ne
peuvent s’appliquer qu’aux « civilisés ». On retrouve là
l’argumentation qui prévalait à l’époque de la colonisation triomphante. En
1898, Heinrich von Treischke,
un expert en sciences politiques, soutenait ce qui, pour nombre de ses contemporains,
apparaissait comme une banalité : « Le droit international ne devient
que des phrases si l’on veut également en appliquer les principes aux peuples
barbares. Pour punir une tribu nègre, il faut brûler ses villages, on
n’accomplira rien sans faire d’exemple de la sorte. Si, dans des cas
semblables, l’empire allemand appliquait le droit international, ce ne serait
pas de l’humanité ou de la justice, mais une faiblesse honteuse [3]. » La
balle dum-dum fut inventée à la fin du XIXe siècle ; elle causait des
blessures particulièrement graves. En 1897, la convention internationale de
Ces visions d’un droit
international qui ne s’appliquerait que de manière sélective ne sont pas
simplement une extraordinaire régression de la pensée et de la morale. Elles
discréditent tout le discours sur les droits humains dont l’Occident prétend se
faire le champion et renforce ceux-là même que nous prétendons combattre... Il
est donc important de ne pas laisser les crimes commis au Liban impunis, et
l’appel de Jean-Claude Lefort, député (PCF), et de
Jean Paul Boré, vice-président (PCF) du conseil
régional Languedoc-Roussillon, à porter ces crimes devant
Notes
[1]
Cité par Norman Finkelstein, « Should Alan Dershowitz Target Himself for Assassination ? »,
Counterpunch, 12-13 août 2006.
[2]
« Why the
[3]
Sven Lindqvist, Exterminez toutes ces brutes, Le
Serpent à plumes, 1998
( Mercredi 16 août
2006, par Alain Gresh )
http://www.aloufok.net/article.php3?id_article=3320
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