Responsabilité des ONG de
droits humains en Algérie: Pour une autre perspective
Ibrahim Taouti
Avocat, Lawhouse.dk
L'Algérie a été sur plus d'une décennie un point de mire des accusations d'organisations non gouvernementales
(ONG) de droits de l'homme[1] nationales
ou internationales[2].
Nous proposons de débattre de la nature juridique et du rôle de ces ONG dans
les pays du Sud – Algérie – en tenant compte tant des besoins internes de ces
pays que de la dynamique et de l'impact de la globalisation. Il s'agit de
révéler le paradoxe des ONG internationales, acteurs politiques déguisés et
entreprises rentables, contre la doxa dominante de leur encensement. Dans la
même veine, il s'agit de constater que les 'ONG' nationales sont souvent des
affaires familiales, tribales ou partisanes, lesquelles focalisent sur un seul
des droits humains sensés être indivisibles et universels. Les gens respectables concernés, qui sont toujours sûrs d’avoir raison, doivent nécessairement répondre à la
question de savoir si toutes ces ONG sont neutres, ont des intérêts propres à
défendre, sont (ir)responsables, et si
elles sont un facteur de conquête et de consolidation des libertés et droits
humains ou le simple faire valoir d'un discours partisan ou même idéel, ou de
pratiques de deux poids deux mesures. Il devront aussi répondre à la question
de savoir qui définit et comment sont conçus les programmes appliqués
localement, peu importe la controverse que ces programmes suscitent, et peu
importe les réponses banales d'approbation et/ou de fin de non recevoir aux
rapports et prises publiques de position. Ils doivent honnêtement dire ce
qu'ont offert ces ONG aux victimes sinon du discours sans lendemain. Poser la
problématique de manière binaire est certes simpliste, mais elle permet d'être
plus clair pour une publication généraliste. Le lecteur exigeant excusera
d'avance l'absence de nuances que la réalité devrait induire. Forcément donc,
cet article sera loin d'être exhaustif.
Haro sur
les préjugés
Concernant les
pays musulmans, un préjugé domine: les musulmans auraient tout à apprendre sur
les droits de l'homme, nés depuis
Principalement,
tout musulman a l'obligation coranique[4]
d'ordonner le convenable et d'empêcher le blâmable, sans demander
d'autorisation et sans violence. Dénoncer les violations des droits humains et
des libertés est bien inhérent à l'Islam; et ce n'est pas l'attribut d'une
élite mais le devoir de chaque musulman.
Qui sont les
ONG?
Très diverses,
elles se définissent négativement: n'appartiennent pas à l'Etat, n'ont pas de
but lucratif..., usant même de formules affirmatives: elles sont a-politiques,
a-religieuses ... Ce mode de définition ne renseigne ni sur leur organisation
ni sur leurs fonctions. Les intentions qu'elles proclament volontairement à
travers leurs statuts ne sont pas suffisantes pour les définir, même si elles
ont en commun la même culture dont elles affirment l'universalité, une culture
sensée justifier et expliquer leurs activités (conception de la démocratie, du
développement, du contenu des droits de l'homme, du rôle de la femme, de la
place de la religion...). Elles défendent sensiblement les mêmes programmes
définis au Nord, et plaqués tels quels au Sud, sans que des acteurs locaux
aient leur mot à dire. Elles ont un statut contradictoire: acteur privilégié de
la société civile et, successivement, partenaire de l'Etat, des organisations
intergouvernementales du Nord et des multinationales et substitut à l'Etat du
Sud ou organe de recours contre ce dernier. Leur index accusateur se tourne
plus souvent vers le Sud que vers le Nord. Sans doute dira-t-on que les
violations des doits humains sont massives au Sud et plus rares au Nord. Oui,
sans doute, mais seulement pour les droits civils et politiques. Or, cette
selection parmi les droits humains sensés être indivisibles et universels est
révélatrice d'un choix partisan. L'effet structurel de la globalisation touche
directement tous les droits humains et non seulement les droits civils et
politiques sur lesquels les ONG continuent, vis-a-vis des pays du Sud, de
concentrer leurs activités de lobbying/dénonciation, tout en gardant un silence
lourd de significations sur la violation et menaces de violations sur les
droits économiques et sociaux.
Quels sont
leurs buts?
Si les ONG
tirent leur légitimité des libertés d'expression, de réunion et d'association
universellement reconnues et méritant le respect, ainsi que sur les valeurs
qu'elles disent promouvoir, les conséquences
pratiques de leurs initiatives, apparemment bien intentionnées, ne coïncident
nécessairement pas aux buts auto-proclamés. Leur fonction réelle ne correspond
pas toujours aux intentions et aboutit, d'une part, à reproduire les systèmes
critiqués, sinon à les renforcer sur certains points, et, d'autre part, à
affaiblir l'Etat du Sud conformément aux voeux de la doctrine néo-libérale. Par
ailleurs, la réponse aux violations est seulement médiatique et se conjugue aux
pressions occidentale pour fragiliser l'Etat en le conduisant à délaisser un
pan entier de droits de l'homme (dépenses sociales), ouvrir ses fontières aux
marchandises du Nord et au transfert vers l'extérieur des bénéfices; remettre
en cause des acquis sociaux, etc.
La globalisation
amoindrit le rôle des Etats (déréglementation, austérité des dépenses sociales
et culturelles); sa dynamique a des effets sur la cohésion sociale
(marginalisation, chômage, inégalités, pauvreté), sur l'environnement
(fragilisation) et sur la vie économique interne traditionnelle (règles du
travail, du commerce, des privatisations). La remise en cause des acquis
sociaux et culturels crée de nouveaux besoins par leur nature et par leur
ampleur. Or, concernant l'Algérie, les ONG continuent d'agir selon les modes traditionnels
sur les seuls droits civils et politiques, avec l’alternative
respect/violation de ces droits, laquelle diffère en matière des autres droits,
notamment les droits économiques, sociaux et culturels (droits à
l’alimentation, à la santé, à l'éducation, au logement, à l’eau potable, etc.)
qui ne sont pas seulement des droits à ne pas violer mais des droits qu'il faut
surtout sauvegarder sinon réaliser, concrétiser ou promouvoir. Certes, les facteurs de la
globalisation/ouverture ont compliqué leur théâtre d'opération, ce qui aurait
du les amener à élargir et enrichir les domaines de leurs activités.
L'interdépendance des populations, des économies, (libéralisation de
l'investissement, du commerce des biens, des services et du capital) et des
idées (information transnationale) auraient du les amener à changer de
stratégie, d'autant plus que de nouveaux et puissants acteurs internationaux
sont apparus, les multinationales, reléguant les Etats du Sud à l'adaptation,
au suivisme, sinon à la réaction en perdant l'initiative.
Certes, ce n'est pas par méconnaissance des nouveaux
enjeux et par ignorance des nouveaux acteurs que les ONG des droits humains
sont sélectives dans leurs programmes. Par exemple, elles surveillent et
stimulent la responsabilité sociétale des entreprises dans les pays
industrialisés du Nord et sont moins regardantes lorsqu'il s'agit des
entreprises du Sud, généralement des entreprises d'Etat, et des activités des
multinationales dans les pays émergents du Sud. Pro-actives au Nord, elles ne
font que réagir au Sud.
Ainsi, la stratégie d’investissement éthique au Nord
reste inconnue au Sud où les Etats continuent de quémander l'investissement
conventionnel, faute de mieux, en contrepartie d'une déréglementation rampante.
Autre exemple tiré du droit à la vie: les ONG adoptent une politique de double
standard. La stratégie est continue et à long terme pour dénoncer la peine de mort dans les pays du Sud,
en focalisant sur l'Arabie Saoudite, et n'est que ponctuelle lorsqu'il s'agit
d'un pays du Nord, notamment pour sauvegarder l'étiquette de la neutralité[5].
Neutres
les ONG?
Vis-a-vis des
multinationales, ces ONG collaborent pour, principalement, initier des codes
éthiques et n'exigent ou n'utilisent pas les dispositions juridiques
disponibles. Elles vendent des labels[6] de
commerce équitable, des codes de conduite, du sponsoring et marketing et de la
certification sociale. Elles monayent aussi leur expertise par des
consultations lucratives. Ce faisant, elles participent à la substitution de la norme 'morale' ou éthique à la
règle de droit, sous prétexte de ´régulation 'civile' ou normes volontaire ou
'soft' opposée à celle de la règle de droit obligatoire; des normes soft dont
elles sont les émetteurs avec les gouvernements du Nord, les agences de l'ONU,
les organismes économiques et financiers internationaux (OCDE, BM, FSI, OMS),
les universités du Nord et les multinationales. Sur ce point, les ONG sont donc
co-législateurs, conseillers-experts et juges des performances. Elles invitent
les multinationales, nouveaux et puissants acteurs internationaux, à l'action
volontaire qui n'est pas sanctionnée par le droit.
Elles agissent de la même manière avec les
gouvernements du Nord et obtiennent, en contrepartie de leur collaboration, des
subsides sous toutes les formes, comme l'émission par les gouvernements du Nord
de timbres-postes par exemple, où un surplus, payable par le consommateur, leur
est destiné. La plupart
des ONG participent de plus en plus, en effet, à des programmes gouvernementaux
et d'organismes politiques et financiers régionaux et internationaux, y compris
Ainsi, au
rapport conflictuel avec les Etats du Sud, qu'elles fragilisent, elles ont un
rapport paradoxal de partenariat avec les multinationales, les gouvernements du
Nord et avec les organismes internationaux. Ces collaborations peuvent sans
doute être précédées de pression, mais les ONG 'partenaires' ne sont souvent
pas forcément celles qui animent les campagnes de pression. En tous les cas,
les intérêts communs gouvernements du Nord/multinationales/ONG des droits de
l'homme sont plus importants que les zones de divergence, contrairement aux
rapports ONG/Etats du Sud vis-a-vis desquels elles continuent à 'exiger' le
respect d'une liste définie de droits, au détriment du principe cardinal de
l'universalité et de l'indivisibilité des droits humains.
Ni leur
conscience collective ni leurs fonctions réelles et les conséquences pratiques
de leurs activités dans les pays du Sud, ni les effets pervers de leurs
activités, ni enfin la logique imposée par la nécessité vitale de leur propre
survie ne coïncident avec les intentions affichées. Il n'est pas de notre
intention de nier l'effet souvent certain et immédiat de certaines de leurs
actions et la réalité de l'espoir que les victimes des violations des droits de
l'homme ont à leur égard en les accueillant comme 'amies'. L'entretien de la
flamme initiale des ONG leur assure la proximité de la population victime des
violations, ainsi que la fidélité de leurs nombreux militants et soutiens du
Nord. Le problème de l'identité ou la contradiction entre intention et discours
affichés et, successivement, 'culture d'origine', 'conséquences pratiques' de
leurs activités et 'logique de survie' pose la question de l'ethique des ONG.
Conscientes de
ce besoin impérieux de légitimité, les plus grandes ONG internationales[8] se
sont engagées très recemment sur une Charte pour s'empêcher toute
discrimination et s'obliger à la franchise, à la transparence et à la bonne
gouvernance. Elles s'engagent aussi à maintenir leur indépendance financière.
Tout cela est dans l'air du temps. Il est si facile d'exprimer sa bonne
volonté. Mais les promesses sont ce qu'elles sont: sans garanties réelles.
Et de quel ordre
public s'agit-il, sinon celui de leurs alliés naturels dont elles appliquent
les programmes. Il faut savoir en effet que les organismes institutionnels du
Nord ont de plus en plus recours aux ONG pour réaliser leurs propres
programmes, enveloppés de 'droits de l'homme', en raison du moindre coût que cette
voie de réalisation procure, ainsi que la flexibilité et l'agilité des ONG. Ce
ne sont finalement pas les ONG qui ont des politiques de droits de l'homme mais
ces institutions inter-gouvernementales dont les ONG appliquent les programmes
moyennant financements et prestige. En contrepartie, les ONG doivent respecter
les normes (surtout comptables) de vérification et de résultats concrets qui
leurs sont imposés.
Formellement
indépendantes des structures étatiques, les ONG sont en relation fonctionnelle
constante avec elles. La relation est globalement positive s'il s'agit des
Etats du Nord et globalement négative (par pressions formelles et informelles)
avec les Etats du Sud. Elles sont financées par les instances publiques et
privées du Nord au point où l'on doute qu'elles soient toujours
non-gouvernementales et neutres, non seulement par leurs ressources mais aussi
pour la définition de leurs ordres du jour. Elles sont partie prenantes des
programmes officiels qu'elles se chargent d'exécuter et réconfortent
l'idéologie dominante. De plus, la plupart d'entre-elles s'engage dans
l'activité de 'consultation' au profit de gouvernements et des multinationales,
sans assumer le reproche qui fait d'elles de véritables entreprises lucratives.
Neutres les ONG? Il suffit de voir leurs produits; et à qui s'adressent leurs
critiques; les pays du Nord n'y sont mentionnés que pour maintenir l'idée
vacillante de leur neutralité.
Utiles les
ONG?
Beaucoup pensent
que les ONG sont utiles. Elles sont en rapport avec les sociétés civiles, tant
au Nord, pour maintenir ou acquérir leur légitimité par des politiques
d'information, de collecte de fonds et de soutiens de bénévoles, qu'au Sud,
pour justifier tant de leur existence que de leur 'permis d'opérer' afin
d'obtenir 'l'information utilisable'. Leur neutralité et a-politisme sont de
moins en moins évidents. Les ONG sont donc utiles; mais pour qui? Pour les
victimes des violations des droits civils et politiques de l'homme? Examinons
l'hypothèse en 3 points.
D'abord, la manière d'opérer des ONG se fixe
généralement sur l'urgence, et sur un choix arbitraire de droits à promouvoir,
renvoyant donc la question des causes des violations et des menaces de
disparition des droits et fermant la porte à celle de la transformation du
réel. Elles participent donc à la reproduction du réel qui est leur raison
d'être tant que l'agenda du donneur d'ordre réel n'est pas réalisé. La fixation
de leurs objectifs, droits civils et politiques, renseigne amplement sur le
choix irrationnel et arbitraire de délaisser les autres droits (économiques,
sociaux et culturels) alors même que, théoriquement et sur leurs propres
statuts et discours, tous les droits de l'homme sont universels, indivisibles
et inter-dépendants.
Sans doute que
la violation des droits économiques, sociaux et culturels sont aussi le fait
des multinationales et des structures du marché international qui imposent les
prix des matières premières et du travail des paysans et ouvriers du Sud. Il
faut bien admettre que le besoin de droits civils et politiques dans les pays
du Sud est pressant; mais celui des autres droits l'est davantage sur le double
plan de la culture et des réalités socio-économiques. En Algérie, après des
décennies de socialisme, avec ce que cela comporte d'acquis sociaux et
économiques, ces acquis sont directement menacés de remise en cause
systématique par l'adoption de la politique libérale. Aucune ONG n'a pensé à
adopter un programme pour faire face à ce danger imminent. Il faut bien
reconnaître que les restes du socialisme ne font pas leur soupe. Elles ont
toujours défendu la libre entreprise et été les partenaires du libéralisme.
Ceci s'explique
par le fait que ces ONG prennent modèle sur leurs sociétés d'origine et leurs
valeurs. Elles sont aujourd'hui l'un des instruments de néo-libéralisme. Leurs
ordres du jour le confirme de manière éclatante. Elles sont des partenaires
privilégiés des gouvernements du Nord et des organisations financières
internationales afin d'instaurer (restaurer dans les pays de l'Est) le
capitalisme. Le reste du monde doit s'y refléter. L'idée générale qui sous-tend
leur activisme est qu'il y a un retard de libertés (de circulation du capital
et des idées dominantes) à combler, des réglementations restrictives à
démanteler aux niveaux politique et économique, et donc un Etat à affaiblir.
Peu importe si elles agissent consciemment ou non. Seul le résultat est
parlant.
Ensuite, le choix et l'organisation des
partenaires du Sud est révélateur. Les ONG entraînent dans leur sillage les
partenaires du Sud qui acceptent leurs conditions, avec de plus en plus
d'exigences, y compris dans la définition des programmes et le contrôle des
ressources. Le partenariat Nord-Sud des ONG est de la pure réthorique. Il est à
sens unique. Les ONG du Sud devront ajuster leurs programmes, projets et
priorités sur les grandes soeurs, car l'évaluation de leur travail est externe
et leur survie en dépend en raison de l'absence de ressources et de la
stupidité des gouvernants du Sud. Toute ONG locale qui refuse de se plier aux
normes nordistes est boykottée et, dans les coulisses, dénigrée. Devenues de
véritables Etats et/ou entreprises commerciales déguisées, les ONG
internationales exigent de leurs sous-traitants des rapports plus fréquents,
plus détaillés et selon des canevas pré-établis. L'attitude condescendante et
paternaliste est toujours de mise. La société du Sud ne sait pas ce qui lui
convient dans une ambiance de cafouillage des idées, d'absence volontaire ou
forcée de l'élite et des organisations politiques et syndicales locales. Il
faut aussi dire que, parfois, l'interlocuteur du Sud est heureux de ce
partenariat tant que son ou ses représentants sont invités à voyager
gratuitement dans les capitales du Nord. L'autosatisfaction résultant d'un
article de presse révèle aussi la culture bla-bla; alors qu'un procès
retentissant aurait pu faire bouger les choses. Mais l'usage des tribunaux pour
faire respecter les droits humains n'est pas dans les cordes des ONG. Cela
signifie travailler hors des institutions gouvernementales et régionales dont
les programmes destinés aux ONG prévoient bien autre chose.
Enfin, les ONG visent apparemment à faire
pression sur les gouvernement afin que ceux-ci respectent davantage le droit
et, en dernier recours, à les faire condamner moralement devant l'opinion
publique internationale. Sans doute que le mandat des différentes ONG ne les
prédispose pas à militer au-delà de la pression publique et de l'alerte des
institutions des droits de l'homme de l'ONU. Or, elles ne le disent jamais
clairement aux victimes, qui continuent de garder l'espoir entretenu de
résultats palpables grâce à des chimères.
Le mode
classique d'action des ONG laisse de très faibles probabilités d'un changement
de conduite radical des gouvernants dénoncés. En réalité, ce sont les alertes,
pressions et actions médiatiques qui font tenir le fonds de commerce des ONG
dans leur pays d'origine. Pour prospérer, elles doivent aussi maintenir des
sources d'information locales, les plus variées si possible pour faciliter les
recoupements et n'utiliser que les mécanismes de l'ONU des droits de l'homme.Or
ces mécanismes ont, d'une part, gardé une approche sectorielle et, d'autre
part, n'offrent que des résultats stériles au regard de leur fonctionnement
bureaucratique coûteux. D'ailleurs, les ONG le savent bien. Ainsi, après plus
de dix années de récolte d'informations sur les violations des droits de
l'homme et sur les victimes, en Algérie, très peu de dossiers ont été présentés
par ces ONG aux mécanismes de l'ONU. Prenons l'exemple du dossier des victimes
de disparitions forcées. Les chiffres en Algérie tournent entre 7 et 12.000
victimes directes. Il s'est même trouvé des chiffres officiels qui les situent
à un peu plus de 6.000. Malgré l'absorption par les ONG internationales des
droits de l'homme d'un nombre considérable de dossiers de disparus, il n'a été
formellement déposé auprès des instruments de l'ONU qu'un nombre infime de cas,
pas plus d'un millier.
Que conclure
après ce rapide tour d'horizon certes shématique mais révélateur des grands
traits de la réalité?
Il est vital
nous semble-t-il que l'élite locale s'attache à revitaliser le patrimoine
intellectuel et idéel dormant des droits humains. Il est tout aussi vital de
revoir les collaborations horizontales et verticlaes locales pour un meilleur
partage des rôles et des ressources. Plusieurs associations et comités de
victimes, ainsi que de nombreux avocats et défenseurs des droits de l'homme
travaillent de façon isolée et sans coordination, et restent sous l'influence
familiale, tribale ou partisane inconsciente. Ils ne doivent pas s'attendre à
ce que les ONG internationales les aident à changer de perspective et de mode
d'actions, car ce qui les intéresse est la récolte de leurs témoignages et
l'usage d'une main d'oeuvre gratuite. Ce n'est pas l'organisation des victimes
et des ONG locales et leur promotion qui les intéresse, elles peuvent bien
continuer à être éparpillées et parfois à se faire une guerre de renommée, de
représentation ou seulement de prestige personnel. Ce n'est pas assez de faire
le tour de capitales étrangères, une telle activité devrait plutôt servir à se
faire comprendre et aider les victimes directes qu'à pleurnicher sur leur sort
et, le soir venu, penser au prochain tour. Les victimes directes, elles, n'y peuvent
malheureusement rien. Elles n'ont jamais la faculté d'agir en tant que sujets
de droit; ce sont des objets passifs figurant sur des fiches. Elles savent plus
que quiconque, qu'après douze années de sang et de larmes, jamais leurs droits
n'ont été rétablis ni aucun dédommagement ne s'est matérialisé. Elle n'ont que
la satisfaction psychologique d'avoir été indirectement écoutées par des
témoins ''prestigieux''. Cela n'a pas de prix pour la victime isolée faisant
face au mur du silence et à la douleur du dédain. Les ONG auront alerté
l'opinion publique internationale de cas concrets, mais seulement avec l'effet
ephémère d'un fait divers. Si la victime éprouve une certaine satisfaction
morale lorsqu'elle entend parler d'une condamnation symbolique de l'Etat qui a
attenté à ses droits, elle reste, tout comme les défenseurs locaux des droits
de l'homme, insatisfaite car la dure réalité va encore perdurer. Pour recentrer
les choses, les victimes et ONG locales ont sans doute l'obstacle politique à
franchir. Alors qu'au Nord, les ONG sont les partenaires des gouvernements, au
Sud elles sont sinon interdites, du moins combattues. Les gouvernements du Sud
devraient plutôt faciliter cette prise de conscience et aider les ONG locales à
sortir du rôle de porte-voix des ONG du Nord et de leur tête-à-tête
abrutissant. Un nouveau pacte gouvernemanets/ONG locaux est donc vital pour
tous. Et le plus important objectif à réaliser ensemble est un 'plus jamais de
violations'. Tout un programme pour préserver l'avenir sur des bases
authentiques et solides et sur un 'comptons sur nous mêmes'.
[1] Elles
tirent leur légitimité de
[2] L'article
2 du projet de convention de l'Institut de Droit international de 1950 énonce
que ce sont: "des groupements de personnes ou de collectivités, librement
créées par l'initiative privée qui exercent, sans esprit de lucre, une activité
internationale d'intérêt général, en dehors de toute préoccupation d'ordre
exclusivement national".
[3] John Lewis Burckhard l'a signalé au début du 19ème siècle
dans ses: Notes on the Bedouins and
Wahabys, collected during his travels in the East, Colburn & Bentley,
Londres 1831, vol. I, 14-15.
[4] Qur'an:
« Puissiez-vous former une Communauté qui appelle les gens au bien, leur
enjoint à ce qui est convenable et les empêche de faire ce qui est blâmable:
voilà ceux qui seront heureux » (3:104). Voir aussi 31:17; et encore ce
verset qui précise que cette obligation repose sur les hommes et sur les femmes
à égalité: 9:71; 3:110; 5:77-78 et 22:41. Il y a aussi de nombreux Hadiths:
« Celui qui voit un mal qu'il le corrige par sa main. S'il ne le peut pas
qu'il le corrige par sa langue. S'il ne le peut pas non plus qu'il le corrige
dans son coeur, et c'est là le moindre degré de la foi. » Dans son Ihya
'Ulum Eddin, l'Imam Al-Ghazali écrit: « Ordonner le convenable et
empêcher le blâmable est la pierre angulaire de la religion et le but pour
lequel tous les prophètes ont été envoyés. Si ce devoir est écarté, que sa
connaissance et sa mise en application sont négligées, la prophétie devient
sans objet et la religion disparaît, le désordre s'étend et l'ignorance se
généralise »
[5] Amnesty International’s Reaction to Benetton’s Ongoing
Campaign against the Death Penalty, Press release, 28 January 2001, <www.web.amnesty.org/ai.nsf/index/ACT500032000>.
[6] Par
exemple, label Tourism for Development lancé en 1998 depuis
[7] Par
exemple,
[8] Plusieurs
ONG (Amnesty International, ActionAid, Greenpeace, Oxfam, Save the Children
Alliance and Transparency International, notamment) ont adopté une Charte de
Responsabilité Sociale (International NGO Accountability Charter).